Afghanistan : « On va avoir du sang sur les mains », dénonce la sénatrice Nathalie Goulet

Afghanistan : « On va avoir du sang sur les mains », dénonce la sénatrice Nathalie Goulet

Alors qu’un septième vol est arrivé, lundi, à Paris, avec 246 Afghans, la sénatrice UDI Nathalie Goulet appelle la France à accélérer les rapatriements, notamment des auxiliaires de l’armée. « Les interprètes afghans de l’armée française, c’est comme les Harkis, on les a vraiment abandonnés », alerte-t-elle. Leurs familles sont visées par les talibans. « S’ils les trouvent, ils vont les tuer », témoigne Mirzaï Allah Mohammad, ancien interprète de l’armée française, aujourd’hui réfugié.
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Huit jours après la prise de Kaboul par les talibans, le temps presse. Les évacuations des Afghans qui ont travaillé avec les Occidentaux, menacés par les talibans, s’enchaînent. Mais le rythme risque d’être insuffisant. Les Etats-Unis et leurs alliés ont prévu d’organiser des départs jusqu’au 31 août. Mais Joe Biden n’a pas exclu de prolonger les opérations. C’est peu du goût des talibans. Ils ont menacé, ce lundi, les Etats-Unis de « conséquences » s’ils repoussaient leur départ d’Afghanistan.

Plus de 1.000 Afghans évacués en France

On comprend mieux « l’urgence », comme le dit le sénateur PS Rachid Temal. « Il faut faire en sorte qu’un maximum de personnes puissent accéder à l’aéroport et partir. Il faut que la France permette de les laisser passer. Les Français évidemment, et bien sûr les Afghans qui ont travaillé avec nous, autorités militaires ou ONG, ainsi que les personnalités afghanes, les artistes », soutient le porte-parole du Parti socialiste. Rachid Temal souligne le sort particulièrement difficile des « traducteurs pour l’armée française, et de leur famille. On sait que ces personnes sont condamnées [si elles restent en Afghanistant] ».

Pour l’heure, un septième vol, organisé par la France, est arrivé ce lundi à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, avec à son bord 246 Afghans et 5 Français, a annoncé le gouvernement. Au total, « près de cent Français et plus d’un millier d’Afghans ont été évacués », selon un communiqué du ministère de l’Intérieur. Deux vols supplémentaires devraient avoir lieu dans les 24 heures.

Les sénateurs PS demandent un débat au Parlement

Face à cette situation, les sénateurs PS ont « demandé un débat au Parlement sur la question afghane quant aux enjeux pour la France, les Européens. En Angleterre, il y a eu un débat. Cela me semble normal d’échanger sur l’enjeu humanitaire et ce qui est un échec de la communauté internationale, et comment, après 20 ans, on en est là », rappelle Rachid Temal. Demande de débat pour le moment sans retour.

Un débat est « une bonne idée » en soi, réagit de son côté la sénatrice UDI Nathalie Goulet. Mais l’urgence est aux rapatriements des « auxiliaires de l’armée française », insiste l’élue de l’Orne. Celle qui « y travaille depuis au moins quatre ans », ne comprend pas « pourquoi on a tellement tardé à les rapatrier. Les auxiliaires et interprètes de l’armée, ça fait longtemps qu’ils devraient être sur une liste à jour, qu’on devrait les rapatrier d’urgence ». Pour Nathalie Goulet, « les interprètes afghans de l’armée française, c’est comme les Harkis, on les a vraiment abandonnés. C’est une trahison française ».

« Il reste au moins une centaine d'auxiliaires de l'armée et leur famille sur place »

La sénatrice de l’Orne explique que « les collaborateurs de la ministre des Armées, Florence Parly, nous ont demandé des listes de personnes qu’on pensait en danger sur place ». On peut s’étonner que les autorités françaises n’aient pas constitué elles-mêmes pareilles listes.

En lien avec les associations, la sénatrice affirme qu’il n’y a pour le moment que « dix auxiliaires qui ont reçu les papiers pour accéder à l’aéroport de Kaboul. A ma connaissance, aucun n’a été rapatrié pour le moment. Or il reste au moins une centaine d’entre eux et leur famille sur place. On nous explique qu’ils sont protégés, mais ce n’est pas vrai ».

LIRE AUSSI // En Afghanistan, les femmes attendent de savoir si elles vont être évacuées

Interrogé par la sénatrice, lors des questions d’actualité en novembre 2019, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, avait assuré que les interprètes « devaient être protégés », rappelant que le gouvernement s’était engagé « à accueillir près de 500 personnes sur environ trois vagues ».

La crainte aujourd’hui de Nathalie Goulet : que beaucoup restent sur place. « Le sang sèche vite quand il rentre dans l’Histoire. Dans huit jours, on les aura oubliés », met-elle en garde. Elle ajoute : « On va avoir du sang sur les mains, car les talibans, eux, ont des listes de ces auxiliaires de l’armée française ».

Mirzaï Allah Mohammad, ancien traducteur pour l’armée française, demande l’aide de la France pour sa famille

Mirzaï Allah Mohammad a lui déjà eu la chance d’arriver en France. Cet Afghan, ancien traducteur en anglais pour l’armée française, est réfugié dans le pays. Âgé de près de 32 ans, il est arrivé en 2020 avec sa femme et ses deux enfants. Il vit aujourd’hui à Caen et a travaillé pour l’armée de 2007 à 2012. Son visa pour la France, il a dû l’attendre sept longues années. Aujourd’hui, il a peur pour le reste de sa famille, resté sur place.

« Ma mère, ma sœur et mon frère sont dans une situation à risque. Ils veulent partir mais ne le peuvent pas. Ils n’ont ni passeport, ni visa », nous explique Mirzaï Allah Mohammad. Le dernier contact date d’« il y a cinq jours ». Mirzaï Allah Mohammad raconte :

Ils m’ont dit qu’ils se sont échappés de la maison car les talibans cherchent les familles. Et s’ils les trouvent, ils vont les tuer, kidnapper les filles, ma sœur. Maintenant, je ne sais pas s’ils sont cachés ou s’ils vivent dans la rue.

Mirzaï Allah Mohammad a tenté de contacter le ministère des Affaires étrangères français pour aider sa famille. En vain. « J’ai envoyé un mail au centre de crise du ministère, en leur donnant les noms. Mais je n’ai pas de réponse. Je ne sais pas s’ils ont reçu le mail et s’ils vont m’aider ». Il a aussi tenté d’appeler. La ligne sonnait occupée…

Il dispose aujourd’hui d’un titre de séjour. « J’aime la France. Les Français sont très gentils », dit-il. Mais Mirzaï Allah Mohammad demande à la France d’aider ses proches, car « il n’y a aucun endroit sûr pour eux » sur place. Il ne pense pas une seconde que les talibans ont changé, contrairement à ce que leur communication affirme. « Ils n’ont de respect pour rien, il n’y a pas de droit pour les femmes, les enfants. Je ne peux pas les croire quand ils disent qu’ils ont changé », lance l’ancien interprète, condamné à attendre et à espérer pour sa famille menacée de mort.

« Le projet des talibans, c’est d’être la plus grande prison à ciel ouvert »

Au regard de ces histoires tragiques, Nathalie Goulet n’en démord pas. Pour la sénatrice centriste, la France aurait pu et aurait dû agir plus tôt. « Là où ça fait mal au cœur, c’est qu’il s’agit quand même de situation qu’on aurait pu éviter ». Elle insiste sur l’urgence :

Ce sont des gens à qui on va sauver la vie, ce n’est pas une immigration de confort.

Emmanuel Macron, dont la prise de parole sur la question a fait débat (lire notre article sur le sujet), en appelle à une coordination européenne, notamment avec l’Allemagne. « Mais pendant ce temps-là, les gens meurent ! La semaine prochaine, le pont aérien sera fini », alerte Nathalie Goulet. Selon la sénatrice, en France, « la solution passe par les collectivités territoriales, avec de vraies mesures d’accueil et une stratégie pour accueillir les familles. La France est belle et généreuse. Elle peut accueillir quelques familles afghanes ».

Le socialiste Rachid Temal ajoute qu’il faudra, ensuite, penser l’après. « Se posera à terme la question de savoir comment on peut soutenir un peuple, des gens qui se battent pour la démocratie dans une théocratie, une dictature. Le projet des talibans, c’est d’être la plus grande prison à ciel ouvert », lance le sénateur PS du Val-d’Oise. Mais dans l’immédiat, les heures sont comptées pour les Afghans qui tentent de fuir le régime taliban. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a jugé samedi « impossible » d’évacuer tous les collaborateurs afghans des Occidentaux avant le 31 août.

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