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« CumEx Files » : deux sénateurs veulent auditionner les banques françaises mises en cause
Par Public Sénat
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Ce sont de nouvelles révélations, qui, encore une fois, montrent l’ampleur de l’évasion fiscale. « CumEx », c’est le nom de ce montage financier qui a permis à quelques investisseurs de gagner beaucoup d’argent sur le dos des pays européens. De l’évasion fiscale, à coup d’optimisation et de fraude fiscale. Au total, le préjudice est estimé à plus de 55 milliards d’euros depuis 2001. L’Allemagne, d’où vient la combine, est le premier pays touché, avec 10 milliards d’euros de perte pour l’Etat. La France n’est pas en reste et serait touchée à hauteur de 3 milliards d’euros de manque à gagner par an pour le contribuable.
Selon ces révélations du journal Le Monde, en collaboration avec dix-huit autres médias, il s’agit de l’utilisation de zones grises dans la réglementation, en bénéficiant de crédits d’impôts liés au versement des dividendes d’actions cotées en bourse. Les montages financiers mis en lumière permettent, en multipliant très rapidement les échanges d’actions entre intervenants et pays, de passer sous les radars. Et de récupérer les crédits d’impôts tout en ne payant qu’une fois l’impôt, ou même sans l’avoir acquitté une seule fois. « Poussée à grande vitesse, la machine des crédits d’impôts va devenir une vraie machine à cash » explique le quotidien. Une cinquantaine d’institutions financières sont mêlées à l’affaire. Les grandes banques françaises – BNP Paribas, la Société Générale et Crédit Agricole – auraient participé au système, selon Le Monde.
« La République est en droit d’interroger les banques pour avoir leurs explications »
Le sénateur PCF Eric Bocquet, qui avait été rapporteur des deux commissions d’enquête au Sénat sur l’évasion et la fraude fiscale, n’est pas vraiment surpris de cette nouvelle révélation. « Encore une malheureusement. On a un scandale par an. Voilà celui de 2018 » constate le sénateur du Nord. « Ça montre bien que ce qu’ils appellent l’innovation financière n’a pas de limite. Les systèmes pour échapper à l’impôt sont d’une ingéniosité impressionnante, cela indépendamment des lois antifraude » souligne Eric Bocquet.
Avec sa collègue ex-PS, membre de Génétation.s, Sophie Taillé-Polian, ils entendent profiter de ces révélations pour aller plus loin, grâce au groupe de suivi du Sénat sur la fraude et l’évasion fiscale. Mis en place en juin dernier au sein de la commission des finances, il rassemble un sénateur de chaque groupe. Il n’a pas encore réellement fonctionné.
« On va saisir le président de la commission des finances et le rapporteur général pour qu’on examine ce dossier via le groupe de suivi. Et pourquoi pas interroger les banques citées dans les documents. La République est en droit d’interroger les banques pour avoir leurs explications, comme cela avait été le cas avec Frédéric Oudéa (directeur général de la Société Générale, ndlr) et d’autres en 2016, après les Panamas papers » explique à publicsenat.fr Eric Bocquet. Sophie Taillé-Polian imagine « tout à fait » auditionner les institutions visées. « Les banques jouent un rôle, et sans les grandes banques françaises, ce mécanisme ne serait pas possible » souligne la sénatrice du Val-de-Marne. D’après Jérôme Kerviel, l’arbitrage des dividendes était pratiqué dans son propre « desk », à la Société Générale. « Ils étaient quatre collègues à faire ça, juste derrière moi », affirme au Monde l’ancien trader de la banque française. La Société Générale assure pour sa part au quotidien que sa direction « n’avait connaissance d’aucun schéma frauduleux au sein de l’établissement ».
Vincent Eblé : « Il n’y a pas de réticence à faire travailler la commission sur ces sujets »
Interrogé par publicsenat.fr, le président PS de la commission des finances, Vincent Eblé, accueille favorablement l’idée que le groupe de suivi s’empare du sujet. « Réunir le groupe me semble justifié. On va regarder les choses. Il n’y a pas de réticence à faire travailler la commission sur ces sujets qui l’ont toujours préoccupée » explique le sénateur de Seine-et-Marne. Reste que ce groupe de travail n’est pas une commission d’enquête et n’en a donc pas les pouvoirs. Les banques pourraient théoriquement refuser d’être auditionnées. Mais les sénateurs pourraient les en convaincre, comme l’explique un responsable de la commission des finances :
« Si on veut mettre un peu de pression pour que les banques viennent, je ne pense pas qu’elles refusent ».
Après les révélations sur les Panama papers, Frédéric Oudéa avait accepté de venir s’expliquer, bien qu’il n’était pas obligé, après avoir échangé avec Michèle André, ex-présidente PS de la commission. A l’époque, la question d’un faux témoignage devant la commission d’enquête sur l’évasion fiscale, en 2012, pesait sur sa tête.
« Pourquoi pas une commission d’enquête »
Si cela s’avère nécessaire, Eric Bocquet n’écarte pas l’idée de sortir la grosse artillerie parlementaire : une commission d’enquête. Cela a plutôt réussi au Sénat ces derniers temps. « Voyons déjà ce que va faire le groupe de suivi. Mais s’il n’a pas la compétence pour aller plus loi, pourquoi pas une commission d’enquête ensuite. Je n’exclus rien de mon côté » affirme le sénateur communiste. Sophie Taillé-Polian n’en écarte pas non plus idée : « Ce serait l’occasion d’ouvrir enfin le dossier de l’optimisation fiscale. Ce serait une nouvelle étape ».
Ces révélations arrivent alors que le Parlement vient d’adopter le projet de loi de Gérald Darmanin de lutte contre la fraude fiscale. « Il n’y avait rien contre l’optimisation et l’évasion. On était uniquement sur les fraudes avérées » regrette Sophie Tailla-Polian, qui avait suivi le texte pour le groupe PS. Aujourd’hui, elle « demande au ministre ce qu’il compte faire. Il y a un travail à mener pour que toutes ces failles soient bouchées et avoir un regard sur toutes ces fameuses niches fiscales ». Même chose du côté d’Eric Bocquet, qui va « adresser un courrier à Gérald Darmanin pour voir ce qu’il compte faire. Ce sont des milliards d’euros en moins dans le budget de l’Etat. Or on entame l’examen du budget avec comme clef de voûte la baisse de la dépense publique car il n’y aurait plus d’argent. On sait où l’argent passe… Ceux qui devraient payer l’impôt s’ingénient à ne pas le payer. C’est inacceptable ».