Les menaces en tout genre sont entrées dans le quotidien des parlementaires français, en toile de fond des débats sur les lois sanitaires. Les actes d’intimidation se sont multipliés ces derniers mois et des médias à l’étranger s’en font désormais le relais. Dans la perspective de l’examen du projet de loi sur le passe vaccinal, ce sont notamment des élus de la majorité présidentielle qui ont été confrontés à ce phénomène inquiétant. Agnès Firmin-Le Bodo, porte-parole d’Horizons, le parti d’Édouard Philippe, a été menacée de décapitation dans un e-mail reçu le jour de l’An, quand Pascal Bois, député LREM de l’Oise, a vu sa voiture et son garage incendiés le 29 décembre.
Lors de la première session au gouvernement à l’Assemblée nationale, ce 4 janvier, le Premier ministre s’est insurgé contre des « violences inacceptables ». « S’agissant de dépositaires de l’autorité publique, de dépositaires du suffrage universel, alors le recours à la violence, c’est la démocratie, le pacte républicain qu’il vient menacer », a dénoncé Jean Castex.
« Des sénateurs reçoivent des guillotines en photo »
Depuis l’été, les exemples de dégradation de permanences ou de lettres anonymes s’accumulent. Jean Castex a promis de punir ces « actes ignobles ». Une réunion avec le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti doit notamment faire le point sur ce problème d’ici quelques jours. Fin décembre, Gérald Darmanin avait déjà envoyé « des consignes fermes » aux préfets « pour renforcer la sécurité » des élus « et assurer le traitement des plaintes ».
Les députés ne sont pas les seuls à être victimes de ces actes d’intimidation. La chambre haute est elle aussi confrontée au problème. En novembre, des menaces de morts, accompagnées d’une balle dans le courrier, ont été réceptionnées dans les permanences de quatre députés et quatre sénateurs de l’Oise. Au Sénat, le groupe socialiste a été particulièrement touché par les intimidations, pour avoir défendu en octobre une proposition de loi sur la vaccination obligatoire contre le covid-19. Plusieurs membres du groupe ont déposé plainte et leur président avait même signalé les faits au procureur de la République. A ce jour, il n’y a pas encore de retour de la saisine et les missives malveillantes n’ont pas cessé. « Ça ne s’est pas calmé. Des sénateurs reçoivent des guillotines en photo, toujours sur le thème de la vaccination obligatoire », témoigne le président des sénateurs socialistes, Patrick Kanner.
Aucune agression physique n’est à déplorer. Le président du groupe PS signale néanmoins l’expérience vécue par l’un de ses collègues. « Un sénateur a eu un problème, il a été intimidé à son domicile. Il était bloqué chez lui. »
« C’est vraiment le reflet de la société qui m’inquiète plus que la violence à l’égard des élus »
Face au nombre incalculable de menaces reçues par courriel, la tentation de passer outre s’impose parfois. « Je n’y prête même plus attention. Peut-être qu’on a tort de s’en inquiéter mais on ne va pas passer notre temps à courir dans les commissariats », reconnaît Patrick Kanner au sujet des courriers intimidants dont il fait lui-même l’objet. « Il y a une forme de banalisation qui est même quand même inquiétante. Nous-même on l’entretient. Mais il faut que l’on bosse. Il ne faut surtout pas avoir peur de bosser après des menaces, ce serait la fin de la démocratie sinon. »
« Il ne faut rien laisser passer. Il faut porter plainte à chaque fois », insiste avec force François Patriat, le président du groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), le petit groupe de la majorité présidentielle au Sénat. L’ancien président du Conseil régional de la Bourgogne et ancien ministre avait lui-même connu des intrusions violentes de manifestants dans son domicile il y a une vingtaine d’années. « Il faut que la justice suive et que ça ne se traduise pas par une main courante. »
Une vague de courriels menaçants visant les parlementaires à la mi-juillet avant le vote sur le passe sanitaire avait également conduit la présidence du Sénat à réagir. Dans un courrier adressé à l’ensemble de ses collègues, Gérard Larcher avait annoncé sa décision de porter plainte pour « menaces » et « actes d’intimidation » à l’égard d’élus. Selon la sénatrice LR Catherine Procaccia, l’individu a été retrouvé, jugé puis condamné. « Il a été trouvé facilement. Il n’y a pas d’anonymat sur les réseaux sociaux. Il faut prendre conscience aux gens qu’ils ne peuvent pas dire et faire n’importe quoi », répond la sénatrice du Val-de-Marne. Elle-même destinataire de courriers menaçants, la sénatrice ne se montre « pas particulièrement inquiète » par les lettres qu’elle reçoit personnellement. « C’est vraiment le reflet de la société qui m’inquiète plus que la violence à l’égard des élus […] On est un peu plus armés que d’autres. Mais cette violence, telle qu’on a pu la voir sur Twitter, envers n’importe qui, de toute autorité, c’est plus préoccupant. »
D’autres n’affichent pas la même distance. « On voit quand même monter une pression par les réseaux sociaux, un niveau d’agressivité parfois impressionnant. J’avoue ne pas avoir été directement interpellé personnellement, mais je fais plus attention qu’avant en fermant mes portes », confie un sénateur centriste, qui a soutenu l’extension du passe sanitaire cet été. « C’est quand même incroyable. Les parlementaires sont libres de leur vote. Il n’y a pas de mandat impératif. Cela démontre la mauvaise santé de notre démocratie. »
Claude Malhuret a reçu 1 500 menaces de mort après un discours
Si les menaces par voie postale concernent presque exclusivement les mesures sanitaires, le phénomène n’a évidemment pas commencé avec la crise sanitaire. La crise des Gilets Jaunes a été un autre moment difficile pour certains élus nationaux. Claude Malhuret, un orateur bien connu au Sénat, président du groupe Les Indépendants, se souvient de quelle façon ses discours pourfendant les casseurs ont été accueillis sur le terrain. Il s’était confié au Point il y a près d’un an. « Rameutée par les réseaux sociaux, une foule d’agités hurlait dans la rue, sous les fenêtres de mon bureau : Malhuret, on va te faire la peau. Nos démocraties sont sur une pente glissante. » A l’époque, le sénateur de l’Allier avait reçu 1 500 menaces de mort, au point que le ministère de l’Intérieur a dû lui proposer une protection policière.
Représentants des élus locaux, les sénateurs sont aussi témoins des violences que peuvent parfois subir au quotidien les maires. En 2019, l’exemple le plus glaçant avait été atteint par la mort du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel. Un travail avait été mené par le Sénat, dans la foulée, pour apporter des réponses. Philippe Bas (LR) avait présenté un rapport avec 12 recommandations. Parmi lesquelles : la demande aux parquets « d’orientations fermes » en cas d’agressions d’élus locaux. En octobre, le sénateur de la Manche avait indiqué que les recommandations sénatoriales étaient progressivement mises en œuvre avec l’accélération de la réponse pénale. « Satisfait de voir que la Justice a fait preuve de fermeté à l’encontre de l’agresseur du maire du Faulq, près de Lisieux, condamné à 14 mois de prison, et cela six jours seulement après avoir commis le délit », avait-il souligné.
Les chiffres compilés par l’Association des maires de France mettent toutefois en évidence une progression inquiétante des faits de violence à l’égard d’élus locaux. Pour l’année 2020, près de 1 300 agressions, menaces ou insultes ont été recensées, soit trois fois plus qu’en 2019, ont été relevées par l’AMF.