Retraites : après des débats électriques, le Sénat adopte l’article 7 qui reporte l’âge légal à 64 ans

Retraites : après des débats électriques, le Sénat adopte l’article 7 qui reporte l’âge légal à 64 ans

Après une nuit d’incidents de séance qui ont entraîné le report du vote de l’article 7, celui-ci a finalement été adopté par le Sénat dans la nuit de mercredi à jeudi, par 201 voix contre 115. Les débats se sont largement concentrés autour des procédures utilisées par le gouvernement et la majorité sénatoriale pour accélérer la discussion sur un article où la gauche avait déposé plus de 1300 amendements.
Louis Mollier-Sabet

Par Romain David, Louis Mollier-Sabet et François Vignal

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

Un peu comme le grand air de la soprano à l’opéra, l’examen de l’article 7 aurait dû être le moment de bravoure de la réforme des retraites. Mais la partition n’a pas vraiment été exécutée comme on pouvait s’y attendre. Quoique. Depuis le premier jour de l’examen, la tension était palpable. La gauche multipliait les prises de parole, jouait avec les nerfs de la droite, qui restait mutique pour ne pas rallonger davantage les réjouissances. Le groupe de Bruno Retailleau attendait son heure. Et sa contre-attaque, qui ne s’est pas faite dans la dentelle. On connaît la suite. La majorité sénatoriale a adopté, dans la nuit de mercredi à jeudi, l’article 7, qui acte le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, par 201 voix contre 115 et 29 abstentions.

Dans le détail, au groupe LR, on compte 127 sénateurs pour, 2 votes contre (Sylvie Goy-Chavent, Alain Houpert), et surtout 15 abstentions (dont Mathieu Darnaud). Le groupe Union centriste, l’autre composante de la majorité sénatoriale, est loin de faire le plein et se retrouve très partagé. 35 de ses membres ont voté pour, mais 12 ont voté contre, alors que certains avaient déposé un amendement de suppression, et 10 se sont abstenus (dont Valérie Létard, Loïc Hervé, Hervé Maurey et surtout le Modem Jean-Marie Vanlerenberghe). Au groupe RDPI (Renaissance), 22 pour mais 2 abstentions, comme chez les Indépendants. Le groupe RDSE est partagé (5 pour et 9 contre). Quant aux sénateurs des trois groupes de gauche, socialiste, communiste et écologiste, ils ont tous voté contre.

Après une nuit mouvementée, rebelote à la reprise ce mercredi après-midi

La forme, c’est le fond qui remonte à la surface, et en l’occurrence, le fond est resté dans les abysses de la discussion parlementaire depuis la nuit brûlante qu’a connu le Sénat de mardi à mercredi. Après des semaines de débat depuis la présentation de la réforme par le gouvernement, un premier passage à l’Assemblée nationale, sept jours d’examen consécutifs au Sénat, et un mouvement social d’ampleur, les échanges sur le centre névralgique du projet de loi – l’article 7 qui repousse l’âge légal de 62 à 64 ans et accélère la réforme « Touraine » – se sont largement heurtés aux procédures déployées par la droite sénatoriale et les soutiens de la majorité présidentielle pour faire avancer la discussion coûte que coûte, coupant à de nombreuses reprises l’herbe sous le pied des élus de gauche.

À la reprise des débats ce mercredi, après les questions d’actualité au gouvernement, à 16h30, l’ambiance apparait particulièrement tendue dans l’hémicycle. La nuit a été brève, très brève pour les sénateurs, mais la gauche est sur le pied de guerre, électrisée après avoir vu disparaître, quelques heures plus tôt, la plus grande partie des amendements qu’elle avait déposés à l’article 7. Les rappels au règlement s’enchaînent : « Le règlement est là pour organiser notre vie commune, lorsqu’on l’utilise pour régler une crise politique, cela montre que l’on est au bord d’une crise démocratique », sermonne le communiste Fabien Gay. Son collègue Pascal Savoldelli vise directement Gérard Larcher, le président du Sénat : « Dans la nuit d’hier, vous avez davantage été le président des LR que celui du Sénat en vous soumettant à l’agenda du gouvernement ! », accuse-t-il, « vous décrédibilisez notre institution et le travail parlementaire ».

« Nous assumons de répondre à l’obstruction permise par le règlement… avec les moyens du règlement ! »

Le fait du jour – ou de la nuit dernière – c’est l’utilisation par la majorité sénatoriale de toutes les armes réglementaires à sa disposition pour accélérer les débats. Pourtant, mardi, en fin de journée, la première heure d'échanges s’était déroulée sans surprise, la gauche multipliant les attaques contre ce report d’âge, « une mesure inique ». Un tour de chauffe. À la reprise, les choses ne vont pas tarder à déraper. Jugeant qu’avec 1.300 amendements déposés sur l’article 7, la gauche faisait de l’obstruction parlementaire, la droite et le centre ont d’abord activé l’article 38 du règlement pour couper court aux explications de vote. Puis, la commission des affaires sociales a déposé un amendement qui réécrivait l’ensemble de l’article 7, et dont l’adoption a fait tomber plus de 1.100 amendements de la gauche. Les groupes socialistes, communistes et écologistes ont ensuite tenté de riposter en déposant des milliers de sous-amendements à l’amendement du rapporteur Savary, sans succès puisqu’ils ont tous été déclarés irrecevables par la commission, à l’exception d’un seul concernant Saint-Pierre-et-Miquelon. La gauche, dénonçant un coup de force, a fini par quitter l’hémicycle, contraignant la présidence à suspendre la séance à 3h30 du matin, avec encore 75 amendements à examiner à l’article 7.

Pour revivre la nuit mouvementée de mardi à mercredi, lisez notre article >> Après une nuit d’incidents, le Sénat interrompt les débats avant le vote de l’article 7

Pour la gauche, cet épisode remet en cause la validité des débats. « Je demanderai des vérifications. S’il faut une enquête, on pourra la faire ! », promet le sénateur socialiste David Assouline. « Le Conseil constitutionnel pourra apprécier la sincérité des débats et des délibérations si aucune des deux Assemblées n’a pu délibérer sur le fond de l’article 7 ». À plusieurs reprises, Catherine Deroche, la présidente LR de la commission des affaires sociales, est accusée d’avoir déclaré irrecevables quelque 2.000 amendements sans même les avoir examinés. Elle se défend : « Les amendements et les sous-amendements que la commission a fait tomber hier soir étaient des amendements d’obstruction. Leur seul objet était dilatoire, les amendements portant sur le fond du texte ont été préservés », explique-t-elle. Et d’ajouter : « Nous assumons de répondre à l’obstruction permise par le règlement… avec les moyens du règlement ! »

Nouveau recours à l’article 38

Après une première suspension de séance vers 17h15, la discussion s’engage enfin sur le fond du texte, avec une poignée d’amendements concernant une surcote à la faveur des mères de famille, mesure défendue par la droite. La vision nataliste des LR est critiquée par la gauche, en ce mercredi 8 mars, journée des droits des femmes. Alors que la sénatrice socialiste Monique Lubin défend un amendement visant à remplacer cette surcote par un abaissement de l’âge de départ à la retraite, Bruno Retailleau, le patron des LR, prend la parole et dégaine à nouveau de l’article 38 du règlement pour « clôturer » les débats. Nouvelles protestations de la gauche. « On a un amendement qui porte sur des majorations de durée d’assurance pour les femmes du secteur privé, et vous ne voulez même pas qu’on le discute ! Un 8 mars ! Vous vous rendez-compte de ce que vous faite ? C’est une honte ! », tonne Laurence Rossignol, ancienne ministre des Droits des femmes de François Hollande, qui ajoute (voir la vidéo ci-dessous) :

Ce n’est plus l’application du règlement, c’est une volonté délibérée de faire taire l’opposition ! C’est ça l’idée ? C’est de nous humilier ? Ce n’est pas nous que vous humiliez, ce sont les femmes, toutes les femmes !

Mais la majorité sénatoriale a bien l’air décidé à passer à la vitesse supérieure dans l’examen du texte, et au moment de la suspension pour le dîner, à 20 heures, on comptait déjà quatre recours à l’article 38 du règlement. « Vous êtes en train de tourner en ridicule l’utilisation de cet article », soupire le sénateur du groupe socialiste, Bernard Jomier. Quelques minutes plus tard, le sénateur écologiste du Val-de-Marne, Daniel Breuiller, préfère tirer sa révérence, dépité : « Votre volonté de corseter les débats transforme la discussion en pantomime. La pièce est si mauvaise que même les acteurs la quittent avant la fin. C’est ce que je vais faire ce soir ! »

Au fil des heures la discussion avance cahin-caha, sur un faux rythme. « L’article 38 est fait pour neutraliser une manœuvre d’obstruction, la manœuvre d’obstruction, c’est la négation du rôle du Parlement », justifie Bruno Retailleau. Et le patron des sénateurs de LR de cibler une nouvelle fois la gauche.

L’article 7 sera finalement voté.

Après des débats houleux, de nombreux incidents de séance, et des coups de Trafalgar réglementaires en cascade, le report de l’âge légal de départ à la retraite a donc finalement été adopté par la Chambre haute, alors que l’Assemblée nationale n’avait pas pu l’examiner.

Dans la même thématique

Retraites : après des débats électriques, le Sénat adopte l’article 7 qui reporte l’âge légal à 64 ans
2min

Politique

Face au « désarroi » des collectivités, Karim Bouamrane, maire PS de Saint-Ouen, « appelle à la prise de conscience du premier ministre »

Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.

Le

Retraites : après des débats électriques, le Sénat adopte l’article 7 qui reporte l’âge légal à 64 ans
3min

Politique

« Vous croyez que ça me fait plaisir de présenter le budget que je présente en ce moment ? » : échange tendu entre Michel Barnier et Patrick Kanner

Fustigeant les économies demandées aux collectivités territoriales dans le budget 2025, le président du groupe socialiste au Sénat a accusé le Premier ministre de « mettre à genoux les élus de la République au plan local ». « Je vous ai connu plus mesuré », lui a rétorqué Michel Barnier, sous les protestations de la gauche et les applaudissements de la majorité sénatoriale.

Le

Paris: weekly session of questions to the government
7min

Politique

Menace de Marine Le Pen de voter la censure : « Un coup de bluff », pense François Patriat

Reprochant à Michel Barnier de ne pas tenir compte des « lignes rouges » du RN sur le budget, Marine Le Pen agite la menace d’un vote d’une motion de censure par les députés d’extrême droite. Elle insiste notamment sur la hausse « inadmissible » des taxes sur l’électricité. « Ils font ça pour augmenter les enchères », selon le président du groupe RDPI du Sénat, François Patriat. « On n’est pas dans une cour de récréation, à dire si tu ne fais pas ça, je fais ça », tance le sénateur LR Cédric Vial.

Le