Les travaux de la Commission d’enquête sénatoriale sur « la situation de l’hôpital et le système de santé en France » se poursuivent. Les élus de la Chambre Haute se penchaient ce lundi 14 février sur l’organisation de la prise en charge des soins non programmés et des soins urgents, à travers l’audition de Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), de Serge Smadja, secrétaire général de SOS médecins et président de SOS médecins Paris et d’Olivier Richard, le chef de service du Samu des Yvelines. Très vite, il a été question de la perte d’attractivité de ces professions et du désamour des jeunes praticiens pour ce type de médecine, souvent contraignante car impliquant d’enchaîner les nuits et les week-ends de garde, mais aussi les kilomètres lorsqu’il s’agit de consultations à domicile. « Il vaut mieux faire un métier en médecine ou vous n’avez pas de gardes de nuit, pas d’astreintes le week-end, plutôt que de faire nos métiers, dans lesquels on voit qu’il est très difficile de vieillir », admet Patrick Pelloux.
Une situation paradoxale, dans la mesure où le développement de l’ambulatoire, et donc la place accordée au maintien du patient à son domicile durant son parcours de soins, confère un rôle primordial à la médecine d’urgence en ville. « On parle sans arrêt des déserts médicaux. Il n’y a pas besoin d’invoquer cette image d’Épinal de la campagne. Cela concerne aussi la ville. Il y a des arrondissements, à Paris, où il est impossible de trouver un médecin la nuit », relève Patrick Pelloux.
« La visite à domicile reste essentielle, mais elle est en danger »
Ainsi, Serge Smadja insiste sur l’importance de la consultation à domicile, lorsqu’il s’agit de personnes âgées, souffrant de pathologies invalidantes, ou même « d’une mère seule qui ne peut pas se déplacer parce qu’elle a trois enfants ». « Pour nous, la visite à domicile reste essentielle, mais elle est en danger. Elle est essentielle pour appréhender la globalité de la réalité sociale et familiale des patients. Elle est essentielle pour maximiser le virage ambulatoire dont on parle depuis si longtemps. Elle est essentielle parce qu’il y a énormément de pathologies invalidantes où le patient ne peut pas se déplacer. Elle est essentielle dans certaines épidémies, parce qu’en restant chez soi, cela contribue à limiter la transmission de la maladie », fait-il valoir. Mais la pratique souffre désormais du développement de la téléconsultation.
« Si le médecin est rémunéré de la même façon, selon qu’il soit chez lui dans son canapé devant l’ordinateur, ou qu’il monte à 4 heures du matin les étages pour voir une personne âgée en décompensation… plus personne ne voudra jamais faire de consultation à domicile. Attention de ne pas déséquilibrer l’offre tarifaire ! », alerte Serge Smadja.
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L’écueil de la téléconsultation
D’une manière générale, les avertissements contre la télémédecine se sont multipliés tout au long de cette audition. Patrick Pelloux et Serge Smadja reprochent au gouvernement d’y voir une martingale contre la désertification médicale. « Je ne vois pas comment vous allez examiner des personnes âgées en télémédecine, je ne vois pas comment. Ça me parait… Je suis peut-être un vieux con, mais les malades doivent être examinés ! », s’agace l’urgentiste. « La politique tarifaire des actes a déséquilibré l’offre. La téléconsultation peut répondre à des demandes de soins dans certains cas. Quand on y met le bon périmètre, elle peut être tout à fait utile », nuance le patron de SOS Médecins. « Mais il ne faut pas brandir la téléconsultation comme la réponse à tout, comme la réponse aux déserts médicaux, comme la réponse à la démographie médicale, la réponse aux urgences… On ne peut pas tout faire en téléconsultation », martèle-t-il.
La crainte est aussi celle d’un système de soins à deux vitesses : avec une médecine dématérialisée, que risquent de privilégier des patients qui ne sont pas en mesure de se déplacer ou d’assumer des dépassements d’honoraire, et une médecine physique, réservée à une patientèle moins contrainte. « Je me permets de dire devant votre commission : faites attention qu’il n’y ait pas de médecine où des gens qui ont des sous pourront voir le médecin, et une médecine où on aura recours à la téléconsultation ou à des infirmières en pratiques avancées », lâche Patrick Pelloux.
Redonner de l’attractivité
« Qu’est ce qui peut rendre la visite à domicile plus facile qu’elle ne l’est actuellement ? », interroge la rapporteure LR Catherine Deroche. Et plus largement, comment rendre leur attractivité aux métiers de gardes et d’astreintes ? « La réponse est simple : revalorisation. 35 euros la visite à domicile, ce n’est pas possible ! », pointe le docteur Olivier Richard, chef de service du Samu des Yvelines. « Et ça ne peut pas être quelques centimes d’euros, c’est impossible. C’est un investissement très important. On est en train de louper le virage de l’ambulatoire ! », alerte-t-il.
Patrick Pelloux tient également à évoquer une rupture générationnelle : selon lui, les jeunes médecins ne conçoivent plus leur métier en termes de contraintes horaires. « L’obligation de faire des gardes, cette contrainte au temps n’est plus d’époque […] », relève-t-il. « On a perdu quelque chose, il est extrêmement difficile de motiver la jeune génération à venir faire des gardes aux urgences ». Aussi, propose-t-il « une obligation des gardes, avec un contrat d’objectifs et de moyens ». Une solution qui paraît un peu trop radicale à Serge Smadja, ce praticien redoute qu’une telle mesure n’agisse comme un repoussoir. « Je suis réservé sur cette obligation. La médecine doit rester libérale, il faut de l’attractivité, mais si vous mettez des obligations vous n’attirerez pas. » Et d’ajouter : « L’obligation pour un système libéral est un peu incompatible avec le principe d’exercice. »