Rachat d’Hachette par Bolloré : « Cette perspective est une menace réelle pour tout le secteur », alerte Antoine Gallimard

Rachat d’Hachette par Bolloré : « Cette perspective est une menace réelle pour tout le secteur », alerte Antoine Gallimard

La commission d’enquête sur la d’enquête sur la concentration des médias auditionnait, mercredi, les acteurs de l’édition. Au centre des débats : la volonté du groupe de Vincent Bolloré de racheter le premier éditeur français, Hachette Livre. Ce rapprochement tendant à créer un « mastodonte » de l’édition engendre un certain nombre de craintes, notamment sur la diversité éditoriale.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

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« On n’avait pas envisagé de traiter du monde de l’édition, mais l’actualité nous y a poussés », explique en préambule le président de la commission de la Culture, Laurent Lafon. La commission d’enquête sur la concentration des médias a effectivement choisi d’auditionner, mercredi 16 février, des acteurs de l’édition : Antoine Gallimard, du syndicat national de l’édition, Guillaume Husson, le délégué général du Syndicat de la librairie française, et Christophe Hardy, le président de la société des gens de lettres.

Personnage central de cette commission d’enquête, Vincent Bolloré, est à l’origine de ce pas de côté. Son groupe Vivendi contrôle déjà Editis et s’apprête à lancer une offre publique d’achat sur Lagardère. Groupe qui a dans son escarcelle le premier éditeur français : Hachette livre. Mais l’on sait déjà que Vincent Bolloré va se heurter aux autorités de la concurrence européennes.

« Tout ce que l’on peut faire c’est attendre et attirer l’attention de la commission européenne »

Une fusion ou un rapprochement conduirait quoi qu’il en soit à la création d’un mastodonte de l’édition. Une hégémonie particulièrement forte pour le domaine des livres scolaires où ce groupe éditerait 68 % des manuels, ou les livres de poche (55 %).

L’industriel breton pourrait se défaire de certaines maisons d’édition pour rester dans les clous des règles de concurrence. Rien qui ne puisse rassurer les acteurs de l’édition présents devant les sénateurs. Ils entendent d’ores et déjà saisir les autorités européennes. Mais pour le moment, « il n’y a pas eu de prénotification » concernant cette offre publique d’achat. « Vincent Bolloré va nous la présenter, nous, tout ce que l’on peut faire c’est attendre et attirer l’attention de la Commission européenne », indique Antoine Gallimard.

Lire aussi. Concentration des médias : « Je n’ai pas le pouvoir de nommer qui que ce soit à l’intérieur des chaînes », assure Vincent Bolloré

L’opacité règne et nourrit plus encore les craintes. « Cette perspective est une menace réelle pour tout le secteur », a exposé Antoine Gallimard. L’arrivée d’un éditeur hégémonique perturberait le fragile équilibre de l’édition et entraverait « la vitalité éditoriale française et sa diversité ».

« Il ne faut jamais oublier que ce sont très souvent les petites maisons d’édition qui portent les découvertes éditoriales », a insisté Antoine Gallimard. Le marché du livre résiste en France, notamment grâce à l’instauration de la loi sur le prix unique du livre. « La fusion entre Hachette et Editis va à l’encontre des combats que nous, auteurs, menons. Elle est révélatrice de la fragilité de notre situation », a repris Christophe Hardy, président de la société des gens de lettres.

« Un vrai risque démocratique et civilisationnel »

Lui, parle d’un « vrai risque démocratique et civilisationnel » et d’un péril pour la diversité éditoriale. Avec d’autres auteurs, il a signé une tribune dans Le Monde pour prévenir contre une concentration qui constituerait une « menace la liberté de création et d’expression ». Exemple théorique de ce péril : Si l’éditeur surpuissant a une ligne éditoriale très marquée, l’auteur un petit peu malin pourrait essayer de se conformer ».

Christophe Hardy propose deux solutions. La première étant de créer la possibilité pour l’auteur de résilier son contrat avec sa maison d’édition si cette dernière passait en d’autres mains. La seconde, comme aux Etats-Unis, serait d’instaurer des règles antitrust pour réguler la concentration dans le secteur du livre.

L’omniprésence de Vincent Bolloré lors de cette audition a amené à une question franche du sénateur centriste Michel Laugier : « Ce qui vous gêne c’est la concentration ou c’est Vincent Bolloré ? »

« Les aspects politiques, idéologiques qui existent dans ce projet-là et qu’on voit à l’œuvre dans la presse sont pour nous, une circonstance aggravante »

Réponse toute aussi franche de Christophe Husson : « Les aspects politiques, idéologiques qui existent dans ce projet-là et qu’on voit à l’œuvre dans la presse sont pour nous, une circonstance aggravante ». Le délégué général du Syndicat de la librairie française rappelle la position particulière du groupe de Vincent Bolloré. « Vivendi, c’est une puissance médiatique démesurée pour promouvoir ses propres publications […] C’est une vision de l’édition réduite au produit dérivé qu’elle peut générer ». Il rappelle aussi qu’il avait entamé des poursuites lors de précédents rapprochements.

Comme il l’a exposé devant les sénateurs, les rapports de force entre les libraires et les éditeurs sont déjà très déséquilibrés et ce rapprochement n’annonce rien qui vaille. « Aujourd’hui, le diffuseur maîtrise le prix du livre et la marge du libraire », explique Christophe Husson. Un déséquilibre qui s’observe plus nettement encore avec le premier éditeur français, Hachette Livre. « Ces conditions commerciales détériorées par sa position de leader, qu’est-ce qu’il en serait si sa position de leader doublait de volume ? », interroge-t-il.

Devant les sénateurs, Vincent Bolloré s’était justifié en disant vouloir lutter contre les Gafam. Il avait ainsi posé une vision mondialisée avec « un groupe capable de proposer à un auteur français de traduire son œuvre à l’étranger, de l’adapter en série ou en plus petits éléments digitaux pour les passer sur Dailymotion, Canal ou autre ». Et de créer un « softpower » à la française.

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