Le texte sur la protection des lanceurs d’alerte amendé au Sénat, suscite l’inquiétude des associations

Le texte sur la protection des lanceurs d’alerte amendé au Sénat, suscite l’inquiétude des associations

Les sénateurs vont examiner en séance une proposition de loi des députés visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte. La commission des lois, en décembre, a mené un travail de réécriture pour y intégrer des « garde-fous » et aboutir à un texte « équilibré ». Un collectif de lanceurs d’alerte parle de « reculs » préoccupants.
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Ils sont à l’origine de révélations de scandales sanitaires ou financiers, pour avertir l’opinion publique et servir l’intérêt général. Les lanceurs d’alerte constituent un rôle de vigies dans nos démocraties et nos sociétés. Mais en divulguant des informations sensibles, ces personnes s’exposent à des risques judiciaires et mettent leur carrière en jeu. Le cadre juridique est sur le point d’évoluer. Les sénateurs examineront les 19 et 20 janvier une proposition de loi du député Sylvain Waserman (MoDem), adoptée à l’unanimité le 17 novembre, qui vise à la protection des lanceurs d’alerte. Le texte aborde leur statut, entend apporter des garanties, y compris aux personnes qui les assistent, et améliorer leur soutien financier.

La France doit, comme tous les autres Etats membres de l’Union européenne, transposer dans sa législation une directive européenne de 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union. Le texte parlementaire a été, sur bien des points, plus ambitieux que ce que prévoyait la directive. L’enjeu pour la France était notamment de corriger les failles de la loi dite « Sapin II » de 2016, qui avait jeté les premières bases du statut des lanceurs d’alerte dans notre droit. Le bilan de loi pionnière est mitigé, puisqu’elle n’offre pas toutes les garanties aux lanceurs d’alerte.

La proposition de loi a été examinée en commission des lois au Sénat mi-décembre. Pour la rapporteure Catherine Di Folco (LR), les amendements ont eu pour objectif de « parfaire l’équilibre » entre, d’un côté, la protection des lanceurs d’alerte et, de l’autre, la sauvegarde des secrets protégés ou des intérêts matériels d’organisations « qui peuvent être injustement mis en cause par une alerte ».

Des représentants de lanceurs d’alerte y voient plutôt des « reculs ». Dans une tribune publiée dans Le Monde et Les Echos le 12 janvier, un collectif de lanceurs d’alerte, dont Irène Frachon (à l’origine des révélations sur le Mediator) et Antoine Deltour (enquête « LuxLeaks »), ont fait part de leurs vives préoccupations face à ce qu’ils nomment « des reculs qui dépassent l’entendement ». La Maison des lanceurs d’alerte, qui fédère plusieurs organisations, a appelé à un « rassemblement citoyen » devant le Sénat ce mercredi. Le 21 décembre, la Défenseure des droits s’est elle aussi inquiétée des modifications intervenues en commission au Sénat. Elle a dénoncé un texte « en net recul ». La Défenseure des droits verrait d’ailleurs son rôle renforcé dans la proposition de loi, sur la question des lanceurs d’alerte.

Un critère de « gravité » des faits révélés comme condition au cadre de protection

La définition du cadre juridique, le préalable à toute forme de protection, a évolué. Selon le texte adopté par les députés, le lanceur d’alerte est défini comme « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général », ou une violation d’un engagement international de la France. Un amendement de la rapporteure a remplacé la notion de « menace ou préjudice pour l’intérêt général » (déjà présente actuellement dans le droit, dans la loi Sapin II) par celle « d’actes ou d’omissions allant à l’encontre des objectifs poursuivis par les règles de droit ». Selon la sénatrice LR, « une menace ou un préjudice pour l’intérêt général » auraient laissé une « marge d’appréciation excessive au juge ». « En démocratie, c’est au peuple et à ses représentants, et non aux tribunaux, qu’il appartient de dire ce qui relève ou non de l’intérêt général », a-t-elle affirmé en commission. Or, selon la tribune d’un collectif de lanceurs d’alerte, en s’en tenant à des délits ou des crimes, cette modification exclurait « de fait » les révélations d’optimisation fiscale comme les Luxleaks. Les signataires parlent de « reculs du droit existant » et rappellent que la directive européenne comporte une clause de non-régression.

Sous son initiative, la commission des lois a limité l’application du régime général de protection des lanceurs d’alerte au signalement de faits présentant « un certain degré de gravité », comme l’actuelle législation française le prévoit. Catherine Di Folco entend « limiter les risques de dérives ». Cette condition de gravité ne sera pas exigée pour les cas de violation du droit européen visés par la directive européenne. Selon la Défenseure des droits, cette nouvelle définition de l’alerte est de nature à « complexifier » et donc « fragiliser » le parcours des lanceurs d’alerte.

Pour la commission des lois du Sénat, il convient de bien mesurer ce que la suppression de la condition de « gravité » aurait signifié. Elle rappelle que le Conseil d’Etat a recommandé d’ « évaluer l’impact de telles mesures, notamment en ce qui concerne les risques de détournement du dispositif de protection ». Les groupes de gauche, mais aussi des membres du groupe centriste, défendront un retour au texte de l’Assemblée nationale sur ce point, en séance.

Seules des personnes physiques ne pourraient être reconnues comme facilitateurs

Les sénateurs ont également modifié les dispositions relatives aux « facilitateurs », ces personnes qui assistent les lanceurs d’alerte, et qui doivent bénéficier des mêmes protections que ces derniers, selon la directive européenne. Le législateur européen entendait apporter des garanties uniquement aux personnes physiques. Or, les députés ont inclus toutes les personnes morales « de droit privé à but non lucratif ». Là aussi, la commission a réduit le périmètre et a limité le dispositif aux personnes physiques, pour éviter des « dérives », selon les termes de Catherine Di Folco. « On ne peut pas négliger le risque que des associations de façade soient créées, soit par des détenteurs d’intérêts économiques, soit même par des puissances étrangères, pour déstabiliser des entreprises ou des administrations françaises », a-t-elle mis en garde, d’où ces « garde-fous ».

La rapporteure n’envisageait pas au départ de limiter les facilitateurs aux seules personnes physiques. Selon l’un de ses amendements (retiré en commission, le temps de poursuivre les réflexions), le statut de facilitateur aurait pu être accordé aux syndicats représentatifs et à des associations « spécialement agréées par le gouvernement », qui auraient le pouvoir de divulguer des informations pour le compte d’un lanceur d’alerte. Le sujet pourrait donc évoluer en séance publique. De l’avis même de la rapporteure, cet article suscite des « crispations ».

Des exceptions au principe d’irresponsabilité pénale

Une autre retouche est venue borner les irresponsabilités civile et pénale accordées par la loi aux lanceurs d’alerte, ce qui inquiète les principaux concernés. L’irresponsabilité sera limitée aux seules informations dont la divulgation était nécessaire à « sauvegarde des intérêts en cause ». La rapporteure a évoqué un « objectif de responsabilisation des lanceurs d’alerte », afin d’éviter la divulgation d’informations en masse sans rapport avec les informations dénoncées. L’irresponsabilité ne pourra pas non plus s’appliquer, selon le texte de la commission sénatoriale, en cas d’atteinte à la vie privée (violation de domicile ou de locaux professionnels) ou d’atteintes aux systèmes de traitement automatisé. Selon le compte rendu des débats en commission, l’amendement est en partie une réponse aux craintes que l’article a suscité « dans le monde agricole ».

Le mécanisme prévu par les députés pour protéger les lanceurs d’alerte contre les procédures « bâillons », c’est-à-dire les représailles judiciaires, a également été remanié. La proposition de loi permettait initialement au juge de pouvoir verser au lanceur d’alerte une provision pour ses frais d’instance ou pour subsides. La commission des lois du Sénat a considéré que le fait que cette provision puisse être définitivement acquise à tout moment de la procédure était « disproportionné ». « Comment imaginer de décider du caractère définitif d’une provision avant même toute décision sur le fond et alors que le lanceur d’alerte pourrait perdre son procès ? » s’est interrogée la sénatrice Catherine Di Folco.

Dans l’accompagnement des lanceurs d’alerte, les sénateurs auraient en réalité préféré la solution d’un fonds public, financé par les amendes prononcées à l’encontre des personnes qui font obstacle aux alertes. Mais les parlementaires sont bloqués par les restrictions d’amendements en matière budgétaire.

Après le vote du texte en séance, une commission mixte paritaire devra réunir députés et sénateurs. Mais les lanceurs d’alerte redoutent un « mauvais compromis », voire « l’abandon pur et simple » du texte à cause des « échéances électorales ». Le temps est en effet compté puisque le Parlement interrompt ses travaux fin février.

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