Précarité : « On est en crise humanitaire en France aujourd’hui », alertent les associations caritatives

Précarité : « On est en crise humanitaire en France aujourd’hui », alertent les associations caritatives

Auditionnées au Sénat par la nouvelle mission d’information du Sénat sur la lutte contre la paupérisation, trois associations caritatives ont alerté sur l’aggravation de la précarité depuis la crise sanitaire. Ils ont plaidé pour des réponses structurelles, au-delà des mesures d’urgence.
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La nouvelle mission d’information du Sénat, contre la précarisation et la paupérisation, installée le 26 janvier à la demande du groupe Les Républicains, a démarré son cycle d’audition en entendant les acteurs de terrain. Après avoir écouté les organismes de statistique, les sénateurs ont eu un moment d’échange avec trois grandes associations en prise directe avec la précarité : la Croix-Rouge, ATD Quart-Monde ou encore le Secours catholique (Caritas France).

Chacun a eu des mots différents pour décrire la réalité de millions de personnes en grande difficulté financière, mais tous ont insisté sur l’urgence de cette réalité sociale, inacceptable selon eux pour un pays développé. « Dans ce pays, un certain nombre de Français souffrent de la faim. Cela doit tous nous amener à nous interroger », s’est insurgé Thierry Couvert-Leroy délégué national « lutte contre les exclusions » de la Croix-Rouge française, qui parle d’une « intensification de la grande pauvreté ». L’association est en prise directe avec l’aggravation de la précarité entraînée par les confinements et la baisse de l’activité économique.

Les chiffres sont glaçants. « En maraude, c’est 86 % de personnes qui ont été rencontrées en plus », témoigne le délégué national. Sur 22 000 personnes rencontrées, 6 000 sont des enfants. C’est plus du quart. : « On est en crise humanitaire en France aujourd’hui », résume Isabelle Bouyer, déléguée nationale d’ATD Quart-Monde.

La situation n’est pas née avec la pandémie, les confinements et l’arrêt de pans entiers de l’économie l’ont rendue plus visible et ont surtout jeté de nouvelles personnes dans la pauvreté, comme en témoignent les files interminables d’étudiants devant les banques alimentaires. « La crise du covid-19 est un accélérateur des dynamiques, elle est révélatrice de ce qui était déjà en cours », note Daniel Verger, responsable du département études, recherches et statistiques du Secours catholique, qui évalue la hausse du recours à l’aide alimentaire de 25 à 40 %. « 8 millions de personnes qui font appel aujourd’hui à l’aide alimentaire, c’est quand même l’indicateur majeur de l’échec de la lutte contre la pauvreté en France », selon lui. Ils étaient 5,5 millions en 2019, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).

En dix ans, le pouvoir d’achat des plus précaires a au mieux stagné, au pire légèrement baissé

Caritas France a pu comparer son rapport sur le budget des ménages bouclé l’an dernier avec les chiffres dont elle disposait il y a dix ans. Ce budget a légèrement baissé en parité de pouvoir d’achat. Près du quart des personnes disposant de ressources et accompagnées par l’association se retrouvent avec seulement 4 euros par jour, une fois les dépenses contraintes comme le loyer retranché. La somme restante doit servir à la fois à se nourrir, se vêtir, se déplacer ou encore avoir un peu de loisirs. Equation impossible. « C’est une situation qui n’honore pas la France et qui doit nous révolter », estime Daniel Verger.

Quelles solutions les trois associations ont-elles apportées ? Beaucoup de réponses de long terme. Les associations regrettent le traitement dans l’urgence de cette pauvreté qui ne date pas de mars 2020. « Quand on donne 150 euros à une famille pendant cette période, ça ne peut être qu’un pansement », considère Isabelle Bouyer, d’ATD Quart-Monde. « La réponse ne peut être que structurelle », ajoute-t-elle, mécontente de constater que l’aide alimentaire « s’institutionnalise », comme une fatalité. Les associations sont conscientes que le système dispose de marges d’amélioration. « On peut faire beaucoup mieux qu’une aide alimentaire basique qui peut être dure à vivre », estime Daniel Verger.

Les associations ont également unanimement alerté sur l’existence des « invisibles », ceux qui sont sortis des dispositifs d’aide (officiels ou associatifs) ou qui en restent éloignés. Daniel Verger, (Secours catholique) s’inquiète de ces personnes « en situation de repli sur soi », en particulier dans les territoires ruraux. Selon lui, « c’est un point d’alerte que l’on ressent ces dernières semaines ». En clair, il faut aller à la rencontre des personnes en difficulté, et ne pas attendre qu’elles se présentent. C’est notamment vrai pour les jeunes, selon Thierry Couvert-Leroy, délégué national « lutte contre les exclusions » de la Croix-Rouge française. « On ne peut que saluer les différents dispositifs que le gouvernement met en place – un jeune une solution, la généralisation de la garantie jeune – mais il manque le aller vers, comment aller vers les jeunes ». La lutte contre le non-recours aux aides avait été l’un des principaux objectifs de la stratégie de lutte contre la pauvreté, présentée par Emmanuel Macron en 2018.

Des propositions pour l’insertion professionnelle

L’ambassadrice d’ATD Quart-Monde a également préconisé de renforcer l’accompagnement des jeunes, notamment les 16-18 ans, qui ont décroché du système scolaire. Afin de pleinement respecter le principe de formation obligatoire pour cette tranche d’âge, elle recommande d’améliorer les moyens humains des missions locales, afin de garantir la meilleure orientation possible au jeune public, et éviter tout nouvel accident de parcours. « Quand les moyens ne sont pas vers eux, on aura toujours un pan de la population qui est toujours oublié », a-t-elle mis en garde.

Sur le front de l’emploi, Daniel Verger (Secours catholique) estime que la « mobilisation des territoires » est « sans doute » le bon échelon. Il recommande d’avancer sur le dispositif territoires zéro chômeurs de longue durée (une subvention de l’emploi dans des structures d’utilité publique, en lieu et place du versement d’allocations de solidarité). Sans toutefois aller trop vite, par peur de « fragiliser » ce qui n’est encore qu’une expérimentation dans quelques départements.

Un RSA revalorisé d’au moins 300 euros

C’est surtout sur la demande d’une revalorisation du revenu de solidarité active (RSA) que les associations se retrouvent unanimement. « Il est temps d’avoir des mesures qui ne soient pas des primes ponctuelles mais des mesures structurelles », plaide le représentant du Secours catholique, partisan d’un RSA amélioré. Comme d’autres bénévoles, il encourage à un élargissement des publics bénéficiaires, notamment les jeunes sortis de l’aide sociale à l’enfance. Mais aussi, par une revalorisation du montant. Aujourd’hui, le RSA socle atteint 565 euros. ATD Quart-Monde demande 850 à 900 euros « pour vivre dignement », un niveau voisin du chiffre imaginé par Daniel Verger, de 50 % du revenu médian. Pour rappel, le seuil de pauvreté correspond à 60 % du niveau de vie médian de la population, soit un peu plus de 1 050 euros.

Si les associations ont souvent eu le sentiment de répéter en permanence le même discours – « on est en audition tous les jours », constate Isabelle Bouyer – elles ont néanmoins espoir d’avoir été entendues. « Je suis très heureux qu’il y ait cette prise de conscience. Cela veut dire que vous pouvez être audacieux dans les propositions que vous pouvez faire […] Vous avez cette opportunité et cette responsabilité », espère Daniel Verger, devant les parlementaires. Les propositions, « ça ne fait pas toujours consensus », glisse une sénatrice. Le plus dur commence pour la mission sénatoriale, qui a six mois de travaux devant elle.

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