Pollution de l’air : quand le Sénat mettait un prix à « l’inaction » de l’État

Pollution de l’air : quand le Sénat mettait un prix à « l’inaction » de l’État

En juillet 2015, une commission d’enquête du Sénat dévoilait un chiffre alarmant : la pollution de l’air coûte chaque année à la France 100 milliards d’euros. Cette commission sera aussi marquée par une condamnation pénale pour parjure. Une première dans l’histoire des commissions d’enquête parlementaire.
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« Je m’en souviens, c’était le 15 juillet 2015. On avait fait l’ouverture du JT de BFM-TV. Avec le recul, je peux dire que l’emballement médiatique autour de nos préconisations ont été inversement proportionnel à leur prise en compte par les ministres de l’Écologie successifs » soupire Jean-François Husson, sénateur LR de Meurthe-et-Moselle, ancien président de la commission d'enquête « sur le coût économique et financier de la pollution de l'air ».

« Certains disaient ça n’a pas de prix et bien en fait si, ça en a un »

Cinq mois plus tôt, la commission d’enquête démarrait ses travaux qui allaient l’amener à une évaluation de l’impact sur les qualités de l’air dans les finances publiques intitulée : « Pollution de l’air, le coût de l’inaction ». « Une fois qu’on a dit que la pollution de l’air provoque la mort prématurée de 40 000 personnes, qu’est-ce qu’on fait ? Nous, on trouvait que prendre l’angle du coût était une manière intelligente d’aborder les défis environnementaux et écologiques. Certains disaient ça n’a pas de prix et bien en fait si, ça en a un » appuie Jean-François Husson.

Le coût est évalué par les sénateurs entre 68 et 97 milliards d’euros par an. Un montant « a minima » dans la mesure où la plupart des études mobilisées se fondent sur un nombre « limité » de polluants expliquait à l’époque la rapporteure écologiste de la commission d’enquête, Leila Aïchi. Du coût sanitaire (plus de 3 milliards d’euros de dépenses liées à la pollution de l’air pour les régimes obligatoires de sécurité sociale), aux avantages fiscaux accordés au diesel, en passant par le ravalement des façades d’immeubles et la baisse de rendement des terres agricoles, la commission d’enquête avait passé l’ensemble des études scientifiques disponibles au peigne fin.

61 propositions

Le rapport adopté à l’unanimité des membres de la commission d’enquête « dans un esprit de Grenelle » insiste Jean-François Husson formulait 61 propositions telles que : la formation des professionnels de santé en matière d’impact de l’environnement, la mise en place d’une taxe sur les émissions d’azote, d’oxydes d’azote et de particules fines, Inciter les opérateurs ferroviaires à réduire leur flotte diesel et à privilégier les moteurs électriques sur les lignes électrifiées, ou encore l’étiquetage pour les produits d’entretien des émissions de polluants volatiles.

On notera que la proposition 38 concernant l’implantation des bornes de chargement pour véhicules électriques peut se recouper avec une promesse récente d’Emmanuel Macron. Lors de la présentation de son plan automobile en mai dernier, le chef de l’État a effectivement fixé un objectif de 100 000 bornes électriques sur le territoire en 2021.

Les préconisations n’auront en tout cas pas empêché la condamnation de la France par la justice de l’Union européenne en 2019 pour le non-respect des seuils limites pour le dioxyde d'azote. La juridiction européenne avait reconnu que la France avait dépassé de manière « systématique » et « persistante » la valeur limite annuelle pour le dioxyde d’azote depuis le 1er janvier 2010, dans douze agglomérations.

Rapprochement des fiscalités sur l’essence et le diesel

En 2015, lors de la remise du rapport de la commission d’enquête, la ministre de la Transition écologique, Ségolène Royal avait salué « la qualité » et « le consensus politique » sur lequel il reposait, annonçant même que « des décisions extrêmement fermes » allaient être prises. En octobre de cette même année, Ségolène Royal s’était dite prête à envisager « un rapprochement » des fiscalités du diesel et de l’essence, l’une des propositions phares du rapport parlementaire qui tablait sur l’alignement des fiscalités en 2020.

En effet, les sénateurs faisaient état d’une France « diésélisée ». « Les véhicules diesel y représentent encore plus de 60 % du parc automobile en circulation (…) Cette « anomalie » française s’explique en grande partie par la fiscalité préférentielle dont bénéficie historiquement le gazole via un taux réduit de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) » notaient-ils.

Le projet de loi de finances 2016 lancera timidement le rapprochement des deux fiscalités avec une hausse de 1 centime de la TICPE sur le gazole, contre une baisse de 2 centimes sur l’essence contenant du bioéthanol. L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017 va accélérer les choses, aligner le prix du gazole sur celui de l’essence est certes une de ses promesses de campagne. Le projet de loi de finances 2018 prévoit une hausse de 2,6 centimes supplémentaires par an pour le gasoil, mais sans baisser la TICPE pour l’essence. Une hausse de la fiscalité qui ajoutée à la hausse du prix à la pompe va conduire à la mobilisation des gilets jaunes et ce malgré les avertissements des sénateurs, dès le 24 novembre 2017, lors de l’examen du budget. « Nous ne voulons pas voir naître une nouvelle vague de bonnets rouges » avait alerté Jean-François Husson. La mesure avait été d’autant plus mal comprise par les Français, qu’elle était perçue comme de l’écologie punitive visant à renflouer les caisses de l’État au détriment des plus modestes.

Le parjure de Michel Aubier

La commission d’enquête sur le coût de la pollution de l’air va également faire parler d’elle d’une façon plus inattendue. Pour la première fois dans l’histoire des commissions d’enquête parlementaires, une personne auditionnée sera condamnée par la Justice pour parjure.

Le 16 avril 2015, devant les sénateurs, le pneumologue Michel Aubier se présente devant la commission d’enquête et comme le veut le règlement, prête serment et jure de dire « toute la vérité, rien que la vérité ». À la première question : « Pourriez-vous indiquer les liens d'intérêts que vous pouvez avoir avec les acteurs économiques ? le Professeur Aubier répond : « Je n'ai aucun lien d'intérêt avec les acteurs économiques ».

Un an plus tard, le journal Libération, révèle que Michel Aubier travaille pour le groupe Total en tant que médecin-conseil depuis presque 20 ans et est également membre du conseil d’administration de la fondation Total. Une information bien embarrassante pour celui qui avait assuré aux sénateurs un an plus tôt « que le nombre de cancers dans les pathologies respiratoires liées à la pollution était extrêmement faible ». « C’est inadmissible qu’un professeur de médecine se revendiquant spécialiste ne dise pas la vérité. Monsieur Aubier a menti à la représentation nationale sur un sujet de santé publique » s’était indignée Leila Aïchi.

20 000 euros d'amende

Un faux témoignage devant une commission d’enquête est passible de cinq ans d’emprisonnement et d'une amende de 75 000 €. Le bureau du Sénat avait transmis le cas du professeur Aubier au parquet, et une première là aussi, la Haute assemblée s’était portée partie civile. Le tribunal correctionnel de Paris le condamnera à une peine de six mois de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende en 2017. L’année suivante, la Cour d’appel sera plus clémente et le condamnera à 20.000 euros d’amende.

Cinq ans après la commission d’enquête, Jean-François Husson semble amer. « On avait écrit : pollution de l’air, le coup de l’inaction. On pourrait ajouter aujourd’hui, le mauvais coup pour la démocratie. On avait réussi à trouver l’unanimité de l’ensemble de l’arc politique autour de ce sujet et tout ça pour quoi au final ? On a vu lors des dernières élections municipales qu’une forme de grève civique s’est installée dans le pays. Les gens ne vont plus voter et se disent : à quoi bon. À la crise environnementale est en train de s’ajouter une crise démocratique ».

 

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