Réforme des retraites : comment fonctionne le régime des sénateurs ?

Réforme des retraites : comment fonctionne le régime des sénateurs ?

L’examen du projet de loi de réforme des retraites en commission à l’Assemblée a été l’occasion pour certains députés de droite de remettre en question l’existence du régime de retraites des sénateurs. Alors que les députés ont aligné leur régime avec le régime général en 2018, le Sénat met en avant une bonne gestion de sa caisse de retraite pour justifier un système qui fonctionne sans subvention publique.
Louis Mollier-Sabet

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Au niveau législatif, c’est un coup pour rien. Au sein de la droite, en revanche, l’amendement de Pierre-Henri Dumont va laisser des traces. Jeudi dernier, le député LR a en effet déposé un amendement au projet de loi sur les retraites pour supprimer le régime de retraites des sénateurs, et l’aligner sur le régime général, comme l’applique l’Assemblée nationale depuis 2018 pour les députés. Cette mesure relevant des décisions internes aux assemblées, l’amendement a immédiatement été jugé irrecevable. En clair, seuls les Bureaux respectifs du Sénat et de l’Assemblée nationale peuvent décider d’éventuels changements sur les régimes de retraites ou de sécurité sociale des parlementaires ou des personnels des assemblées.

Tensions entre députés et sénateurs LR

Un simple coup de semonce, donc. Seulement, pour la majorité sénatoriale de droite et du centre, l’attention de leur collègue député, proche d’Aurélien Pradié, a du mal à passer. Surtout quelques mois après un Congrès LR qui a vu s’opposer les députés LR Aurélien Pradié et Éric Ciotti, et Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat. Une élection qui, quelques semaines plus tard encore, secoue le parti, avec des tensions entre les deux finalistes autour du nouvel organigramme des Républicains, en plus des difficultés de coordination entre les groupes LR de l’Assemblée et du Sénat. C’est donc dans cette ambiance tendue au sein de LR que Pierre-Henri Dumont a décidé de s’attaquer aux retraites des sénateurs. Une « provocation » pour de nombreux sénateurs LR, comme le rapporte Politico ce lundi. D’après la newsletter, les noms d’oiseaux auraient fusé dans un groupe WhatsApp, d’autant plus que sur le fond, le groupe LR comme l’administration du Sénat défend qu’il n’y a « pas de sujet. »

L’Assemblée a effectivement aligné son régime de retraite sur le droit commun de la fonction publique depuis le 1er janvier 2018, alors que la Haute assemblée possède encore une caisse autonome. Mais depuis l’hiver 2019, les données du problème sont connues : à l’époque déjà, la majorité présidentielle avait mis la pression sur le régime des sénateurs, dans la lignée de la réforme défendue par Edouard Philippe qui prévoyait la suppression des régimes spéciaux. La réponse de Gérard Larcher avait alors été claire : si réforme il y avait eu, le régime des sénateurs aurait été adapté à la réforme du régime général, comme en 2004 et en 2010. Ainsi, la règle telle qu’énoncée par Gérard Larcher en 2019 semble claire : le régime des sénateurs obéit aux « mêmes paramètres que ceux applicables au régime général. » D’autant plus que le président du Sénat avait alors rappelé que le régime des sénateurs était financé à 60 % par une caisse autonome.

« Il a toujours été rappelé que le Sénat appliquera la réforme »

Trois ans plus tard, nouvelle réforme des retraites, même argumentation. Du côté de la questure – qui gère les aspects matériels et administratifs de la Chambre haute – on réitère tout d’abord la promesse de Gérard Larcher que toute évolution du régime général sera répercutée sur le régime des sénateurs. « Il a toujours été rappelé que le Sénat appliquera la réforme. Si la réforme est bien votée, nous l’appliquerons », rappelle ainsi le questeur Vincent Capo-Canellas. Le sénateur centriste explique : « Ce sont des caisses autonomes parce que cela ne peut pas être l’exécutif qui détermine le montant de l’indemnité parlementaire, ou la pension de retraite. S’il en était différemment, cela serait une atteinte du pouvoir exécutif, qui pourrait être analysée comme une forme de pression et donc une atteinte à la séparation des pouvoirs. »

En 2019, cette « caisse autonome » permettait de financer une pension à environ 2190 euros net par mois pour un mandat de 6 ans effectué, d’après les informations communiquées à l’époque par les services du Sénat. Le site de l’Assemblée nationale estime, lui, que, depuis la réforme de 2018, « le montant net de la pension d’un député au bout de 5 ans de mandat s’établit à 684,38 euros. » Cette différence s’explique premièrement par un taux de cotisation plus important pour les sénateurs que pour les députés, soit environ 15 % contre 10 %, ainsi que par une durée de mandat plus importante.

« La caisse du Sénat ne fait pas appel à des subventions publiques »

Deuxièmement, les sénateurs mettent en avant la bonne gestion de la caisse autonome créée en 1905, qui abonde à 60 % le régime des sénateurs, alors que l’Assemblée a supprimé la sienne. « Le sénateur a un mandat de six ans, soit un an de plus qu’un député et cotise donc 20 % de plus. Ensuite, nous avons un système complémentaire que n’ont plus les députés, donc au global, on cotise près de 50 % de plus de ce que cotisent les députés, parce qu’ils ont choisi de renoncer à leur système complémentaire », résume Vincent Capo-Canellas. En revanche, le Sénat a gardé, lui, son régime complémentaire, mais le questeur Capo-Canellas rappelle que « la caisse du Sénat ne fait pas appel à une subvention de l’Etat » : « le Sénat verse une cotisation comme tout employeur public, le solde des engagements étant couvert par le produit des actifs financiers de la caisse. Ce n’est pas un régime spécial. »

« En définitive, depuis la création de la Caisse en 1905, les Sénateurs et le Sénat financent eux-mêmes les prestations de leur régime sans faire appel à des transferts financiers en provenance de l’État ou des autres régimes sociaux. Il n’y a ni dotation d’équilibre, ni subvention d’équilibre, ni transfert financier venant de l’extérieur », détaille ainsi le site du Sénat. À l’Assemblée nationale, au contraire, une « subvention d’équilibre » est nécessaire tous les ans pour équilibrer le régime de retraites des députés. En 2021 par exemple, la chambre basse a versé 53 millions d’euros, soit un peu plus de 10 % de la dotation totale de l’Etat, à la caisse de retraite des députés, pour un budget total d’environ 70 millions d’euros. Au Sénat, si les comptes des exercices 2020 et 2021 présentent un « déficit technique » annuel, respectivement de 15 et 12 millions, la caisse des retraites des sénateurs est bien équilibrée à moyen et à long terme, assure Vincent Capo-Canellas : « Pour servir les pensions, on regarde les recettes de l’année. Compte tenu des excédents liés à la situation démographique du régime, nous avons eu pendant des années des cotisations supérieures aux recettes. Ces cotisations ont été placées et produisent des revenus qui permettent aujourd’hui de parvenir à l’équilibre financier. »

Une caisse d’1,38 milliard de réserve pour équilibrer le régime

En 2019, par exemple, la caisse des sénateurs était excédentaire de plus de 6 millions d’euros. « Le résultat comptable des caisses du Sénat est très dépendant des mouvements sur leurs portefeuilles financiers en cours d’année, ce qui explique les variations, parfois importantes, de leur résultat comptable d’un exercice à l’autre », explique notamment le rapport sur l’exercice budgétaire 2020. Au-delà des variations annuelles d’excédents et de déficit, la caisse de retraite des sénateurs dispose d’un stock permettant d’équilibrer le régime sans subvention publique. Les comptes de l’exercice 2021 du Sénat estiment (p.164) que les caisses de retraite des anciens sénateurs et du personnel totalisent 1,38 milliard d’actifs « venant en couverture des engagements de retraite », dont presque 600 millions d’euros d’actifs monétaires mobilisables en peu de temps.

Une réserve qui permet aux sénateurs de se targuer d’un système « à l’équilibre » qui n’aurait pas besoin de transferts supplémentaires de l’Etat, ce qui justifierait sa pérennisation par la future réforme. Politiquement, il n’est pas certain que l’argumentaire fonctionne sans difficultés. Après Pierre-Henri Dumont, c’est le député centriste Charles de Courson qui a remis une pièce dans la machine ce lundi lors de l’examen du projet de loi en commission à l’Assemblée. « Pourquoi en particulier, vous mettez en extinction le régime des membres du CESE, et pas celui de l’Assemblée nationale et du Sénat ? » s’est interrogé l’historique député de la commission des Finances. Ses collègues au Sénat apprécieront.

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