Dans son rapport annuel rendu public le 28 octobre dernier, la délégation parlementaire au renseignement a souhaité mettre en lumière un sujet peu traité dans ses rapports précédents : la lutte et la prévention de la criminalité organisée, et plus précisément du trafic de drogue. En effet, depuis les attentats de 2015, la DPR s’est avant tout consacrée à la question du terrorisme. La prévention de ce dernier représentait en 2021 près de 46,3 % des finalités fondant les demandes de techniques de renseignement. La raison de ce choix ? « Les menaces sur les intérêts fondamentaux » apportés par le trafic de stupéfiants demande un véritable travail de prévention.
C’est au regard de la situation européenne, comme aux Pays-Bas, que les députés et sénateurs membres de la délégation ont proposé dix recommandations, à déployer dans le recrutement de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED), mais aussi dans la prévention des risques dans le cyberespace. Des recommandations spécifiques car ces menaces « nécessitent des compétences d’investigation et des compétences techniques de pointe ».
Dans son rapport, la délégation explique vouloir prévenir le risque de voir la France devenir « un narco-état » 2.0. Le rapport fait ici référence aux Pays-Bas où le trafic de drogue transitant par le port de Rotterdam est responsable de la création d’une mafia néerlandaise qui menace désormais la vie du Premier ministre, et même de la princesse héritière. Une situation tendue, « nécessairement (...) un sujet d’inquiétude pour la France », car la proximité avec les Pays-Bas et son port de Rotterdam « a un impact direct » sur ses propres réseaux de drogue.
Face à « des enjeux techniques », la nécessité d’un recrutement amélioré
Recommandation phare de la délégation : s’assurer « d’un meilleur recrutement » et d’une « meilleure rétention des personnes » luttant contre la cybercriminalité. Un point clé du dispositif de prévention du trafic quand, selon la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), le trafic de stupéfiants représente 70 % de l’ensemble de la criminalité organisée et de la délinquance spécialisée sous ses diverses formes. Les députés et sénateurs se sont réjouis d’observer la clarification des rôles de chaque entité dans les services secrets grâce à la réforme des offices élaborée en 2021. Selon ces derniers, la lutte contre la criminalité organisée étant de fait transversale, il est important d’amplifier la communication et de fluidifier le travail entre les multiples entités en institutionnalisant « la relation entre services de renseignement et services de police judiciaire », aujourd’hui en pleine réforme.
Car le déplacement du trafic de drogue du réel au cyberespace est désormais un enjeu clé. Selon les services de renseignement, c’est justement dans ces domaines qu’il est plus difficile de recruter durablement, d’où la recommandation de la délégation d’assurer une formation et de prioriser le secteur.
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Le nouveau défi des services est de faire face à de « nouveaux moyens de commercialisation » de produits de la criminalité (drogues, armes à feu etc). Utilisant généralement le dark web, un web « caché » uniquement accessible via des logiciels, ou des protocoles spécifiques et permettant un accès simplifié à la criminalité et autres contenus illicites payables en cryptomonnaies, les trafiquants sont désormais d’autant plus difficilement identifiables. Face à ces nouvelles problématiques techniques, la délégation préconise de répondre par des moyens d’enquête et d’investigation adaptés. « L’enjeu pour la DNRED « serait désormais de pérenniser une « cyberdouane ». Cette dernière servirait à démanteler plus rapidement des structures fournissant « stupéfiants, armes et faux papiers ».
La corruption est « un vrai sujet qui n’est pas anecdotique », a expliqué pendant son audition le directeur de la police judiciaire, Jérôme Bonet. Parmi les recommandations de la délégation figure ainsi l’importance « d’élargir le champ d’application des déclarations d’intérêts », à l’instar des dockers, en première ligne dans le trafic de stupéfiants. Le port du Havre est la première plateforme de débarquement des conteneurs et concentre la majorité des saisies de cocaïne. Le risque pour les travailleurs est ainsi de faire face à des menaces de la mafia s’ils ne coopèrent pas avec eux, engrangeant ainsi une spirale corruptive. Pour la délégation, il est essentiel de traiter de manière « frontale la corruption ». Elle propose ainsi de mettre en place l’opération « Mains propres » comme en Italie dans les années 1990, où une série d'enquêtes avait été réalisée pour mettre à jour les différents systèmes de corruption qui irriguent la société.
Clarifier la coopération des services secrets français avec leurs homologues étrangers
Le rapport revient enfin sur l’arrêt « Big Brother Watch », pris par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en 2018. Ce dernier souligne la nécessité du partage des données entre services tout en garantissant la convention des droits de l’homme. Or, c’est précisément parce que la France ne respecte pas ce principe que la délégation estime que sa condamnation « ne fait aucun doute ». L’instance préconise ainsi d’établir un cadre clair pour les relations entre services secrets français et ses homologues avant l’arrêt condamnant la France. Dans le cadre actuel, les échanges avec des pays étrangers sont entièrement protégés d’un contrôle indépendant, ce qui pourrait mener à un contournement de la loi selon la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Un point clé dans le dispositif de la lutte contre le trafic de stupéfiants qui nécessitera à coup sûr selon la délégation « un encadrement législatif ».