La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Comment l’ampleur de la dette restreint la marge de manœuvre du gouvernement
Par Romain David
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Un chiffre vertigineux. La dette publique française s’élevait à 2 950 milliards d’euros à la fin de l’année 2022, selon les données publiées par l’Insee fin mars, sur la base des critères définis par le traité de Maastricht. Un chiffre qui s’approche du seuil historique des 3 000 milliards. La dette publique représente aujourd’hui 111,6 % du PIB, un taux en légère baisse par rapport à 2021 (112,9 % en fin d’année), qu’explique un accroissement de la richesse produite au cours de l’année. Pour autant, la France se classe parmi les mauvais élèves de l’Union européenne – dont l’endettement public moyen se situe autour des 86 % du PIB –, avec la Grèce (178,2 %), l’Italie (147,3 %) et le Portugal (120,1 %). Les finances publiques françaises accusent encore le coup de la crise sanitaire et de la politique du « quoi qu’il en coûte » - entre 2019 et 2020, l’endettement a progressé de 17 points, un record depuis le début des années 2000 -, auquel est venue s’ajouter la hausse des tarifs de l’énergie. Ce qui a ralenti le retour à l’équilibre, l’objectif affiché restant celui d’un déficit public inférieur aux sacro-saints 3 % du PIB. Il est actuellement à 4,7 % après avoir grimpé jusqu’à 9 % en 2020.
Une revue des dépenses publiques
Cette situation interroge la politique budgétaire du gouvernement. Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, a d’ores et déjà fait savoir que le budget 2024, sur lequel Bercy a commencé à plancher, intégrerait des « réductions de dépenses significatives ». Devant le Sénat, le 16 mars dernier, le ministre a évoqué la mise en place d’une revue des dépenses publiques « comme aucune n’a jamais été engagée dans notre pays ». « Celle-ci examinera toutes les dépenses publiques, de toutes les administrations, celles qui relèvent des collectivités locales, en accord avec elles, des associations et de l’État », a-t-il détaillé. Selon lui, la dépense publique est « composée à 50 % de dépenses sociales, à 30 % de dépenses de l’État et à 20 % de dépenses des collectivités locales ». « Il faut donc que chacun participe à cet engagement collectif, sur la base d’un diagnostic qui doit être partagé », a-t-il ajouté.
« Bruno Le Maire cible la politique sociale et les collectivités, il y a de quoi s’inquiéter. Je note qu’à aucun moment il n’évoque les revenus des grandes entreprises, des plus riches ou même l’accumulation des niches fiscales », déplore, auprès de Public Sénat, le sénateur socialiste Rémi Féraud, membre de la commission des finances. « La réduction des dépenses, cela n’est vraiment pas un sujet nouveau. De nombreux rapports ont été produits ces dernières années, notamment par la Cour des comptes. Si le gouvernement avait voulu s’en saisir plus tôt, il se serait plongé dans cette documentation, sans avoir besoin de mettre en place une revue des dépenses publiques », soupire la sénatrice LR Christine Lavarde, vice-présidente de la commission des finances. « Le problème, c’est que l’opinion risque de se focaliser sur l’impact micro-économique, sans voir l’aspect macro-économique bénéfique sur le long terme ».
« Le problème de la France, c’est que l’on distribue des revenus sans mettre de la production en regard »
Un serrage de ceinture corrélé à une accélération de la relance. L’exécutif table toujours sur la réindustrialisation du pays, portée notamment par le plan d’investissements France 2030. « S’il est un point sur lequel nous nous retrouvons toutes et tous sur ces bancs, c’est de restaurer notre industrie et de retrouver une situation où nous créons des emplois industriels et ouvrons des usines en France. Nous sommes tous d’accord là-dessus, ensuite il y a un débat sur les moyens pour y parvenir », a expliqué Gabriel Attal, ministre délégué chargé des Comptes publics, lors de la dernière séance de questions au gouvernement au Sénat, mercredi 5 avril. « Le problème de la France, c’est que l’on distribue des revenus sans mettre de la production en regard », pointait l’économiste Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP, jeudi soir sur le plateau de l’émission « Sens Public » sur Public Sénat. « S’il n’y a pas de travail au regard des moyens financiers distribués, on augmente les importations et à partir de ce moment-là, le pays se trouve menacé car il dépend de la production des autres pour assurer son niveau de vie. »
Parmi les leviers mis en avant par le gouvernement pour accélérer la production de richesses : la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), un impôt qui participe au financement des collectivités territoriales, ce qui n’a pas manqué de braquer de nombreux élus. « Nous pensons qu’il faut baisser les impôts de production comme nous l’avons fait. On voit de premiers résultats, même si nous considérons qu’il faut poursuivre et amplifier notre action », a encore justifié Gabriel Attal, la disparition totale de la CVAE étant prévue pour 2024. « Le discours de Gabriel Attal consiste à dire : moins les impôts sont élevés, et plus ils rapportent. Ce qui est faux ! Il peut y un avoir un moment où le taux d’imposition est tel qu’il provoque un effet d’éviction, mais nous en sommes encore très loin », objecte Rémi Féraud. « La baisse de la CVAE, c’est une mesure immédiate pour les entreprises », défend Christine Lavarde. « Le tout est de savoir comment elles vont utiliser les nouvelles liquidités disponibles ».
Les baisses d’impôts remises en cause ?
La réduction du train de dépenses et la production de richesses ne sont pas les seules pistes envisagées. Certaines réformes fiscales, à destination des particuliers cette fois, pourraient être repoussées tant que les perspectives budgétaires ne se sont pas améliorées. Selon une information du journal Les Echos, le gouvernement pourrait mettre sur « pause » plusieurs mesures du programme présidentiel, dont la baisse des droits de succession. Ce serait la deuxième fois que l’exécutif repousse la mise en œuvre de cette promesse de campagne, également portée par la droite. Déjà à l’automne dernier, en marge des débats parlementaires sur le budget 2022, Aurore Bergé, la cheffe de file du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, avait fait savoir sur Public Sénat que les députés du parti présidentiel ne voteraient pas les amendements déposés en ce sens. « On sait qu’on n’a pas les moyens budgétaires de le voter dès cette année. Nous réaffirmons que cet engagement de campagne sera tenu dans ce quinquennat », avait-elle assuré. Autre mesure qui pourrait rester en suspens selon Les Echos, la conjugalisation de l’impôt sur le revenu pour les couples en concubinage.
Un enjeu de crédibilité financière
« Le gouvernement n’a plus de marge de manœuvre financière suffisante », observe Rémi Féraud. « La baisse des impôts est souvent une illusion aux frais des recettes. La suppression de la redevance télé, par exemple, n’a fait que creuser le déficit puisqu’elle a été remplacée par une part de TVA. » La question est délicate, car le président de la République a fait de la baisse des impôts l’un des axes forts de son action politique. Par ailleurs, la majorité présidentielle se targue régulièrement des baisses mises en œuvre sous le premier quinquennat, notamment avec la suppression de la taxe d’habitation.
Or, la capacité pour un Etat à lever l’impôt demeure un élément de confiance vis-à-vis des investisseurs qui placent leurs actifs dans la dette souveraine, à plus forte raison dans un contexte de remontée des taux d’intérêt. « Dans la plupart des Etats, la dette souveraine, par rapport à celle des entreprises et des ménages est considérée comme le placement le plus sûr, l’actif sans risque par excellence. Evidemment il y a des échelles entre Etats », expliquait jeudi soir, également au micro de l’émission « Sens Public », le sociologue Benjamin Lemoine, chercheur au CNRS. « Il y a une tension sur la dette souveraine, c’est un actif qui rassure, mais qui peut également faire peur car le souverain, maître de la loi, de la puissance régalienne, peut changer à tout moment les règles qui le lient au préteur. »