Après de nombreuses heures d’examen à l’Assemblée nationale, le projet de loi sur l’asile et l’immigration fait son arrivée au Sénat. La commission des lois a examiné près de 300 amendements ce mercredi, avant l’examen en séance prévu à partir du 19 juin.
La semaine dernière, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, s’était à nouveau attiré les foudres de l’opposition sur le sujet, lors de son audition au Sénat. Comme publicsenat.fr l’a relevé, l’ancien sénateur avait estimé que les migrants faisaient du « benchmarking » pour choisir leur pays.
Le texte adopté par les députés prévoit notamment de réduire de 120 à 90 jours le délai pour déposer une demande d’asile après l’entrée en France, de réduire à 15 jours, au lieu d’un mois, le délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, de faciliter l’expulsion pour les ressortissants de pays d’origine sûre ou encore d’augmenter la durée maximale de la rétention administrative, portée de 45 à 90 jours.
Les associations, qui dénonçaient le texte du gouvernement pour sa dureté, ne vont pas être déçues. La majorité sénatoriale LR-UDI durcit encore le texte de l’exécutif, comme l'explique Philippe Bas, président LR de la commission des lois du Sénat (voir le sujet de Quentin Calmet) :
« Il est faible sur la lutte contre le détournement du droit d’asile, il est faible sur la lutte contre l’immigration irrégulière, il est faible sur l’intégration qui est le corollaire nécessaire d’une politique de fermeté en matière d’immigration »
Si le sénateur de la Manche défend « plus de fermeté pour une politique de l’immigration plus crédible », il n’oublie pas « le respect des principes fondamentaux en matière de libertés publiques. Cet équilibre entre les deux, c’est la marque de fabrique du Sénat ».
Aux yeux de la gauche, ce texte constitue au contraire une menace. Eliane Assassi, présidente du groupe communiste de la Haute assemblée, dénonce sa « nocivité ». « Il n’y a pas d’équilibre, ce texte a vocation à expulser le plus grand nombre d’étrangers demandeurs d’asile et de réfugiés ». Elle ajoute : « Ce texte est encore plus grave que certains textes, y compris sous la présidence de Nicolas Sarkozy ». Il dérange même jusque dans les rangs des députés de la majorité. Pour la sénatrice écologiste Esther Benbassa, membre du groupe CRCE, « ce texte est une atteinte supplémentaire à notre humanité et à la dignité des réfugiés ».
Si la majorité sénatoriale n’a pas touché à certains points phares du texte, elle a imprimé sa marque en commission. Voici les principales modifications :
Des quotas débattus chaque année au Parlement
C’est un amendement porté par le sénateur Roger Karoutchi : permettre au Parlement de débattre et de voter, chaque année, sur la politique d’immigration, et de définir, en fonction des « capacités d’accueil », « les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration en présentant des indicateurs chiffrés rendant compte des flux d’entrée, de séjour et d’éloignement ».
Suppression de la carte pluriannuelle de quatre ans
C’est l’une des mesures du texte du gouvernement : une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans, puis une carte de résident, pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire (une extension du statut de réfugiés) et les apatrides. Les sénateurs l’ont supprimée en commission.
Regroupement familial durci…
Le président du groupe LR, Bruno Retailleau, a déposé (et fait adopter), un amendement durcissant les conditions de demande de regroupement familial, en faisant passer la condition de séjour sur le territoire de 18 à 24 mois.
…et pas d’extension du regroupement familial pour les frères et sœurs mineurs
Un amendement de la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, qui s’oppose « à l’extension du regroupement familial aux frères et sœurs mineurs », a été adopté. Il « constituerait un appel d’air pour des flux migratoires toujours plus importants, sans perspective réelle d’intégration » selon l’auteure de l’amendement.
Suppression de l’assouplissement du délit de solidarité
Les députés avaient assoupli le délit d'aide à l'entrée et au séjour des étrangers en situation irrégulière, lors de l’examen du texte à l’Assemblée. Les sénateurs sont revenus en commission sur cette décision.
Délai de recours en cas de rejet d’une demande d’asile ramené à 30 jours
Au chapitre d’un « meilleur accueil des réfugiés », le rapporteur a maintenu à 30 jours le délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en cas de rejet d’une demande d’asile, contre 15 jours dans le texte du gouvernement, au nom de la garantie des droits et des effets contre-productifs de la mesure
Délais de recours ramenés à 7 jours pour les « dublinés »
Les sénateurs ont ramené à 7 jours, au lieu de 15 jours, le délai de contestation devant le juge administratif d’une décision de transfert vers un autre Etat membre de l’Union européenne d’un étranger faisant l’objet d’une procédure « Dublin ». Elle impose aux migrants de faire leur demande d’asile dans leur premier pays d’arrivée.
En cas de décision d’expulsion, réduction à 7 jours du délai de départ volontaire
Lorsqu’une mesure d’éloignement du territoire est prononcée, les sénateurs LR souhaitent « réduire le délai de départ volontaire de 30 à 7 jours, afin de se conformer à la directive "retour" et d’éviter les risques de soustraction à la mesure ».
Expulsions : réduction du nombre de visas « pour les pays les moins coopératifs »
La commission a adopté un amendement du rapporteur LR du texte, François-Noël Buffet, pour « réduire le nombre de visas accordés aux ressortissants des pays les moins coopératifs » dans le cadre des reconduites à la frontière, c'est-à-dire des expulsions. « En l’absence de laissez-passer consulaire, aucun éloignement n’est possible » fait valoir le sénateur.
Refus du statut de réfugié pour les personnes constituant une menace grave pour la sûreté de l'Etat.
Les sénateurs ont décidé d’obliger l'Ofpra de refuser le statut de réfugié aux personnes qui pourraient constituer une menace grave pour la sûreté de l'Etat.
Première phase de la rétention rétablie à 5 jours au lieu de 48 heures
Autre amendement du rapporteur adopté : la durée de la première phase de la rétention administrative est rétablie à 5 jours, au lieu de 48 heures, « pour plus d'efficacité dans les procédures d'éloignement » selon l’objet de l’amendement.
L’aide médicale d’Etat remplacée par une « aide médicale d’urgence »
L’aide médicale d’Etat est critiquée par la droite depuis longtemps. Les sénateurs veulent la remplacer par une aide médicale d’urgence.
Les centres d’hébergement provisoires inclus dans le décompte de la loi SRU
Alors que depuis 2015, les places en centre d’accueil pour les demandeurs d’asile (CADA) sont intégrées dans le décompte des logements sociaux des communes, dans le cadre de la loi SRU, afin de les inciter à accueillir ces structures, les sénateurs ont décidé d’inclure dans ce décompte les structures de l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA) et les centres d’hébergement provisoire (CPH) destinés aux personnes ayant obtenu le statut de réfugié. La loi SRU impose 25% de logement sociaux aux communes.
Liste des pays sûrs : protection des transgenres
Un amendement de la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie a été adopté. Il vise à protéger les transgenres en complétant la définition des pays d'origine sûrs « pour garantir qu'un pays ne puisse figurer sur cette liste s'il y est recouru à la persécution, la torture ou des traitements inhumains contre les personnes transgenres ».
Office français de l'immigration et de l'intégration : délais réduits à 10 jours pour formuler des propositions
Autre amendement socialiste adopté en commission, celui du sénateur Jean-Yves Leconte : l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) doit formuler ses propositions de conditions matérielles d'accueil dans les dix jours qui suivent l'enregistrement de la demande. « La réduction des délais ne peut peser exclusivement sur le demandeur par l'effet d'une réduction de ses droits » font valoir les sénateurs PS.