C’est devenu une constante au Sénat. Depuis le début du quinquennat précédent, la majorité de droite et du centre intègre systématiquement à chaque budget de la Sécurité sociale une disposition pour ramener le régime des retraites à l’équilibre. L’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 n’a pas échappé à la règle. L’annonce du projet de réforme du gouvernement en janvier 2023 n’y a rien changé, la droite sénatoriale a voulu marquer un acte politique, en intégrant des mesures d’âge automatiques en cas d’absence de compromis des partenaires sociaux, dont le report de l’âge légal de départ à 64 ans. En fin d’examen ce samedi 12 novembre, les sénateurs ont adopté les dispositions proposées par le rapporteur de la branche vieillesse, René-Paul Savary (LR), par 195 voix contre 130. « Après quatre ans de rejet de ces propositions, il est temps d’agir », a pressé la rapporteure générale Élisabeth Doineau (Union centriste).
Opposé à cette méthode, le gouvernement aura la possibilité de retirer ces dispositions, dans la suite de la navette parlementaire. « Nous avons fait le choix de la concertation et d’un projet de loi en janvier, pas d’une mesure dans un projet de loi de financement de la Sécurité sociale », a fait valoir Jean-Christophe Combe. Le ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées a cependant reconnu que l’exécutif et la majorité sénatoriale se rejoignaient « sur les objectifs et les thèmes » soulevés. Actuellement, plusieurs cycles de discussions sont ouverts au ministère du Travail, celui sur le financement devant s’engager le 28 novembre. « N’anticipons pas les débats que nous aurons prochainement […] On préfère ne pas cadrer en avance les termes du débat », a demandé le ministre. Pourtant, Emmanuel Macron avait lui-même pris l’engagement pendant la campagne présidentielle d’un report de l’âge légal.
« Par cet amendement, vous connaissez notre position », résume Philippe Mouiller (LR)
Lors des débats, certains orateurs ont reproché à la droite son absence lors d’une réunion avec les parlementaires au ministère du Travail, dédiée à la question des retraites. « Par cet amendement, vous connaissez notre position aujourd’hui, et à partir de notre position, nous sommes prêts à discuter, mais nous avions besoin de ce message politique pour dire clairement où nous voulions aller », a expliqué Philippe Mouiller, vice-président du groupe LR. Le sénateur des Deux-Sèvres a cependant reconnu que son groupe ne se faisait « pas d’illusions » sur le sort de leur vote, avec la perspective d’un nouveau 49.3 lors du retour à l’Assemblée nationale du projet de loi.
Dans le détail, les sénateurs prévoient dans leur texte la convocation d’une « convention nationale pour l’emploi des seniors et la sauvegarde du système de retraites », qui réunira les partenaires sociaux, Etat, associations familiales et associations de retraités, ainsi que des experts.
Charge à elle de formuler des propositions pour ramener le régime des retraites à l’équilibre d’ici 2033. Elle devra aussi dresser des solutions pour favoriser le maintien des seniors dans l’emploi, une « condition sine qua non » de toute réforme selon la commission des affaires sociales du Sénat. Autre sujet sur la table de cette convention : prendre en compte la pénibilité du travail, du handicap et des carrières longues pour le calcul des droits et l’aménagement du temps de travail.
Dans le scénario idéal du Sénat, les conclusions de la convention aboutiront à un projet de loi. En cas d’échec, les changements de paramètres intégrés par le Sénat dans le même amendement s’appliqueront dès le 1er janvier 2024. Comme l’an dernier, la réforme sénatoriale reporte progressivement (de trois mois par an) l’âge légal de départ en retraite, pour parvenir à 64 ans à partir de la génération 1967. Le texte accélère également la réforme Touraine, en exigeant 43 années de cotisations pour obtenir une retraite à taux plein dès la génération 1967, et non plus 1973. Ces deux mesures représentent près de 16,5 milliards d’euros de nouvelles recettes pour la branche vieillesse en 2030, d’après le rapport de René-Paul Savary. De quoi combler le trou des régimes obligatoires de base, attendu à 13,6 milliards d’euros en 2026 dans le projet de loi.
De plus, l’amendement sénatorial ouvre la voie à la convergence des régimes spéciaux à toutes ces modifications « avant 2033 », les conditions et le calendrier étant renvoyés à un décret en Conseil d’Etat.
La gauche dénonce « l’injustice » de cette réforme
Les groupes de gauche ont dénoncé l’amendement introduit par leurs collègues de droite et du centre. Monique Lubin, pour les socialistes, a dénoncé une « réforme d’une injustice incroyable » mais aussi les « discours alarmistes » sur la trajectoire financière du système de retraite. « Si le Sénat adopte cet amendement, il participera à écrire l’une des pages les plus inégalitaires sur le plan social », a averti l’écologiste Raymonde Poncet Monge. Quant aux communistes, ils ont vilipendé un « cocktail explosif de mesures régressives », selon les mots de Cathy Apourceau-Poly.
Favorables sur le fond, les Indépendants de Claude Malhuret se sont abstenus, arguant que les « prémices de la réforme » étaient en cours. Le Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), membre de la majorité présidentielle, a voté contre. Le groupe RDSE (Rassemblement démocratique et social européen), qui réunit plusieurs membres du Parti radical, a lui refusé de soutenir l’amendement LR, malgré le « besoin de recettes supplémentaires » pour les retraites. « L’année prochaine, si les choses ne sont pas réglées, je peux vous assurer qu’il en sera autrement », a toutefois prévenu Bernard Fialaire.
Quelques rares membres de la majorité sénatoriale ont choisi l’abstention, comme le centriste Jean-Marie Vanlerenberghe, qui considérait que l’amendement allait « un peu loin ». « Il faut aussi que cette réforme soit acceptée socialement, et politiquement. Sinon on sera à la merci de revenir à la faveur d’une autre majorité sur cette réforme », a mis en garde l’ancien rapporteur général de la commission des affaires sociales.
C’est également cette méthode qu’a défendue le ministre. « On essaye de concilier avec notre méthodologie la nécessité d’aller vite, et en même temps d’assurer une acceptabilité sociale et politique de cette réforme, dans une concertation large », a insisté Jean-Christophe Combe.