Source de débat et de polémiques à plusieurs reprises, on reparle aujourd’hui du compteur Linky. Il s’agit à nouveau des données personnelles. La Commission nationale informatique et libertés (Cnil), le gendarme français chargé de la protection de la vie privée, a mis mardi 11 février en demeure EDF et Engie. Les deux entreprises ont trois mois pour mettre en conformité leurs pratiques concernant la collecte des informations personnelles des consommateurs par les compteurs Linky.
Ces compteurs communicants permettent de mesurer et transmettre directement au fournisseur d’électricité la consommation, ce qui ne nécessite plus le passage d’un technicien pour relever le compteur. Ces compteurs peuvent aussi recevoir des ordres à distance, pour un changement de puissance par exemple.
Données personnelles conservées jusque onze ans après résiliation
La Cnil souligne que les fournisseurs d'énergie ne peuvent collecter les consommations d'électricité quotidiennes, horaires ou à la demi-heure qu'avec l'accord de l'abonné concerné. De plus, son consentement doit être « libre, spécifique, éclairé et univoque », conformément au Règlement général européen sur la protection des données (RGPD), entré en vigueur en mai 2018. EDF et Engie recueillent bien un consentement mais il « n'est ni spécifique, ni suffisamment éclairé » dit la Cnil. A la place d’un « consentement distinct », EDF et Engie ne proposent qu'une case à cocher pour deux opérations différentes : l'affichage sur l'espace client des consommations quotidiennes et à la demi-heure.
Quant aux durées de conservation des données, elles sont « parfois trop longues au regard des finalités » selon la Cnil. EDF garde ainsi le détail des consommations quotidiennes et à la demi-heure cinq ans après la résiliation d'un contrat, alors que les fournisseurs « ne sont tenus de mettre à disposition des clients leur historique de consommation que pendant une durée de trois années suivant la date de recueil du consentement ». Engie conserve lui les données de consommations mensuelles après la résiliation pendant « une durée de trois ans en base active, puis pendant une durée de huit ans en archivage », soit onze années au total…
« L’installation se fait un peu à la hussarde, sans consentement éclairé »
« La Cnil est complètement dans son rôle de rappeler ces règles de base à des grands opérateurs, qu’une personne doit donner son consentement pour mettre à disposition des données » réagit le sénateur UDI Loïc Hervé, l’un des parlementaires membres de la Cnil, « c’est tout à fait nécessaire et bienvenu ».
La décision de la Cnil est saluée aussi par la sénatrice LR de Gironde, Florence Lassarade. En 2018, elle avait défendu, en vain, un amendement au Sénat afin d’autoriser une personne à refuser l’installation d’un compteur Linky. Sur le terrain, elle voit les problèmes. « Des maires me racontent ce que leur disent leurs administrés. L’installation se fait un peu à la hussarde, sans qu’il y ait de consentement éclairé, qui est nécessaire. Du coup, la Cnil pointe cela du doigt. Mais c’était souligné depuis pas mal de temps » remarque la sénatrice. Le gendarme des données personnelles avait d’ailleurs déjà lancé en 2018, pour le même motif, une procédure contre le fournisseur Direct Energie.
« La logique de base de Linky, c’est de mieux équilibrer les consommations à l’échelle européenne »
Florence Lassarade en appelle à « beaucoup de transparence, ce serait profitable à tout le monde : aux Linky-sceptiques, comme à Unedis (ex-ERDF, chargé du déploiement, ndlr) ». Elle ajoute : « Le problème est qu’Unedis a fait une erreur de jugement en pensant qu’on pouvait installer le compteur chez les gens de façon un peu autoritaire ».
« Qu’on parle maintenant de compteurs « communicants », et plus « intelligents », c’est symptomatique. Les gens ne veulent pas d’un mouchard chez eux » insiste Florence Lassarade. La sénatrice LR souligne que « la logique de base de Linky, c’est de mieux équilibrer les consommations à l’échelle européenne pour pouvoir restreindre la consommation et la production. Si on veut des énergies nouvelles, on en produira moins. Mais ça n’a jamais été expliqué comme ça ».
Droit de propriété et pose du compteur Linky
Le sénateur communiste Fabien Gay salue aussi « une bonne décision » de la Cnil, pointant « les méthodes employées pour la pose des compteurs, parfois agressives ». Le sénateur PCF de Seine-Saint-Denis souligne au passage qu’« il est possible, si le compteur est chez vous, de refuser la pose du compteur Linky. Mais il faudra payer les frais ensuite de relevé du compteur, ce qui n’est pas juste ».
Le 30 janvier dernier, le ministère de la Transition écologique a en effet répondu en ce sens à une question écrite de Fabien Gay, qui datait… du 15 novembre 2018. Théoriquement, la pose du compteur est obligatoire, mais s’il se situe chez vous, Unedis doit respecter « le droit de la propriété lorsque le compteur n'est pas situé sur l'espace public ou dans un endroit accessible. Lorsque le client refuse l'accès au compteur, les équipes de pose ne pourront donc pas procéder au remplacement du compteur » précise le ministère dans sa réponse (voir ici). En revanche, « les relevés de compteur par les agents, lui seront alors facturés ».
Fabien Gay craint « une rupture d’égalité » avec des abonnements différentiés pour les plus pauvres
Au-delà des débats autour du compteur lui-même, pour Fabien Gay, la vraie question, « c’est la finalité de Linky ». Sa crainte : « A partir du moment où tout le monde sera équipé (l’objectif est de 35 millions de compteurs en 2021, ndlr), vous proposerez des abonnements différentiés aux gens à partir de l’analyse globale des données, avec leur consommation et utilisation. Et au bout, vous aurez des forfaits à effacement pour ceux en précarité. C’est-à-dire que vous pourrez par exemple utiliser l’électricité de 20 heures à 8 heures ». Le sénateur PCF voit à terme un risque de « rupture d’égalité et de continuité du service publique ». Et de conclure « que la Cnil fasse son travail sur la collecte des données, c’est bien, mais tous les débats ne sont pas réglés ».
Pour l’heure, suite à la décision de la Cnil, EDF a pris « acte de la mise en demeure de la Cnil et s'engage à mettre en place les corrections nécessaires ». Engie a expliqué de son côté que depuis décembre 2019, il « ne propose plus qu'un service reposant sur les seules données de consommation à la journée » et va informer la Cnil de cette évolution. Quant à la conservation des données, le groupe va « mettre à jour ses règles ».