Adoptée à l’unanimité du Sénat, la proposition de loi visant à protéger les mineurs contre les crimes sexuels, portée par la sénatrice centriste, Annick Billon, ne pouvait, a priori, pas porter le flan à la polémique.
Et pourtant des centaines de messages ont inondé l’actualité ce week-end sous le hashtag #avant15anscestNON. L’actrice Alexandra Lamy a posté une photo d’elle à 13 ans, accompagnée de cette question : « Est-ce que j’ai une tête à consentir à une relation sexuelle ? ».
La romancière, Tristane Banon a posté également une photo d’elle à 13 ans avec cette phrase : « L’âge où, si on viole un enfant, le Sénat considère qu’on peut plaider que c’est qu’il en a envie. On pourrait donc dire que cette petite fille a une grande envie d’un petit coup de reins ».
« Une faute professionnelle » de Bruce Toussaint
Aussi incroyable que ça puisse paraître, des centaines de personnes ont compris que le Sénat venait d’adopter une proposition de loi fixant le consentement à 13 ans. Autrement dit, le Sénat aurait présumé qu’à partir de 13 ans, un enfant serait consentant.
La cause de ce qu’Annick Billon nomme « une fake news » remonte à une interview que la présidente à la délégation aux droits des Femmes a donnée sur BFM-TV en fin de semaine dernière, où elle explique que des relations sexuelles (consenties) sont possibles entre de très jeunes adultes et des adolescents ». Le journaliste, Bruce Toussaint la coupe : « Vous entendre dire à l’antenne que des enfants seraient consentants, ça me pose un problème ». Par communiqué, Annick Billon estime qu’on « ne l’a pas laissée s’exprimer » et que ses « propos ont été isolés ».
La vidéo est partagée des centaines de fois. Contactée par Public Sénat ce lundi, la sénatrice dénonce un procédé « extrêmement malhonnête » et « une faute professionnelle » de la part du journaliste.
Age de non-consentement : le raté de la loi Schiappa
Percuté par l’actualité et les nombreux témoignages de victimes d’inceste, ce texte était certes examiné dans un climat particulier jeudi dernier, mais chacun à droite comme à gauche s’accordait à dire qu’il présentait une avancée dans la protection des mineurs. Même le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a concédé « un consensus sur l’idée générale ». Ce week-end, Emmanuel Macron a reconnu lui-même qu’il fallait « adapter notre droit pour mieux protéger les enfants victimes d’inceste et de violences sexuelles. »
La proposition de loi du Sénat, fruit de 2 ans de travaux, avait elle aussi, pour principal but de remédier à un raté de la loi Schiappa : fixer dans la loi un seuil d’âge de non-consentement. Une promesse d’Emmanuel Macron, et de l’ancienne ministre de l’Egalité Homme- Femme, une demande de l’ensemble des associations de victimes, mais qui pourtant n’avait pas abouti dans le texte de 2018.
Au moment de l’examen de la loi Schiappa en 2018, l’âge de non-consentement, fixé à l’époque à 15 ans, avait été écarté après avis du Conseil d’Etat qui soulevait l’inconstitutionnalité d’une telle mesure. En effet, avec un seuil d’âge inscrit dans la loi, l’âge de la victime devenait alors un élément constitutif du crime de viol ou du délit d’agression sexuelle : au même titre que la contrainte, la surprise, la menace, la violence (article 222-23). De ce fait une présomption dite irréfragable de culpabilité aurait été inscrite dans la loi, ce qui est inconstitutionnel en droit pénal.
« Le comportement de l’enfant ne sera plus interrogé »
C’est pour contourner cet écueil qu’Annick Billon a fait le choix de créer dans le Code pénal une infraction autonome du viol, intitulé crimes sexuels sur mineurs. Qui sanctionne de 20 ans de réclusion criminelle « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans lorsque l’auteur des faits connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime ».
Ce nouveau crime a pour but de vider des prétoires les débats sur le consentement lorsque la victime a moins de 13 ans. En 2017, la cour d’assises de Seine-et-Marne avait acquitté un homme de 30 ans jugé pour le viol d’une fillette de 11 ans. « Le comportement de l’enfant ne sera plus interrogé, on ne questionnera plus le consentement d’un mineur de moins de 13 ans », avait expliqué en séance Annick Billon.
13 ou 15 ans : le seuil de non-consentement en débat
Bien évidemment, les débats autour de son texte ont tourné autour de la pertinence du choix d’un seuil à 13 ans. Le groupe PS a déposé un amendement pour qu’il soit rehaussé à 15 ans. « Je crains qu’en fixant un seuil d’âge à 13 ans, on fragilise les 13-15 ans pour lesquels on admettrait en fin de compte, un éventuel consentement, qu’il n’y aurait pas viol systématiquement. Ce que nous voulons pour les moins de 13 ans, nous devons le vouloir pour les moins de 15 ans », avait argué Laurence Rossignol sénatrice PS de l’Oise. Le rejet de l’amendement n’a pas empêché la gauche du Sénat d’adopter le texte non sans regretter « une politique de petits pas et une « prudence exagérée ».
C’est effectivement la prudence qui a motivé le choix de 13 ans. Pour Annick Billon et la rapporteure LR Marie Mercier, le seuil d’âge de 13 ans est cohérent avec l’âge de la responsabilité pénale fixée à 13 ans également. Mais surtout, selon elles, c’est un seuil qui réduit le risque d’une censure par le Conseil Constitutionnel. L’article 227-25 du Code pénal punit le délit d’atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans de 7 ans d’emprisonnement. Les auteurs de la proposition de loi (cosignée par une centaine de sénateurs) craignaient qu’en fixant un seuil d’âge à 15 ans, cette nouvelle infraction « de crime sexuel sur mineur » ne vienne percuter ce délit déjà existant.
Il est à rappeler aussi que la proposition de loi du Sénat « visant à protéger les jeunes mineurs de crimes sexuels », entend protéger davantage les mineurs âgés de 13 à 15 ans en ajoutant au Code pénal que la contrainte morale ou la surprise (éléments constitutifs du viol) peuvent résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de quinze ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. »