Préfets : « Nous ne voulons pas supprimer une institution qui remonte à Napoléon », insiste Amélie de Montchalin
La ministre de la transformation et de la fonction publiques, était auditionnée le 26 mai au Sénat sur la réforme de la haute fonction publique. L’occasion pour elle d’échanger sur deux points chauds : l’évolution du recrutement des préfets et la refonte de l’ENA. La réforme est présentée en Conseil des ministres ce mercredi 2 juin.
Pour une fois, la représentation nationale a eu la primeur de l’information. La réforme de la haute fonction publique, qui va être mise en œuvre par ordonnance, devait être présentée ce 26 mai en Conseil des ministres. Elle a finalement été reportée au mercredi suivant, c’est-à-dire de justesse avant la fin du délai d’habilitation de l’ordonnance, permis par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, était auditionnée par la commission des lois du Sénat sur ce projet de réforme de l’encadrement supérieur de l’Etat. Tout en restant dans les grandes lignes, cette séance d’avant-première législative a surtout été l’occasion pour les sénateurs d’aborder les points qui fâchent ou les inquiétudes induites par cette réforme.
Très vite, le sujet de l’avenir de la fonction préfectorale s’est bien hissé sur le haut de la pile des interrogations autour de cette réforme, qui entend notamment élargir la base des recrutements des grands cadres de l’Etat et mettre fin à ces logiques de carrières rigides et tracées d’avance. La fin du corps préfectoral, vivier de l’Etat pour ces fonctions si particulières, avait suscité une certaine opposition au Sénat.
« Lorsque je lis çà et là que nous supprimerions l’institution préfectorale […] les bras m’en tombent »
Amélie de Montchalin a voulu d’abord souligner qu’il n’était pas question de « supprimer une institution qui remonte à Napoléon », encore moins de « politiser les préfets ». « Lorsque je lis çà et là que nous supprimerions l’institution préfectorale ou que nous serions sur le point d’organiser un spoil system à l’américaine, les bras m’en tombent. Parce qu’au débat d’idées, manifestement, certains ont plutôt choisi la course à l’outrance électorale », s’est-elle exclamée, dénonçant des « tentatives de récupération ». L’allusion semble viser la candidate du Rassemblement à l’élection présidentielle, Marine Le Pen, qui avait adressé une lettre à l’ensemble des préfets.
Les récentes interventions du gouvernement dans les médias ou Parlement (Jean Castex s’était exprimé aux questions d’actualité du Sénat) n’ont pas dissipé les doutes des sénateurs, qui peinent à voir l’intérêt d’un tel changement. « Avons-nous constaté une carence des préfets », s’est demandé la sénatrice centriste Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités locales. « Est-ce que ce statut n’est pas nécessaire à l’exercice de la fonction ? […] Je fais partie de ceux qui s’inquiètent au nom du service de l’Etat », a exposé Philippe Bas, inquiet de la dissolution du corps préfectoral dans un ensemble plus vaste. Le sénateur LR de la Manche a dit « s’interroger sur le caractère réellement gaullien » de la réforme, reprenant les mots de la ministre.
Il ne faut y voir « aucune punition », a répliqué la ministre. Et d’expliquer que la réforme « s’inscrit dans le développement d’une logique d’organisation des parcours de carrière, selon les métiers, les compétences ». Amélie de Montchalin a confirmé que le gouvernement créerait un « statut d’emploi », « propre aux fonctions préfectorales », de sorte à renforcer « l’ouverture vers l’extérieur ».
Pas question pour autant de tomber dans un CDI de droit privé pour tous les grands commis de l’Etat. « Nous aurions pu, comme certains le préconisent dans d’autres familles politiques, mettre fin au statut et recruter uniquement sur contrat. Nous n’avons pas voulu céder à cette facilité car nous sommes attachés à ce statut, qui bien sûr emporte des droits, mais également des obligations », a tenu à rassurer la ministre. L’article 7 de l’ordonnance inscrira, selon elle, dans loi des « garanties d’indépendance et d’impartialité », pour la haute fonction publique, là où jusqu’à présent l’appartenance à un grand corps était le gage que cette garantie était tenue. Il s’agit d’une « reconnaissance inédite », a insisté la ministre.
Demain, l’Etat pourra compter sur le corps des administrateurs de l’Etat, qui constituera le « principal corps de l’encadrement supérieur », a-t-elle expliqué. « Cela permettra de passer d’une logique de corps, à une logique de métiers et de compétences, au service des besoins de l’Etat. » La gestion et le pilotage des ressources humaines seront gérés par une délégation interministérielle, qui sera notamment chargée d’éviter toute « déperdition de ressources », en gérant au mieux les affectations. La sénatrice LR Catherine Di Folco s’est demandé si ce service aura les moyens de fonctionner, et si cette création sera répercutée dans le prochain projet de loi de finances. « Quand on met des moyens, ça se voit », a assuré la ministre. « Nous allons y mettre des moyens, entre 30 et 50 personnes. »
La « suppression-refondation » de l’ENA
Ce n’est pas seulement la gestion des carrières et des affectations qui seront revues par la réforme, la formation initiale est l’un des autres chantiers. Amélie de Montchalin a évoqué le sort de l’Ecole nationale d’administration (Ena), qui sera transformée en un Institut national du service public (INSP) début 2022. Une « suppression-refondation », selon ses termes, qui fera d’elle le « principal opérateur de formation de l’encadrement supérieur ». Nouvelle tutelle, nouveau périmètre, nouvelles missions, tronc commun avec d’autres écoles, l’INSP aboutira à des « changements profonds », sans toutefois renier les « apports » de l’ENA.
La nouvelle dénomination n’a pas convaincu les sénateurs. « Rien de ce que j’ai n’est incompatible avec le fait de garder une Ecole nationale d’administration. On a l’impression que c’est un scalp », s’est étonné le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur. Des sénatrices, comme Catherine Belrhiti (LR) se sont demandé s’il était bien opportun de supprimer ce nom jouissant d’une réputation solide à l’international. « Je crois à la marque France », a répondu Amélie de Montchalin.
Le grand changement de l’INSP sera une moindre importance accordée au classement, sur lequel étaient basées des « voies toutes tracées ». La ministre de la fonction publique a également souligné qu’à « partir de 2023 », les accès des diplômés de l’école aux corps d’inspections ministériels ne seront plus directs. Il faudra passer par une mission opérationnelle au préalable sur le terrain. « Ils devront avoir une première expérience professionnelle avant de juger, contrôler ou inspecter », a prévenu la ministre.
L’une des ambitions du gouvernement est aussi de disposer d’une haute fonction publique qui « soit davantage à l’image de la réalité sociétale et territoriale de notre pays ». Dès la rentrée 2021, 1 700 places seront ouvertes pour les étudiants boursiers au sein de 74 classes préparatoires aux grands concours de la fonction publique. Voyant plusieurs éléments de la réforme se mettre en place aussi dès l’automne, la rapporteure Catherine Di Folco a rappelé qu’il était « indispensable » que le Parlement puisse examiner le projet de loi ratifiant l’ordonnance.
La préparation de la réforme n’est pas encore totalement parachevée puisqu’une consultation auprès de 10 000 cadres d’Etat doit s’ouvrir, jusqu’au 18 juin, a précisé la ministre. Elle espère recueillir leurs regards sur leurs fonctions et leurs aspirations, notamment sur les gestions de carrière. Le retour est annoncé pour le début du mois de juillet.
Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.
Alors que le premier ministre a demandé aux partis de se positionner par rapport à l’exécutif selon trois choix, les partis de gauche ne souhaitent pas rentrer pas dans le jeu de François Bayrou. Ils attendent des signaux qui pourraient les amener à ne pas censurer. Mais ils ne les voient toujours pas…
C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».
Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.