Réforme des retraites : levée de rideau au Sénat, qui entend marquer le texte de son empreinte

Réforme des retraites : levée de rideau au Sénat, qui entend marquer le texte de son empreinte

Les sénateurs débutent l’examen de la réforme des retraites. Avec 11 jours de débats, la majorité de droite et du centre entend aller au bout du texte. Ils soutiennent le report de l’âge à 64 ans, mais défendent de nouvelles mesures pour les femmes et les seniors. La gauche va se relayer pour batailler pied à pied contre le texte, à coup de motions de procédure et d’amendements. On en compte au total 4.730.
François Vignal

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Levée de rideau. C’est parti pour 11 jours d’examen de la réforme des retraites au Sénat. Après des débats sous haute tension à l’Assemblée et un examen qui n’a pas pu dépasser l’article 2 du texte, les choses vont prendre une tout autre tournure à la Haute assemblée, qui planche sur la réforme jour et nuit jusqu’au 12 mars, week-ends compris. Pour le Sénat, qui va pouvoir jouer de la comparaison avec l’Assemblée, cet examen prend presque un air de revanche. C’est deux salles, deux ambiances. « Le Sénat, c’est le sérieux, ce n’est pas la guignolisation », lance Bruno Retailleau, à la tête des sénateurs LR. Avec à la clef une image qu’on imagine plus positive, avec des débats au fond, renforçant le bicamérisme.

Les sénateurs de droite soutiennent une réforme… inspirée de leurs propres travaux

La majorité sénatoriale, composée des LR et des centristes, a déjà annoncé son souhait d’aller au bout de l’examen du texte. Et surtout de le voter. Un soutien logique pour la droite sénatoriale. L’exécutif s’est inspiré de l’amendement que les sénateurs défendent tous les ans, lors de l’examen du budget de la Sécu, qui porte à 64 ans (ou 63 ans, selon les années) l’âge légal de départ et accélère la réforme Touraine. Exactement l’option choisie par le gouvernement, en lieu et place de la promesse de campagne d’Emmanuel Macron sur un report à 65 ans. Pour l’exécutif, le calcul était de s’assurer du soutien des députés LR, sans qui il ne peut faire passer sa réforme. Mais dans les faits, une partie des députés LR, Aurélien Pradié en tête, s’est montrée plus retors.

Les membres du gouvernement savent qu’avec les sénateurs, en revanche, on peut discuter. En position de force, la majorité sénatoriale entend en profiter pour marquer le texte de son empreinte. « Le gouvernement a un objectif, la majorité sénatoriale, des exigences. Il faut faire coïncider tout cela », résume ce jeudi dans Le Figaro le président LR du Sénat, Gérard Larcher. Dans la semaine précédant l’arrivée du texte, les sénateurs ont échangé en amont avec les services de Matignon, dans l’objectif assumé de négocier. On frise la coconstruction. La première ministre Elisabeth Borne a même reçu mercredi midi Gérard Larcher et les présidents des groupes LR et centristes, Bruno Retailleau et Hervé Marseille. Un rendez-vous de travail, avec café et jus de fruit. « Il n’y avait même pas à manger ! Inviter des sénateurs sans leur donner à manger, attention… » plaisante un des convives.

Le gouvernement prêt à suivre la majorité sénatoriale sur la question des femmes

Entre deux verres d’eau, les sénateurs ont pu rappeler leurs exigences : conserver l’équilibre de la réforme à l’horizon 2030, des mesures en faveur des femmes et des seniors. Des propositions déjà présentées lors du passage du texte en commission. Pour compenser la maternité, qui engendre des carrières hachées, la droite sénatoriale défend en effet une surcote en faveur des femmes. Sur ce sujet, ils ont pu « toper » sur le principe avec le gouvernement. Bruno Retailleau estime cette proposition à environ 300 millions d’euros.

Des mesures sur les femmes qui pourraient, dans le texte du Sénat, se faire au détriment des « bougés » sur les carrières longues. Car les sénateurs acceptent la première main tendue d’Elisabeth Borne aux LR, qui permet à ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans de partir à 43 ans. Mais pas la dernière proposition sortie du chapeau de la première ministre à la fin de l’examen à l’Assemblée, qui n’avait pas le mérite de la clarté.

Désaccord entre LR et centristes sur les régimes spéciaux

Sur les seniors, le rapporteur LR, René-Paul Savary, défend une boîte à outils avec la création d’un CDI senior à partir de 60 ans, contre exonération de cotisations pour les entreprises. Sur l’index des seniors, LR et centristes ne sont pas d’accord à la base. Les premiers n’y croient pas, quand les seconds voulaient le renforcer, avec un bonus/malus. Ils se sont finalement entendus pour conserver l’index, mais en le ramenant au seuil de 300 salariés, contre 50 dans le texte du gouvernement, tel que transmis au Sénat. La majorité sénatoriale défend par ailleurs la retraite progressive dès 60 ans, et non 62 ans comme le prévoit le gouvernement.

Quelques points de désaccord subsistent entre LR et centristes. Bruno Retailleau entend accélérer la fin des régimes spéciaux, déjà prévus dans le texte, quand Hervé Marseille – comme le gouvernement – ne veut pas en rajouter et mettre de l’huile sur le feu, alors qu’une grève reconductible débute le 7 mars, en plein examen du texte. Une partie des centristes veulent quant à eux augmenter la CSG sur le capital pour trouver de nouvelles recettes. Pas vraiment du goût des LR.

La gauche veut faire durer les débats, tout en examinant les points essentiels

A gauche aussi, la stratégie diffère de celle de l’Assemblée. Ici, pas de Nupes. L’objectif est de faire durer suffisamment les débats pour ne pas aller au bout de l’examen du texte, tout en examinant chaque article essentiel, à commencer par l’article 7 sur le report de l’âge. Il sera débattu au Sénat.

Les sénateurs socialistes, communistes et écologistes, unis contre la réforme, vont user des différentes motions de procédure – question préalable, irrecevabilité, motion référendaire – que leur offrent le règlement et la Constitution. Ils ont bien sûr déposé des amendements par centaines. Au total, 4.730 amendements sont enregistrés, en comptant ceux de la droite. On est loin des 20.000 de l’Assemblée, mais ça fait beaucoup. « A 3.000, ça commence à devenir compliqué », selon le rapporteur René-Paul Savary…

1.451 amendements sur le seul article 7 sur le report de l’âge à 64 ans

Si le report de l’âge à 64 ans sera examiné, les sénateurs de gauche veulent prendre le temps. Rien que sur ce fameux article 7, pas moins de 1.451 amendements ont été déposés. C’est énorme. A 50 amendements de l’heure, rythme qu’on n’observe jamais – on voit plutôt 20 amendements examinés par heure au mieux – il faudrait 29 heures de débats pour tout examiner… Soit plus de deux jours de séance. La présidente du groupe communiste, Eliane Assassi, a déposé à elle seule 277 amendements sur cet article. Au total, la sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis obtient la palme en déposant 754 amendements sur le texte à elle seule.

La majorité sénatoriale a déjà prévenu : s’il le faut, elle est prête à accélérer les débats avec les armes dont elle dispose aussi, comme l’article 38 du règlement, qui limite à deux personnes (un pour, et un contre) les prises de parole sur un amendement ou un article. Quant au gouvernement, s’il ne peut utiliser le 49.3 au Sénat, il a son petit frère : l’article 44 de la Constitution, soit le vote bloqué, qui permet d’abréger sérieusement les débats. L’exécutif a aussi choisi de limiter dans le temps l’examen du texte, grâce à l’article 47-1, qui prévoit 20 jours de débats au maximum à l’Assemblée et 15 jours au Sénat, avant une commission mixte paritaire qui s’annonce déjà décisive.

La gauche sénatoriale entend renvoyer dos à dos la majorité sénatoriale et le gouvernement

Les trois groupes de gauche se sont coordonnés pour préparer leur stratégie. « Nous voulons faire front », prévient Patrick Kanner, à la tête des sénateurs socialistes. Si l’opposition au texte se fera pied à pied, on ne devrait pas assister aux invectives du Palais Bourbon. « C’est une gauche responsable », soutient Eliane Assassi. Guillaume Gontard, à la tête des sénateurs écolos, appelle lui « le Sénat à ne pas être le relais du gouvernement ». La gauche sénatoriale entend renvoyer dos à dos la majorité sénatoriale et le gouvernement, qui ont mené un pas de deux sur ce texte.

 

[Les débats s’ouvrent ce jeudi à 14h30 avec la discussion générale, à suivre dès 14 heures sur Public Sénat et sur publicsenat.fr]

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