Tensions entre l’exécutif et le Sénat : vers des représailles institutionnelles ?

Tensions entre l’exécutif et le Sénat : vers des représailles institutionnelles ?

Accusés d’avoir « instrumentalisé » les institutions, les sénateurs s’attendent à des représailles de la part de l’exécutif après la décision du Bureau de la Haute assemblée de transmettre à la justice les déclarations sous serment de trois proches d’Emmanuel Macron devant la commission d’enquête sur l’affaire Benalla.
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Jeudi, la réaction coordonnée et virulente de l’exécutif et de plusieurs membres de la majorité présidentielle à l’encontre du Sénat en a surpris plus d’un au Palais du Luxembourg. « Exagérée et excessive » pour le sénateur communiste Éric Bocquet, membre du Bureau du Sénat. « Une réaction surjouée qui n’est pas à la hauteur de l’évènement pour le président du groupe PS, Patrick Kanner. Quant au secrétaire LR de la haute assemblée, Michel Raison, il est toujours « estomaqué par la manière dont ils ont réagi ». « Ils ont créé le buzz ».

« On est de la mauvaise herbe ? »

En décidant, comme il en a le pouvoir, de transmettre au parquet les déclarations faites sous serment de Patrick Strzoda, directeur de cabinet du président de la République, du secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler et du patron du GSPR, Lionel Lavergne, le Bureau du Sénat s’est attiré les foudres de l’exécutif. Une première depuis le début du quinquennat (voir notre article). Certains, comme le député LREM, Sacha Houlié n’y sont pas allés de main morte, préconisant sur Twitter de « traiter » « ce coup de force du Sénat ». « Il se prend pour un parlementaire Round Up ? On est de la mauvaise herbe ? » ironise Patrick Kanner.

De là à voir dans cette réaction d’humeur le prélude d’une représaille institutionnelle, il n’y a qu’un pas, que le président du groupe LREM du Sénat, François Patriat, franchit aisément. « Le climat va se tendre entre le Sénat et l’exécutif. Et le sort du Sénat pourrait bien être tranché lors de la prochaine réforme des institutions » lance-t-il énigmatique dans une interview au journal Le Parisien, dès jeudi soir.

Décision du Bureau : « A aucun moment, je n’ai senti la volonté de régler des comptes »

Dimanche dans l’émission le Grand Rendez-vous, Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Éducation Nationale et de la Jeunesse, rejette l’idée de toutes « représailles » mais indique « qu’il est vrai que la question institutionnelle est posée régulièrement dans le grand débat ». Et à la question d’une possible fusion entre le Sénat et le Conseil économique social et environnemental (CESE), telle qu’évoquée par Emmanuel Macron lui-même dans sa lettre adressée aux Français, Gabriel Attal répond : « Je pense qu’il faut tout regarder ».

À en croire plusieurs membres du Bureau, cette idée d’une fusion entre le CESE et le Sénat dans une prochaine réforme institutionnelle, n’a pas du tout pesé dans la décision prise jeudi. « Nous n’en avons pas du tout parlé. La réunion était très technique. C’est la logique qui l’a emporté. Si on laisse passer le mensonge sous serment devant une commission d’enquête, c’en est fini de la mission de contrôle du Parlement » rapporte Miche Raison. « À aucun moment cet aspect n’a été évoqué » confirme Éric Bocquet. « C’était un débat sans passion et sans dérapage. À aucun moment, je n’ai senti la volonté de régler des comptes. Après je ne suis pas dans la tête des gens ».

« Je peux vous assurer que l'approche qui a été celle du Bureau n'a pas été une approche politicienne, n'a pas été une approche politique, que nous respectons l'expression des uns et des autres mais que tout simplement il fallait respecter l'ordonnance de 1958, en tirer les conséquences sereinement, tranquillement » a d’ailleurs confirmé Gérard Larcher, vendredi, l'issue d'une conférence à Sciences Po Lille, boycottée par son homologue à l'Assemblée nationale Richard Ferrand (LREM) (voir notre article).

« L’Élysée crève d’envie de reléguer le Sénat au même rang que le CESE »

Difficile à ce stade de connaître les intentions de l’exécutif concernant le sort réservé au Sénat dans la réforme constitutionnelle, dont l’examen est à l’arrêt depuis la mise en place en juillet de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla. Vu les textes appelés à être examinés au cours des prochains mois, elle ne reprendra pas avant l’été. « L’Élysée crève d’envie de reléguer le Sénat au même rang que le CESE. Il dit qui ne va pas le faire tout en cherchant les moyens de le faire. On a une démocratie représentative qui ne fonctionne pas, un Sénat qui n’est jamais écouté, une technocratie omniprésente et la seule réponse de l’exécutif c’est de désigner les sénateurs à la vindicte populaire » observe le sénateur LR François Grosdidier.

Bicamérisme : quand Larcher rappelait la déclaration de Macron faite au Congrès

Politiquement délicate, une réforme du Sénat par référendum nécessiterait, en principe, de passer par l’article 89 de la Constitution. Le projet de loi constitutionnelle nécessiterait, alors, en amont de la consultation des citoyens, un vote identique des deux chambres. Lors de ses vœux de janvier, Gérard Larcher avait indiqué que le Sénat ne voterait pas une telle réforme avant de confier la teneur d’un de ses échanges avec Emmanuel Macron. « Je lui ai demandé : Est-ce que vous vous affranchissez de votre déclaration faite au Congrès : je crois au bicamérisme ? Il m’a dit non. Il n’est pas question de fusion, dans ma tête, entre le Conseil Économique et Social et le Sénat ».

Baisse du nombre de parlementaires : « Ce serait simplement présenter des scalps »

Il n’en est pas de même pour la réduction du nombre de parlementaires qui pourrait faire l’objet d’un référendum tel que défini dans l’article 11 de la Constitution, où le vote en amont des deux assemblées n’est ici pas requis. Comme nous l’expliquions il y a 15 jours, cette demande est récurrente, essentiellement pour des raisons budgétaires, dans les propositions citoyennes figurant sur la plateforme en ligne du Grand débat national. Elle est aussi l’une des plus plébiscitées dans l’opinion. Selon un sondage Ifop pour le JDD publié le 6 janvier, 82% des personnes interrogées se déclaraient favorables à la mesure. « On ne peut pas à la fois traverser une crise de la représentation, constater qu’il y a un besoin d’écoute dans les territoires et en même temps baisser le nombre de parlementaires » s’offusque Hervé Marseille, président du groupe centriste du Sénat. « Ce ne serait même pas pour une question d’économie, ce serait simplement présenter des scalps » embraye Patrick Kanner. Sans oublier que la promesse d’Emmanuel Macron d’une baisse de 30% du nombre de parlementaires conjuguée à une dose de proportionnelle de 15% à l’Assemblée nationale commence à faire douter au sein même des parlementaires LREM (voir notre article).

« Il faut sortir des enfantillages »

Un climat qui augure une ambiance électrique aux questions d’actualité du Sénat mardi. Après son boycott par Édouard Philippe, jeudi, les sénateurs lui réservent-ils un comité d’accueil ? « Je ne pense pas, il faut sortir des enfantillages » espère François Grosdidier. « On verra à la réunion de groupe demain matin ce qu’on décide. Mais je pense que l’intelligence voudrait qu’on ne fasse rien. Il faut prendre de la hauteur » complète Michel Raison. Il y a fort à parier néanmoins que le retour d’Édouard Philippe au Sénat demain ne passera pas inaperçu.

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