Des dizaines de kilomètres pour une simple consultation chez le généraliste, de (très) longs mois d’attente avant de décrocher un rendez-vous chez un spécialiste comme un ophtalmologue, un cardiologue ou un gynécologue… Le territoire national est parcouru de profondes inégalités face à l’offre de santé, ce sont les fameux « déserts médicaux », ces zones géographiques où le maillage médical se desserre jusqu’au délitement. Ce phénomène touche « souvent des espaces ruraux, mais aussi certaines villes moyennes ou des zones périurbaines », notent les sénateurs Philippe Mouiller (LR) et Patricia Schillinger (RDPI) dans un rapport réalisé pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présenté ce mercredi 20 octobre.
« Pourquoi l’État, à qui incombe la responsabilité exclusive de la politique de la santé, semble-t-il éprouver autant de difficultés à réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins ? », interrogent les élus dans ce texte d’une quarantaine de pages baptisé : « Les collectivités à l’épreuve des déserts médicaux : l’innovation territoriale en action ». La question hante la Chambre Haute qui a déjà produit au cours des quatre dernières années deux rapports de ce type. L’intérêt de cette publication est de s’appuyer sur les remontées du terrain : « Les élus locaux, on le sait, sont des inventeurs de solutions face aux carences de l’Etat », fait valoir la centriste Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. À l’issue de 6 mois d’enquête et 50 auditions, les sénateurs formulent 12 recommandations directement inspirées des initiatives lancées à l’échelon local pour lutter contre les difficultés d’accès aux soins. Petit tour d’horizon des principales mesures :
> Bâtir des centres de santé « partenariaux ». Les sénateurs pointent la nécessité d’une collaboration entre les élus locaux et les acteurs du monde médical (conseil départemental de l’ordre, syndicat…) durant l’élaboration de projets comme la construction de maisons de santé pluridisciplinaires. « Beaucoup d’élus construisent des murs, mais, à l’arrivée, la maison est vide parce qu’ils l’ont faite seuls, sans consulter les professionnels de santé », commente Françoise Gatel.
> Favoriser les liens entre les territoires et les facultés de médecine. La création d’antennes universitaires dans chaque département permettrait de faire le lien entre la formation et la demande. Patricia Schillinger et Philippe Mouiller évoquent également la création d’un « label universitaire », en citant l’exemple de Fontainebleau qui a mis en place « une maison de santé pluriprofessionnelle universitaire ». Les médecins y ont un statut de maître de stage, et les universités partenaires s’engagent à y orienter leurs internes en médecine générale.
> Des dispositifs incitatifs pour favoriser l’installation de médecins. Pour attirer les praticiens, le rapport détaille plusieurs pistes, comme la distribution de bourses ou la mise en place d’un système de salariat piloté par les départements, et susceptible d’offrir un cadre attractif pour de jeunes médecins « désireux de rechercher un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ». La Saône-et-Loire met déjà en œuvre depuis 2017 un projet de ce type. Certaines mesures pourraient être personnalisées : facilitation pour l’accès au logement, à la scolarisation des enfants, dispositifs d’aides pour permettre au conjoint de trouver plus facilement du travail dans le territoire d’installation, etc.
> Généraliser les contrats locaux de santé. Mis en place en 2009, le contrat local de santé (CLS) instaure un partenariat entre une Agence régionale de santé et une intercommunalité. Il permet de définir un projet local de santé, selon les besoins du territoire ciblé en termes de soins, de prévention ou encore d’accompagnement médico-social. « Beaucoup de personnes entendues […] ont souligné le rôle essentiel joué par les CLS en tant qu’espaces de dialogue », relèvent les rapporteurs.
> Lancer d’ici un an un débat national sur la liberté d’installation des médecins. Cette proposition, potentiellement la plus explosive de ce rapport, interroge la possibilité d’aménager « des mesures coercitives » pour aiguiller l’installation de médecins sur l’ensemble du territoire. L’idée revient régulièrement dans les discussions sur la désertification médicale. En 2019, un amendement au projet de loi Santé voulait intégrer un « stage obligatoire » de six mois dans les zones sous-dotées pour les étudiants en dernière année de médecine. À l’époque, la disposition avait suscité d’âpres débats.
« Nous n’avons pas pris position dans ce rapport, mais je peux vous dire que 100 % des élus que nous avons vus en audition nous ont dit qu’il fallait relancer la réflexion autour de la liberté d’installation des médecins », commente Philippe Mouiller, qui évoque « un sujet brûlant, à poser sur la table à court terme ». « Et d’ailleurs, ajoute-t-il, sur la question des stages obligatoires, je peux vous dire que la volonté de la commission des affaires sociales est de déposer dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) un nouvel amendement en ce sens. »
> Renforcer le poids des élus locaux au sein du conseil de surveillance de l’ARS. Alors que les agences de santé ont pour mission de réduire les inégalités territoriales, les sénateurs estiment qu’elles ne sont pas toujours à la hauteur de leur rôle de facilitateur et d’accompagnement des élus locaux dans les projets qu’ils souhaitent mettre en place. Pour résoudre les problèmes de communication, le rapport invite les agences à se doter d’une « direction opérationnelle dédiée aux relations avec les élus », voire à faire entrer ces derniers dans le pilotage des agences.
Le projet de loi « 4D », relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, intègre d’ailleurs une mesure en ce sens : la transformation du conseil de surveillance des Agences régionales de santé en conseil d’administration, coprésidé par le président du Conseil régional. « Le gouvernement n’est pas d’accord avec nous sur ce point, il va falloir qu’il bouge ! », avertit Françoise Gatel. Ce texte, adopté en première lecture au Sénat, doit encore passer devant les députés.
> La téléconsultation, une solution de dernier recours. Bien qu’elle se soit fortement démocratisée durant la crise sanitaire déclenchée par le covid-19, la télémédecine n’est pas retenue comme une solution viable par les rapporteurs, qui redoutent qu’une généralisation de la pratique ne renforce l’isolement de territoires où des praticiens refusent déjà de s’installer. « Les projets de télémédecine ne doivent donc se développer qu’en ultime recours, lorsqu’aucune solution alternative ne paraît envisageable », écrivent-ils.
Et après ?
Les différentes mesures présentées dans ce rapport n’ont pas nécessairement vocation à trouver une transcription dans la loi, par exemple sous la forme d’amendements ajoutés au PLFSS 2022, reconnaît la délégation aux collectivités territoriales. Les rapporteurs préfèrent parler d’une « boîte à outils » dont les élus pourront se saisir, en les adaptant aux spécificités de leur territoire. « La délégation se veut pragmatique, avec un réel souci d’efficacité », insiste Françoise Gatel, qui estime que la loi n’est pas nécessairement en mesure d’apporter une réponse rapide à des problématiques ultra-localisées. « Ce sont les élus locaux qui vont inventer les solutions, il n’y a pas de fatalité. Mais c’est plus exigeant que de faire une loi en imaginant que grâce à elle le territoire va se remplir de médecins ! », conclut-elle.