Lutte contre les addictions : le fonds anti-tabac dilué dans l’alcool ?

Lutte contre les addictions : le fonds anti-tabac dilué dans l’alcool ?

Les sénateurs craignent que lutte contre le tabac soit affaiblie, en raison de l’intégration de l’alcool dans le périmètre du fonds de lutte contre les addictions. Reste une solution : davantage taxer l’alcool, à commencer par le vin, très peu taxé. La ministre Agnès Buzyn souligne que la taxation du rhum d’Outre-Mer « va alimenter ce fonds ».
Public Sénat

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Les sénateurs ont parlé drogue vendredi matin. Ou plus exactement du fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives. Le gouvernement entend transformer le fonds de lutte contre le tabac en fonds de lutte contre toutes les addictions, en y incluant l’alcool et le cannabis. Une réforme qui passe par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, dont les sénateurs terminent l’examen ce vendredi 16 octobre. Le Sénat a adopté la création de ce nouveau fonds élargi, non sans en souligner les limites.

Faire plus avec la même somme

La crainte exprimée par plusieurs sénateurs : que la lutte contre le tabac y perde, en raison d’un manque de financement. Le sénateur du groupe PS, Bernard Jomier, salue le « principe louable » d’élargir le fonds à toutes les addictions. Le fonds, financé logiquement jusqu’ici par le tabac, bénéficiait de 97 millions d’euros l’an dernier. Pour cette année, la baisse de sa consommation entraîne une baisse des recettes, que le gouvernement compense par 10 millions d’euros issus des nouvelles contraventions pour usage de cannabis. L’exécutif maintient ainsi le fonds à environ 100 millions d’euros. Problème : il faudra faire plus, avec la même somme, car la lutte contre l’alcool sera maintenant incluse dans les actions du fonds. Or « le financement repose à 90% sur le tabac », souligne Bernard Jomier (voir la vidéo).

Face au risque de « dilution du fonds actuel » qui serait « affaibli », « sans financement à hauteur des enjeux », le sénateur LR Philippe Mouiller a défendu le maintien du fonds actuel uniquement sur le tabac.

Lobby

« Favorable » à la création de ce fonds, la sénatrice communiste Laurence Cohen regrette cependant qu’il ne soit pas aussi élargi « à l’addiction aux jeux ». Elle souligne que le sujet fait « écho à la proposition de nombreux médecins addictologues, qui ont alerté sur le fait que l’alcool était le grand absent de ce fonds. Je rappelle que 49.000 décès sont liés à l’alcool chaque année en France ». Proposition faite par des médecins dans une lettre ouverte à Agnès Buzyn. « C’est scandaleux que l’alcool ne participe en rien au fonds de prévention contre les addictions » s’était indigné Gérard Dubois, professeur de santé publique et l’un des cosignataires de la lettre, interrogé fin octobre par publicsenat.fr.

Mais les intérêts économiques du vin sont protégés par de nombreux parlementaires, et surtout par Emmanuel Macron lui-même et sa conseillère agriculture, Audrey Bourolleau, ancienne déléguée générale de Vin et société, le lobby chargé de défendre les intérêts de la filière viticole auprès des pouvoirs publics.

La logique serait pourtant de faire participer un peu plus l’alcool au fonds. A commencer par le vin. Le produit bénéficie d’une taxation (droit d’accise) extrêmement faible. Selon la Cour des comptes, sur une bouteille à 3 euros, la taxe ne représente que 0,028 centime… soit 1% du prix de la bouteille. En comparaison, la taxe représente 32% du prix d’une bouteille d’alcool fort à 15 euros.

Davantage taxer l’alcool ?

Face à cette incohérence, Bernard Jomier s’est adressé à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn : « Pouvez-vous confirmer que l’alcool, pourtant deuxième priorité en termes de prévention, participera tôt ou tard à hauteur du problème qu’il représente au financement ? »

Sur ce point de la taxation de l’alcool, une brèche est ouverte dans ce PLFSS. « Nous avons voté une taxation du rhum, qui va alimenter ce fonds » souligne Agnès Buzyn. Le gouvernement a en effet décidé d’aligner progressivement sur 6 ans la taxe sur les rhums d’Outre-Mer, sur le niveau de métropole. Non sans susciter l’ire des sénateurs de Martinique ou de Guadeloupe (voir notre article). En revanche, pas un mot de la ministre sur le vin. Peut-être préfère-t-elle s’éviter un nouveau recadrage, comme en février dernier, quand elle avait affirmé que le vin était « un alcool comme un autre »…

Plan de lutte contre les addictions « présenté dans peu de temps »

Quant au financement, elle souligne que le fonds anti-tabac n’était doté à l’origine que de 30 millions d’euros, avant que le gouvernement ne le porte à 100 millions. Elle ajoute que les actions de prévention « ne s’arrêtent pas au fonds, c’est beaucoup plus large ».

Les sénateurs ont aussi pointé du doigt le budget en baisse pour la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) et l’annonce, repoussée plusieurs fois, du plan de lutte de la MILDECA. Sur ce dernier point, Agnès Buzyn assure qu’il « fait l’objet de réunions interministérielles. Il a été proposé au premier ministre, il n’est pas encore totalement arbitré », mais « il sera présenté dans peu de temps ».

La ministre peut déjà affirmer qu’il portera sur « six grands axes » : « La protection des plus jeunes ; mieux répondre aux conséquences des addictions pour les citoyens et la société ; améliorer l’efficacité de la lutte contre le trafic ; améliorer la connaissance sur ce sujet ; observer et agir au-delà des frontières ; et créer les conditions de l’efficacité de l’action au niveau des territoires ».

Dans la même thématique

Lutte contre les addictions : le fonds anti-tabac dilué dans l’alcool ?
3min

Politique

Retraites : « Il y a de la démagogie chez ceux qui expliquent que l’on peut aussi revenir sur la réforme Touraine », alerte Bernard Jomier

Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.

Le

Paris: Weekly session of questions to the government at the french senate
6min

Politique

Budget : les sénateurs écologistes accusent la majorité du Sénat de « lâcher les collectivités »

Alors que la majorité sénatoriale veut réduire l’effort demandé aux collectivités de 5 à 2 milliards d’euros dans le budget, c’est encore trop, aux yeux du groupe écologiste du Sénat. « Il y a un changement de pied de la majorité sénatoriale », pointe le sénateur Thomas Dossus. Avec le groupe PS et communiste, ils vont présenter onze amendements identiques « pour faire front commun ».

Le

Lutte contre les addictions : le fonds anti-tabac dilué dans l’alcool ?
2min

Politique

Retrait de la plainte de Noël Le Graët : « une décision sage et prudente » réagit Amelie Oudéa-Castera

A quelques jours de l’audience qui devait avoir devant la cour de justice de le République, Noël Le Graët, par la voix de son avocat a annoncé retirer sa plainte pour diffamation contre l’ancienne ministre des Sports. Invitée dans l’émission Sport etc, Amélie Oudéa-Castéra réagit en exclusivité à cette annonce au micro d’Anne-Laure Bonnet.

Le

G7 summit in Borgo Egnazia
6min

Politique

Nomination des commissaires européens : « On constate qu’Ursula von der Leyen ne peut pas se passer du soutien de Giorgia Meloni », note un spécialiste des partis européens 

La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.

Le