Propos sur la colonisation : un « en même temps » au sommet de l’État ?
Pas d’autoflagellation ni de regrets de la France sur son passé colonial, c’est l’injonction de Jean Castex dimanche soir sur TF1. Des propos qui tranchent avec ceux d’Emmanuel Macron qui, trois ans plus tôt parlait de « crime contre l’humanité ». Hasard du calendrier, cette semaine, le Sénat examine un projet de loi autorisant la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal.
« Je veux ici dénoncer toutes les compromissions qu'il y a eu pendant trop d'années, les justifications à cet islamisme radical : nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, et je ne sais quoi encore ». Ces propos de Jean Castex, dimanche soir au JT de TF1 n’ont pas manqué de faire réagir notamment sur les réseaux sociaux. Selon le Premier ministre, la repentance trop souvent exprimée au sujet du passé colonial français, serait l’une des premières justifications utilisées par « l’ennemi » dans son combat contre la République. « C'est fini, plus aucune complaisance d'intellectuels, de partis politiques, il faut que nous soyons tous unis sur la base de nos valeurs, sur la base de notre histoire » a-t-il martelé.
De quoi faire le parallèle avec la polémique suscitée par Emmanuel Macron en février 2017 lors de la campagne présidentielle. Lors d’un voyage en Algérie, le candidat En Marche avait qualifié la colonisation de « crime contre l'humanité ». « C'est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes. » avait-il jugé. Des déclarations qui avaient provoqué un tollé à droite. « Honte à Emmanuel Macron qui insulte la France à l'étranger (…) Crachats inacceptables d'Emmanuel Macron sur la tombe des Français tirailleurs, supplétifs, harkis morts pour une France qu'ils aimaient » avait tweeté Gérald Darmanin, loin d’être un soutien à l’époque du candidat à la présidentielle.
Trois ans plus tard, quelle injonction est à prendre en compte entre les deux têtes de l’exécutif ? « Je n’écoute que le Président » répond le patron des sénateurs LREM, François Patriat. « Je suis de ceux qui pensent qu’il faut être lucide sur le passé colonisateur de la France. Je pense que ce qu’a voulu dire Jean Castex, c’est qu’il fallait arrêter de ressasser le passé » défend-il.
« Un cadeau fait aux islamistes » pour David Assouline
Pour le sénateur PS David Assouline, c’est un message à Emmanuel Macron qu’a fait passer Jean Castex, hier soir. Si David Assouline conçoit que la bataille contre l’islam radical est avant tout « idéologique », les propos de Jean Castex sont pour lui « un cadeau fait aux islamistes ». « La colonisation c'est la part d'ombre de notre histoire. Encore heureux que nous devons regretter. Si la France avait été colonisée, de tels propos sonneraient comme une insulte, comme un déni. Si on veut gagner cette bagarre idéologique, au contraire, il faut se camper sur nos valeurs universalistes » a-t-il estimé sur Public Sénat.
« À force de culpabiliser la France en permanence on donne des éléments pour la détester »
À droite, sans surprise, les mots de Jean Castex sont plébiscités. « Il a entièrement raison. On a un problème de fond. Nous n’arrivons pas à nous approprier notre histoire avec nos forces et nos faiblesses. Les propos d’Emmanuel Macron en 2017 étaient scandaleux. Et aujourd’hui le gouvernement s’aperçoit qu’à force de culpabiliser la France en permanence, on donne des éléments pour la détester » estime Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice LR, rapporteure d’une commission d’enquête sur la radicalisation islamiste.
Les propos du candidat Emmanuel Macron sur la colonisation ne sont pas restés isolés. Quelques mois plus tard en déplacement à Ouagadougou au Burkina Faso, le chef de l’État affirmait : « Je suis d'une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire. »
« Ce qu’a dit Jean Castex, c’est le contrepied du discours de Ouagadougou »
Un discours sur les relations entre la France et l'Afrique, qui a donné lieu au projet de loi relatif à la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal adopté par les députés et examiné par les sénateurs, ce mercredi 4 novembre. « Ce qu’a dit Jean Castex, c’est le contrepied du discours de Ouagadougou. Je suis très inquiet de la tournure que prennent les choses. On assiste à un basculement autoritaire contre un ennemi de l’intérieur dont la définition est, semble-t-il, extensible » s’insurge le vice-président communiste de la commission de la culture du Sénat, Pierre Ouzoulias qui n’a toujours pas digéré les propos de Jean-Michel Blanquer sur le monde universitaire.
« Il faut qu’on nous dise qui il faut écouter au sein de l’exécutif parce que si la colonisation n’est pas un crime, alors à quoi ça sert d’examiner ce texte » conclut-il.
Le texte a pour objet, notamment, de restituer, sans tarder, 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, « après les sanglants combats de 1892 » peut-on lire sur le site de l’Élysée.
Mercredi soir, ce débat autour de la mémoire coloniale pourrait bien se déplacer dans l’hémicycle. Un amendement du sénateur LR, Max Brisson propose de remplacer le terme « restitution » « par transfert ». « Une restitution signifie rendre quelque chose que l’on possède indûment (…) mot qui véhicule une dimension morale et l’idée d’une faute à réparer » fait valoir le sénateur.
« Au sens juridique, le terme restitution n’est pas le bon car ces œuvres appartiennent à la France (principe d’inaliénabilité des collections françaises NDLR). Le bon terme serait retour. Restitution est à prendre dans son sens de compréhension globale » explique la rapporteure centriste du texte, Catherine Morin-Desailly, par ailleurs auteure d’une loi en 2009 à l’origine de la restitution à la Nouvelle-Zélande de têtes maories momifiées. « La colonisation revêt ses parts d’ombre et de lumière. Les lois de restitution participent à la construction d’un vrai dialogue avec d’anciens pays colonisés et la réappropriation de notre histoire commune. Ce n’est pas de la repentance » ajoute-t-elle.
Début octobre, devant les députés, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot avait fait la même analyse du projet de loi : « Ce n’est pas un acte de repentance ou de réparation, ni une condamnation du modèle culturel français », mais l’amorce d’un « nouveau chapitre du lien culturel entre la France et l’Afrique ».
Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.
Alors que le premier ministre a demandé aux partis de se positionner par rapport à l’exécutif selon trois choix, les partis de gauche ne souhaitent pas rentrer pas dans le jeu de François Bayrou. Ils attendent des signaux qui pourraient les amener à ne pas censurer. Mais ils ne les voient toujours pas…
C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».
Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.