Santé des étudiants : « Si on ne traite pas leurs problèmes, les conséquences seront lourdes et durables »

Santé des étudiants : « Si on ne traite pas leurs problèmes, les conséquences seront lourdes et durables »

La mission d’information sur la vie étudiante du Sénat organisait ce jeudi deux tables rondes. La première consacrée à la santé des jeunes, puis la seconde dédiée plus précisément à leur santé mentale. Cette période de crise du covid-19 a souligné en effet la détresse dont souffrent les étudiants, un phénomène qui existait déjà avant la crise.
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Par Fanny Conquy

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« Tous les étudiants peuvent être touchés, toutes les classes sociales, toutes les filières peuvent être concernées. Et c’est important à souligner : cette crise de la santé mentale étudiante n’a pas commencé avec la crise covid-19. On a commencé à en parler à ce moment-là, mais il ne faut pas oublier que cela existait avant », déclare Patrick Skehan, délégué général de Nightline, association étudiante dédiée à la santé mentale.

Les problèmes de santé chez les jeunes, et notamment les troubles psychiques se traduisent par de l’anxiété, des problèmes de sommeil, des états dépressifs, qui peuvent aller jusqu’aux pensées suicidaires. Christophe Tzourio, neurologue, rappelle d’ailleurs que le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes. Ces problèmes de santé mentale peuvent apparaître vers l’âge de vingt ans. Et « cette souffrance peut s’accompagner de phénomènes d’addictions, que cela soit le binge drinking avec l’alcool, la consommation de cannabis ou d’autres drogues, ou encore la prise de benzodiazépines », psychotropes anxiolytiques qui peuvent créer une forte dépendance.

Pour Pierre – Edouard Magnan président de la mutuelle étudiante Emevia, « si on ne traite pas les problèmes des jeunes, il faut avoir conscience que l’impact sera lourd et long. Les problèmes de santé mentale, c’est un enjeu majeur. Mais il faut aussi souligner l’existence d’autres problèmes chez les étudiants, comme la mauvaise alimentation : il y en a qui ne mangent pas assez, ou qui mangent mal. Une question souvent liée à la précarité étudiante. » Vincent Beaugrand, directeur général de la Fondation santé des étudiants de France estime lui aussi que « sans prise en charge, il peut y avoir des phénomènes de décompensation dans les prochaines années. L’impact de la crise sur la santé mentale risque d’être long. ».

 

L’importance de la prévention

Face à ces situations, il faut renforcer la prévention. « Cet âge représente une opportunité formidable de faire de la prévention » estime le neurologue Christophe Tzourio. Cela permet par ailleurs de réduire le recours à des soins plus tard. Pierre – Edouard Magnan président d’Emevia va dans le même sens « C’est un point crucial, c’est le moment de faire de la prévention et de l’éducation à la santé. C’est un investissement sur l’avenir ».

Laurentine Véron et Fanny Sauvade, psychologues, fondatrices et codirectrices de l’Association Apsytude estiment également qu’il faut agir très vite. Les jeunes qui ont des pensées suicidaires imaginent qu’il s’agit parfois de leur seule issue, et ont du mal à demander de l’aide « Il faut faire de la prévention très précoce pour éviter que ça en arrive à ce point. Il est essentiel d’intervenir extrêmement tôt. »

Comparaison internationale

Mais pour une prévention efficace, encore faut-il pouvoir rediriger les jeunes vers des structures de soins. Patrick Skehan, délégué général de Nightline, association étudiante sur la santé mentale, pose la question des moyens : « On ne peut rien faire si les structures de base ne peuvent pas prendre en charge les étudiants qu’on leur envoie. Il faudrait par exemple beaucoup plus de moyens pour les Bureaux d’aide psychologique universitaire (BAPU), pour les services de santé universitaire, ce sont des acteurs essentiels. Car c’est très bien la prévention, mais sans les professionnels on est démunis. »

Pour Patrick Skehan, les structures en France sont sous-dotées et il manque une stratégie nationale sur le sujet. Selon une étude menée par l’association Nighline : « En Irlande, avant la crise Covid, il y avait un psychologue pour 2600 étudiants. En Irlande, il y a dix fois moins d’étudiants qu’en France mais en août ils ont annoncé un investissement de 5 millions d’euros pour renforcer leur stratégie sur la santé mentale étudiante et ajouter des postes de psychologues. En Ecosse, avant la crise, il y avait un psychologue pour 3800 étudiants. Au Québec, il y avait un psychologue pour 3000 étudiants… En France, avant la crise il y avait un psychologue pour 30 000 étudiants. »

 

 

Le chèque « santé psy étudiant »

C’était une promesse d’Emmanuel Macron en janvier dernier, le gouvernement a lancé ce mois-ci la plateforme « santé psy étudiant ». Dédiée aux jeunes, elle leur permet de bénéficier gratuitement de trois à six séances avec un psychologue, en face-à-face ou en visioconférence. Pour Yannick Morvan, enseignant-chercheur à l’Université Paris-Nanterre « ce chèque psy va dans le bon sens, mais il faut que cela soit cohérent avec les dispositifs existants, il faut éviter l’effet d’empilement. Il y a des besoins oui, mais six séances cela ne suffit pas. On parle plutôt de vingt séances pour un vrai travail. Cependant, c’est mieux que rien. »

Abdoulaye Diarra, président de la mutuelle LMDE est plus sévère « le chèque psy étudiant cela ne marche pas. On compte 754 psychologues partenaires sur toute la France, ça représente 1 % de l’offre de psychologues en France. On crée un nouveau dispositif, mais la réponse est mineure face au problème. C’est comme si on avait un ticket resto, mais utilisable dans seulement 1 % des restaurants. » Le gouvernement avance de son côté un chiffre de 1400 professionnels inscrits sur la plateforme.

 

Rouvrir les universités : enjeu prioritaire

Le neurologue Christophe Tzourio souligne que le confinement, le couvre-feu, et les cours à distance ont un très fort impact sur la santé mentale des jeunes adultes. « C’est une population fragile, en construction, il est essentiel pour eux d’être en contact avec leurs pairs. C’est cruel de leur interdire de se voir. » Il rappelle qu’à cette détresse psychologique s’ajoutent souvent des difficultés financières. Avec les petits boulots qui se sont arrêtés, certains n’arrivent pas à payer leur chambre au Crous. « Les jeunes n’en peuvent plus, ils ont le sentiment de ne pas être aidés, et ça peut parfois leur donner envie de ne plus suivre les injonctions ».

Mohammed Benlahsen, président de l’Université Picardie-Jules Verne a présenté les effets délétères de l’enseignement à distance, et rappelé l’injustice face aux classes de BTS par exemple qui ont pu continuer à se tenir en présentiel. Vincent Beaugrand, directeur général de la Fondation santé des étudiants de France l’affirme : « L’enjeu de la réouverture des facs est un enjeu majeur. Tant qu’on ne rentre pas là-dedans ce sera difficile. Donc rouvrons les facs ! »

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