La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Côte d’Ivoire : le bicamérisme à l’épreuve de sa jeunesse
Par Michael Pauron
Publié le
En Côte d’Ivoire, le calme semble revenu, deux mois après une élection présidentielle agitée, des semaines de tensions et le décès de quatre-vingt-cinq manifestants. Certes, toutes les querelles politiques ne sont pas réglées, et des opposants croupissent toujours en prison.
Mais beaucoup avaient prédit le pire dans ce pays d’Afrique de l’Ouest à l’histoire contemporaine tourmentée : coup d’État de 1999, partition du pays entre 2002 et 2010, crise post-électorale de 2010-2011 ayant fait plus de 3 000 morts…
Le président sortant, Alassane Dramane Ouattara, réélu le 31 octobre avec 94 % des voix dans un contexte de boycott par l’opposition et d’une faible participation, a officiellement entamé le 14 décembre un troisième mandat qui reste contesté.
Deux sénateurs arrêtés puis libérés
Et ce 2 décembre, la crise post-électorale est sur toutes les lèvres des sénateurs, qui se retrouvent après un mois d’activité réduite. Car le Sénat, créé il y a seulement quatre ans, n’a pas échappé aux remous.
Deux membres issus des rangs du PDCI-RDA (opposition) ont été arrêtés avec d’autres opposants au lendemain du scrutin présidentiel. Ils ont été libérés fin novembre, après une vingtaine de jours de détention.
Malgré son jeune âge et en dépit de ces deux arrestations, la Haute Assemblée a su traverser cette période de crispation sans trop de difficultés, dépasser les clivages politiques et s’affirmer comme un organe tempéré.
Pensé en 1995, promis en 2010, créé en 2016
Le Sénat, dont le projet de création date de 1995, a été institué lors de la réforme constitutionnelle de 2016. Une promesse électorale d’Alassane Ouattara, faite lors de son premier mandat (2010-2015).
Les élections sénatoriales n’ont finalement eu lieu qu’en 2018. « Ce Sénat est une réalité. Même si nous n’avons pas encore fait de bilan, nous travaillons depuis le début », assure Alain Cocauthrey, président du groupe PDCI-RDA.
Notre amitié est scellée par un choix commun en faveur du bicamérisme
Le 17 février 2020, le président du Sénat français, Gérard Larcher, est venu inaugurer le Forum du Sénat, logé dans l’immense bâtisse de la Fondation Félix Houphouët Boigny, à Yamoussoukro, la capitale politique de Côte d’Ivoire située à 2 h 30 de route au nord d’Abidjan.
« Notre amitié revêt une dimension supplémentaire. Elle est scellée par un choix commun en faveur du bicamérisme », avait-il déclaré, souhaitant la « bienvenue » à la Côte d’Ivoire « dans la famille du bicamérisme, qui ne cesse de s’élargir de par le monde ».
Les missions du Sénat ivoirien sont les mêmes que celles du Sénat français. Il vote les lois (le dernier mot revient à l’Assemblée nationale), contrôle l’action du gouvernement (par exemple en auditionnant les ministres) et évalue les politiques publiques.
66 sénateurs élus…
La chambre haute est composée de 99 sénateurs, soit trois pour chacun des 33 districts que compte le pays. Deux tiers d’entre eux ont été élus par 7 010 grands électeurs : des membres des conseils municipaux, régionaux et de districts, ainsi que par les députés de l’Assemblée nationale.
À leur demande, les députés ont finalement été supprimés du collège électoral dans la réforme de la constitution de 2020. Ils estimaient que le fait d’élire des sénateurs instaurait un lien de subordination…
…et 33 autres nommés par le chef de l’État
Le tiers restant, soit 33 sénateurs, est nommé par le président de la République. Cette particularité a bien sûr cristallisé les critiques : le chef de l’État n’a-t-il pas souhaité s’assurer une majorité de sénateurs issus de son parti politique ?
« Il s’agit de donner à cette jeune chambre des cadres compétents, désintéressés de la politique partisane », explique un sénateur qui a souhaité garder l’anonymat, tant la question reste sensible. Ainsi trouve-t-on parmi les nommés Charles Gomis, personnalité ivoirienne à la carrière diplomatique exceptionnelle. Ancien ambassadeur de Côte d’Ivoire en France (son dernier poste), élu vice-président du Sénat, il est particulièrement consulté sur les questions internationales.
« Une maison de retraite sans but précis ? »
Notre sénateur poursuit : « Le constat est aussi qu’avec le jeu des alternances, des compétences restent sur le carreau. C’est dommage de ne plus les exploiter. » Mais cet argument est aussi utilisé par les détracteurs pour qualifier le Sénat de « maison de retraite sans but précis ».
Mariam Dao Gabala n’est pas de cet avis. Célèbre militante des droits de l’homme, elle a été consultante pour la Banque africaine de développement, l’Organisation internationale du travail, ou encore la Banque mondiale.
Elle est nommée sénatrice en 2019 (sous l’étiquette indépendante). Très investie sur les questions de genre (le Sénat compte 19 femmes), elle explique « veiller à ce que les femmes ne soient pas lésées dans les lois ». Sur la politique partisane, « l’important est que toutes les tendances du pays soient représentées au sein du Sénat ».
Une Haute Assemblée à la couleur indéterminée
« Nous préférerions que tous les sénateurs soient élus », explique le président du groupe PDCI-RDA. Alain Cocauthrey poursuit : « Au PDCI-RDA, nous avons tous été élus, et je pense que si cela avait été le cas pour tout le monde, nous aurions obtenu plus de sièges. »
Il oublie de préciser qu’en 2018, lors des élections, une alliance entre son parti et le parti présidentiel avait été scellée. Résultat : 50 sièges avaient été remportés sous la même bannière, contre 16 indépendants et 33 nommés.
Depuis, l’entente a éclaté et la chambre haute s’est théoriquement recomposée, mais pas de manière claire. Certains n’ont en effet choisi aucun camp. C’est le cas de Jeannot Ahoussou-Kouadio, le président du Sénat, issu des rangs du PDCI-RDA.
Les prochaines élections sénatoriales préciseront certainement les choses. Exceptionnellement, de par la particularité du premier calendrier (création en 2016, élections en 2018, nominations en 2019…), ce mandat se terminera à la fin du mois de décembre. Les sénateurs continueront cependant de siéger jusqu’au scrutin, dont la date n’a pas encore été fixée.
Des sénateurs au service de la paix
L’utilité du Sénat ivoirien fait encore débat, tant dans la classe politique que dans la population. N’est-ce pas une charge financière supplémentaire et inutile ? Dans un pays où l’appartenance régionale joue un rôle important dans les crises, « les sénateurs appartiennent à des clans, des familles, des territoires, et ils peuvent participer à apaiser les tensions. Il n’y a pas de prix pour la paix », répond un sénateur indépendant.
Absent du pays depuis plusieurs mois pour être soigné en Europe, Jeannot Ahoussou-Kouadio a d’ailleurs pris la plume depuis son lit d’hôpital pour appeler au calme les citoyens de sa région (Centre) durant la crise.
12,5 millions d’euros de budget
La nouvelle chambre doit encore faire ses preuves pour convaincre la population et se hisser au niveau du Sénat français. L’un des points à régler est l’autonomie financière de l’institution, dont le budget est à ce jour de 8,243 milliards de francs CFA (environ 12,5 millions d’euros).
« Le Sénat, comme l’Assemblée nationale aujourd’hui, est censé avoir un compte propre, c’est inscrit dans la constitution. Hélas, ce n’est pas encore le cas, nous dépendons encore du ministère du Budget, et perdons ainsi en flexibilité », regrette un cadre de l’institution.
L’administration est assurée par 150 personnes, et les sénateurs disposent d’une enveloppe pour recourir à un assistant. Le Sénat leur fournit cependant une aide supplémentaire en cas de besoin. Chaque sénateur a en outre reçu un véhicule de fonction.
Ce 2 décembre, les sénateurs ont finalement respecté l’ordre du jour et voté les textes prévus. Alain Cocauthrey a lui quitté prématurément l’hémicycle, après avoir été prié par la présidente de séance de ne pas se servir du Sénat comme d’une tribune politique…