Réforme des retraites : la perspective d’un passage en force électrise la rentrée des parlementaires socialistes
Réunis pendant deux jours à Rennes pour préparer la reprise des travaux parlementaires, les sénateurs et les députés socialistes ne cachent pas leurs inquiétudes sur l’impact social des réformes attendues à la rentrée. Plus spécifiquement celle des retraites, qui pourrait être directement intégrée au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, loin de la promesse de dialogue et de concertation faite par Emmanuel Macron pendant la présidentielle.
Par Romain David, Audrey Vuetaz et Gaspar Flamand
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« Je voulais vous dire merci ! Je n’étais pas socialiste, mais grâce à vous je pourrais le devenir ». Sur la place Sainte-Anne à Rennes, une passante vient d’interpeller Olivier Faure, en pleine discussion avec un petit groupe de journalistes, à quelques mètres du Couvent des Jacobins où le PS organise ses journées parlementaires. « Normalement, je vote un peu plus à gauche », précise cette retraitée avant de reprendre sa route d’un pas pressé. « Ça m’arrive très souvent depuis l’accord. Au début j’étais très surpris », commente, sourire aux lèvres, le Premier secrétaire du Parti socialiste. De quoi le ragaillardir à la veille d’une rentrée parlementaire dont l’agenda social s’annonce particulièrement chargé. Au programme : une réforme de l’assurance chômage, dont le gouvernement souhaiterait pouvoir moduler les conditions d’attribution en fonction de la conjoncture économique, le lancement d’expérimentations autour du RSA et d’un nombre d’heures hebdomadaires travaillées. Et surtout, l’hypothèse d’une réforme des retraites directement intégrée au projet de loi de financement de la Sécurité sociale sous la forme d’amendements.
Autant de sujets qui font sortir les socialistes de leurs gonds et qui ont été largement évoqués, de points presse en tables rondes, au cours de ce rassemblement rennais, qui sonne également le coup d’envoi de la rentrée politique du PS, deux semaines avant la reprise des travaux parlementaires. « Ça va être sportif », anticipe un sénateur, non sans une once de délectation dans la voix. « Nous allons nous battre comme des chiens », lâche Olivier Faure. « Nous serons au Parlement, pied à pied, et dans la rue avec le mouvement social et syndical ! », avertit le député de Seine-Maritime qui parle encore de « combat frontal » contre le gouvernement.
Sur la réforme des retraites, la menace d’un 49.3
De toutes les réformes annoncées, celle des retraites, avec l’hypothèse d’un recul de l’âge de départ, soulève le plus d’agacement. Beaucoup y voient la fin de la promesse faite par Emmanuel Macron pendant la présidentielle de concerter davantage. Promesse à laquelle il semblait pourtant contraint par l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale. « Il y a une certaine incompréhension devant la politique menée, nous avions cru comprendre que ce second quinquennat ouvrait une période de débats et de discussions, et nous voilà revenus cinq ans en arrière », soupire le sénateur Éric Kerrouche. « Plus le temps passe et plus cette réforme devient un boulet pour le président de la République, avec l’impossibilité de produire un texte juste et de résoudre ce problème d’âge ». Autant dire que les discussions avec Élisabeth Borne s’annoncent musclées, la Première ministre doit recevoir mercredi et jeudi les présidents de groupes des deux assemblées, notamment pour évoquer cette réforme.
« Le président de la République n’a pas compris ce qui lui était arrivé pendant les législatives », n’a cessé de tempêter Patrick Kanner, le président du groupe PS au Sénat, durant ces journées parlementaires, brandissant par moments le spectre des Gilets Jaunes : « Cette politique de casse sociale pourrait nourrir un important mouvement de protestation ». Même inquiétude du côté de la sénatrice des Landes Monique Lubin, vice-présidente de la commission des Affaires sociales et membre du Conseil d’orientation des retraites (COR). Elle s’interroge sur l’empressement manifesté par l’exécutif alors que les projections du COR font état d’un excédent en 2022 – avant une dégradation sur les deux décennies suivantes. Par ailleurs, au-delà de la gauche, les syndicats sont unanimement opposés à cette réforme. « Vouloir la faire passer sur un amendement et, en plus, aller jusqu’au 49.3 s’il n’est pas adopté… C’est une provocation ! Je ne comprends pas où veut aller le président, il va terriblement cliver. Ce serait une erreur préjudiciable pour le reste de son quinquennat et je pense que la confiance entre l’exécutif et le reste des Français sera définitivement rompue ».
Son collègue Jean-Pierre Sueur ne se fait guère d’illusion sur l’issue du débat budgétaire de cet automne : « Il ne faut pas biaiser. Le gouvernement sait bien qu’il aura recours au 49.3 pour son budget. Vu ce qu’ont déclaré les différents groupes, je ne vois pas comment il pourrait faire autrement. »
Un calendrier parlementaire propice à l’union de la gauche
La rentrée sociale offre au PS, et plus largement à la Nouvelle union populaire écologique et sociale, l’occasion de resserrer les rangs. Olivier Faure estime que les quatre groupes seront amenés à faire front commun sur l’essentiel des sujets qui seront débattus au Parlement, les thématiques qui concentrent les points de divergence - notamment la question européenne et l’international - glissent désormais au second rang. L’éclatement du paysage politique, à l’issue des dernières législatives, pourrait même s’estomper dans l’hémicycle, entre d’un côté un front de gauche, et de l’autre une majorité susceptible de glaner des voix à droite sur de nombreux sujets. « Ceux qui vont bien ont leur président, tous les autres ont besoin d’être représentés et défendus », résume Boris Vallaud, le président du groupe PS à l’Assemblée nationale. « On a besoin d’être guidé dans notre action par les préoccupations quotidiennes des Français », poursuit le député des Landes qui reproche à la majorité de s’être « transformée en exécuteur testamentaire de Nicolas Sarkozy ».
Les liens entre les différentes forces de gauche devraient également se multiplier dans les prochaines semaines. Olivier Faure l’assure, les échanges sont réguliers, notamment avec LFI : « Il y aura des amendements communs ». Mercredi, les socialistes déposeront devant le Conseil constitutionnel une proposition de loi pour enclencher la procédure dite du référendum d’initiative partagée sur la taxation des superprofits. L’initiative, saluée par Jean-Luc Mélenchon, a déjà récolté les 185 signatures d’élus nécessaires pour passer la première étape de ce processus législatif encore inédit. Si le Conseil constitutionnel donne son feu vert, une campagne de neuf mois débutera alors du côté de la Nupes pour tenter d’obtenir les 4,7 millions de signatures de citoyens nécessaires à l’adoption du texte. « Si ça ne tenait qu’à moi, on leur prendrait tout, pas seulement les profits exceptionnels, tant que la révolution écologique n’est pas réalisée », commente un député pourtant réputé pour avoir longtemps tenu une position plutôt modérée au sein du PS.
Autre date dans l’agenda commun de la gauche : une « marche contre la vie chère et l’inaction climatique », le 16 octobre prochain à Paris. L’idée vient de Jean-Luc Mélenchon, mais officiellement l’appel a été conjointement lancé par les trois principales composantes de la Nupes : le PS, LFI et EELV. Rappelons que les deux dernières sont désormais empêtrées dans des affaires de violences faites aux femmes : Adrien Quatennens (LFI) a notamment admis avoir « donné une gifle » à son épouse, tandis que Julien Bayou (EELV) est mis en cause pour des violences psychologiques envers une ancienne compagne.
De son côté, le PCF n’a pas donné de précision sur sa présence à cette marche. Il faut dire que les récentes déclarations du secrétaire national, Fabien Roussel, sur « la gauche des allocs », ont encore du mal à passer chez ses partenaires : « Evitons que la gauche ne s’éparpille dans des débats incompréhensibles », balaye Olivier Faure. « Et concentrons-nous sur l’essentiel ».
Les inquiétudes montent autour du projet de loi sur l’immigration
Passé le cap du budget, un autre morceau devrait potentiellement permettre aux partis de gauche de faire valoir des positions communes face à la majorité : la loi immigration. Initialement prévue pour la rentrée, elle ne devrait pas être examinée avant le début de l’année prochaine. Déjà, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’une meilleure répartition des étrangers sur le territoire national. Paradoxalement, l’idée vient des rangs du PS, elle avait été évoquée en 2016 par Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, dans une note aux préfets sur l’hébergement dédié aux demandeurs d’asile. Sept ans plus tard, la mesure soulève la perplexité de Jean-Pierre Sueur : « On veut les envoyer dans les campagnes. Je ne comprends pas très bien d’où ça sort. Est-ce que vous imaginez l’effet pour faire monter le Rassemblement national ? », tempête le sénateur du Loiret.
« Cette loi s’annonce trash sur le plan idéologique », a alerté Nathalie Appéré, la maire PS de Rennes en accueillant les élus à l’ouverture de ces journées parlementaires. L’inquiétude de Boris Vallaud se porte plus précisément sur les rangs de l’extrême droite, redoutant les ajouts et les modifications que les 89 députés du RN seraient susceptibles d’apporter à la copie du gouvernement : « Je me souviens avoir été parcouru d’un grand frisson lorsque j’ai réalisé que le premier amendement que nous allions examiner dans cette nouvelle législature était celui de Marine Le Pen sur la déconjugalisation de l’AAH. Heureusement, il était mal rédigé et nous avons pu voter contre », raconte-t-il. À Rennes, ce mardi, le beau temps de la veille avait cédé la place à de lourds nuages chargés d’incertitudes, comme seul le ciel breton sait en produire.
Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.
Alors que le premier ministre a demandé aux partis de se positionner par rapport à l’exécutif selon trois choix, les partis de gauche ne souhaitent pas rentrer pas dans le jeu de François Bayrou. Ils attendent des signaux qui pourraient les amener à ne pas censurer. Mais ils ne les voient toujours pas…
C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».
Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.