Privatisation des autoroutes : au Sénat, l’ex-ministre Gilles de Robien raconte les coulisses du conflit avec Bercy

Privatisation des autoroutes : au Sénat, l’ex-ministre Gilles de Robien raconte les coulisses du conflit avec Bercy

La commission d’enquête sénatoriale, sur les concessions autoroutières, a auditionné l’ancien ministre des Transports Gilles de Robien, en fonction avant l’opération de privatisation de 2005. Le centriste a raconté comment l’influence de Bercy a pesé sur la cession, à laquelle il était opposé.
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La commission d’enquête du Sénat « sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières » souhaitait connaître le contexte historique de cette privatisation controversée de l’été 2005. Les sénateurs n’ont pas été déçus de ce « témoignage éclairant », selon les mots de Vincent Delahaye, le président (Union centriste) de cette instance. « C’est presque l’aspect préhistorique, ça date de 17 ans », a plaisanté Gilles de Robien, l’ancien ministre entendu sous serment ce 11 mars 2020.

À l’approche de ses 79 ans, le centriste qui avait en charge de 2002 à 2005, un large portefeuille réunissant notamment les transports, l'équipement, et le logement, s’est confié en toute franchise sur la manière dont ce dossier a été abordé dans les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin. Se définissant comme un « libéral », mais « attaché aux services publics », l’ancien ministre a déclaré avoir été « beaucoup perturbé quand la décision a été prise ».

« Il aurait pu me dire : votre rapport ne vaut pas un clou ! »

Gilles de Robin a relaté, comment il s’était présenté devant deux ministres des Finances successifs avec une « belle étude financière » de sa Direction générale des routes pour tenter de s’opposer à la privatisation des autoroutes. « Je me suis fait une conviction définitive : il ne faut pas vendre les autoroutes. Je m’en suis ouvert au Premier ministre. J’ai eu l’assaut de Bercy. C’est quelque chose de résister à Bercy… »

L’ancien maire d’Amiens est le deuxième ministre de Jacques Chirac à dénoncer cette année avec autant de vigueur la toute-puissance des choix budgétaires de « Bercy ». Le dernier en date était Jean-Louis Borloo, sur un autre sujet : la politique de la ville (relire notre article).

Lors de ses entretiens avec les deux ministres de l’Économie et des Finances, Francis Mer (2002-2004) et Nicolas Sarkozy (2004), Gilles de Robien s’étonne ainsi de devoir rappeler les conclusions de son rapport au nouveau ministre, alors qu’il était pourtant entouré du même conseiller. « J’ai été le premier étonné que ce conseiller n’ait pas convaincu le ministre. Il aurait pu me dire : votre rapport ne vaut pas un clou ! »

« L’État, sur le principe, doit garder dans sa main ses grandes infrastructures »

Des arguments à opposer à la cession des autoroutes publiques, Gilles de Robien en a fourni un certain nombre aux sénateurs. « L’État, sur le principe, doit garder dans sa main ses grandes infrastructures. Ce sont des instruments de la politique d’aménagement du territoire », a-t-il averti. L’opération n’était pas non plus opportune sur le plan des dividendes. « On arrivait à ce moment où l’État allait pouvoir bénéficier des investissements passés », relevait-il. L’ancien ministre était également animé d’une intuition, qui s’est manifestement révélée juste, à la lumière d’un sévère rapport du Sénat sorti en 2019 sur l’explosion des tarifs de péage. « L’État est moins mauvais dans la gestion des autoroutes que dans la surveillance des concessionnaires. Il n’est pas équipé pour ça. »

Sans parler d’un « principe » de taille, selon lui : « On ne privatise jamais un monopole. L’autoroute est quasiment en situation de monopole pour aller d’un point à l’autre du territoire. L’utilisateur n’a pas le choix. Si on privatise, cela devient une rente de situation. » Certains ont fait le parallèle avec des débats parlementaires de l’automne 2018. « On vient de vivre exactement la même chose avec [le projet de loi] Pacte, dans lequel on a glissé la privatisation d’Aéroports de Paris ! […] J’ai rappelé ces points à Bruno Le Maire », a souligné le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet.

« Heureux d’entendre les mots » de l’ancien ministre, le sénateur communiste Éric Bocquet s’est alors posé une question : face aux arguments soulevés, pourquoi la préférence de la privatisation l’a-t-elle emporté au gouvernement ? « C’est uniquement un argument financier », a répondu Gilles de Robien.

« Je pesais très lourd, 15 milliards dans le budget de l’État »

La sénatrice (Union centriste) Michèle Vullien est également intervenue : « Qui prend la décision finale ? » Réponse du ministre : « J’ai eu gain de cause. Tant que j’étais au ministère, on n’a pas vendu les autoroutes. » La sénatrice du Rhône n’en démordait pas. « Vous avez eu gain de cause temporairement. Ils allaient en mettre un autre qui allait dire oui ! »

Pour l’ancien ministre des Transports, passé ensuite à l’Éducation nationale, la privatisation des autoroutes figurait dans la déclaration de politique générale du Premier ministre Dominique de Villepin, nommé après la défaite de la majorité au référendum sur le traité constitutionnel européen de mai 2005. « Et si ce n’était pas le Premier ministre, c’était au-dessus de lui. Ou les deux ensemble. » Les cessions s'enclenchent avec un décret signé pendant l'été 2005.

Vente des autoroutes : « Qui prend la décision finale ? », s'interroge Michèle Vullien
05:38

« Je pesais très lourd, 15 milliards dans le budget de l’État. J’aimerais vous les rendre », a souri Gilles de Robien, avant d’accabler les parlementaires de droite de l’époque, Assemblée nationale comme Sénat. L’ancien ministre n’a pas apprécié que le produit de la vente des autoroutes soit noyé dans le budget général de l’État, et ne vienne pas nourrir la toute jeune Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). « La majorité a voté pour des recettes pérennes de l’AFITF. La même majorité, les mêmes parlementaires, sous l’impulsion du nouveau Premier ministre, a ensuite voté le contraire », s’est-il exclamé.

Quinze ans plus tard, la commission de l’Aménagement du territoire ne cesse de déplorer le manque de budget affecté à cette agence finançant les transports. Alors que la fin de l’audition s’approche, le téléphone portable de Gilles de Robien a retenti. « C’est Bercy qui va me tirer les oreilles », a-t-il plaisanté.

Les oreilles du ministère des Finances ont eu l’occasion de siffler souvent, comme pendant la prise de parole du socialiste Olivier Jacquin. « Quand on écrit à Bercy, en tant que membre de la commission des Finances, honnêtement, on a peu de réponses. » En guise de conclusion, Gilles de Robien s’est offusqué à son tour contre ces données difficiles à obtenir pour le Parlement. « De la rétention de pouvoir ! »

La fin des concessions autoroutières historiques approche (entre 2031 et 2036) et la commission d'enquête du Sénat est également là pour réaliser un travail de prospective. Pas seulement pour faire la lumière sur les décisions du passé.

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