Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Loi de programmation militaire : « Si l’effort est important, il y a un certain nombre de renoncements », souligne le sénateur LR Cédric Perrin
Par François Vignal
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Continuer de mettre à niveau et développer. La loi de programmation militaire (LPM), présentée ce mardi matin en Conseil des ministres, définit l’effort budgétaire pour les armées françaises sur la période 2024-2030. Le chiffre global laisse songeur : 413 milliards d’euros. Soit une hausse, comparé à la LPM 2019-2025, de l’ordre de 100 milliards d’euros. En 2030, le budget annuel de la défense sera ainsi porté à 69 milliards d’euros, contre 32 milliards en 2017, « soit plus du double », s’enorgueillit dans Le Parisien le ministre des Armées, Sébastien Lecornu.
Le texte « consacre quelques fondamentaux » comme « la dissuasion nucléaire »
Cette loi de programmation militaire, la 15e depuis les années 60, « s’inscrit dans un contexte particulier », comme l’a rappelé ce mardi midi Sébastien Lecornu à l’issue du Conseil des ministres. Celui d’une montée des tensions et des menaces et, en particulier, de la guerre en Ukraine bien sûr. Ce texte de 36 articles, qui sera examiné à l’Assemblée « mi-mai et aux alentours de la mi-juin au Sénat, pour une promulgation autour du 14 juillet », « vient consacrer quelques fondamentaux », au premier desquels « la dissuasion nucléaire, un élément clef dans la voûte qui protège nos intérêts vitaux », a rappelé le ministre de la Défense, tout en poursuivant « la réparation » de nos armées.
Les coupes budgétaires du passé ont laissé des traces. « Ça se voit sur nos infrastructures, l’état de nos bases aériennes, le maintien en condition opérationnelle. On dit souvent vous avez des hélicoptères mais ils ne sont pas en situation de décoller. C’est l’entretien. Ça se voit sur les stocks de munitions », illustre le ministre.
Pour y remédier, la LPM entend renforcer nos moyens de défense sol/air, « parent pauvre des LPM passées », autant « dans les couches les plus basses », c’est-à-dire à basse altitude, pour la lutte anti-drone, en vue notamment des JO de Paris 2024, comme « dans les couches les plus hautes ». Dans les Outre-Mer, les moyens seront renforcés également, tout comme pour « l’ensemble des services de renseignement, qui verront leurs crédits augmenter de 60 % dans la période, pour la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure), la DRM (direction du renseignement militaire) et DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense) », explique Sébastien Lecornu. Autres secteurs renforcés : la cyberdéfense pour faire face à la guerre électronique, « la question des fonds marins, c’est-à-dire la guerre des mines de demain, avec la capacité à saborder des objets civils au fond des mers » et « la question du spatial ». Des efforts qui nécessitent une véritable « économie de guerre », avec un appareil militaro-industriel capable de répondre et de développer les technologies. En termes humains, l’objectif est de porter les forces à 300.000 soldats, dont 100.000 réservistes.
« Il n’y a pas de renoncement, il y a des mises à l’échelle », selon le ministre Sébastien Lecornu
La cerise sur le gâteau, c’est un nouveau porte-avions. Une cerise qui n’est pas bon marché, puisque le remplaçant du Charles de Gaulle nécessitera environ 5 milliards d’euros. Sébastien Lecornu promet « un bijou, une cathédrale de technologie », qui sera « beaucoup plus lourd » que le navire actuel. Le remplaçant du Rafale devra être capable d’y apponter. Mais ce nouveau porte-avions devra laisser aussi « une place importante aux drones ». Le ministre le décrit comme « une forme de grosses multiprises, qui permet d’amener d’autres nations » à se greffer au dispositif du groupe aéronaval français, avec ses frégates et sous-marins.
Certains questionnent ce choix. « C’est un effort budgétaire important », admet Sébastien Lecornu, qui reconnaît que « ça peut susciter des réactions, y compris au sein des autres armées, où ça pose question ». D’autant que la LPM va entraîner un décalage dans les livraisons d’autres matériels, comme les blindés Scorpion, pour l’A400 M, de nouveaux Rafale ou les frégates de défense et d’intervention… « Il n’y a pas de nombreux décalages, il y a deux étalements de programme, que je peux justifier pour le Scorpion par les capacités de production des entreprises », répond le ministre, qui ajoute : « Il n’y a pas de renoncement, il y a des mises à l’échelle, qui se font en lien avec l’industrie ». Rappelant les retards sur certaines livraisons, dans le passé, et « l’export, qui va solliciter les chaînes de production », Sébastien Lecornu préfère rendre « une copie sincère ».
« Le tout Rafale ne sera pas effectif en 2030 », pointe Cédric Perrin
Les parlementaires n’ont pas encore pu prendre connaissance du détail du texte. Mais globalement, l’accueil semble plutôt bon. « C’est un effort important, il faut le souligner », d’autant que « la période nécessite un effort important », réagit le sénateur LR Cédric Perrin, même s’il souligne que « ce n’est pas 413 milliards d’euros. C’est 400 + 13. […] Les 13 milliards sont basés sur des recettes incertaines, car ce sont des ventes de fréquences et des ventes immobilières ». Regardez (interview par Quentin Calmet) :
« Si l’effort est important, il y a un certain nombre de renoncements », pointe cependant le sénateur de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. « Il y a un certain nombre d’abandons qui me semble préjudiciables, notamment sur le tout Rafale, que le Président avait annoncé à Mont-de-Marsan, lors de son discours le 19 janvier dernier. Or le tout Rafale ne sera pas effectif en 2030, on sera plutôt proche des 137 que des 185 avions nécessaires. Il y a des allongements de programme sur Scorpion, qui sont problématiques, ou l’abandon d’un certain nombre de Jaguar, qui devaient être livrés à nos armées, pour sans doute prolonger les AMX-10 RC actuels », détaille Cédric Perrin. Le sénateur LR salue cependant « aussi des bonnes nouvelles, comme le maintien du calendrier sur le porte-avions, […] ce qui n’était pas une évidence absolue, il y a quelques jours », ou « les efforts faits sur le cyber et les drones, des nécessités absolues ».
« Il faut être en capacité de maintenir la sécurité de nos territoires », pour le socialiste Rachid Temal
Le socialiste Rachid Temal voit globalement d’un bon œil le principe de l’effort budgétaire, même s’il aurait aimé voir « le Parlement » davantage associé en amont. « Il faut être en capacité de maintenir la sécurité de nos territoires, dans l’hexagone et en Outre-Mer. Car on voit bien qu’il y a un danger dans l’Outre-Mer, où il faut renforcer les capacités militaires là-bas, ce qui est prévu dans la LPM, ce qui est une bonne chose », soutient le sénateur PS du Val-d’Oise, invité de la matinale de Public Sénat ce mardi. « Pour le groupe PS, je serai le chef de file sur le texte, et nous verrons à ce que nous soyons, sur ces questions-là, comme si nous étions aux responsabilités », prévient Rachid Temal. Regardez :
Si « maintenir les capacités de l’armée française, c’est important, il faut aussi imaginer les armes de demain », ajoute le socialiste, qui se dit « pour le maintien, le renforcement et la modernisation de l’outil de dissuasion nucléaire. C’est aussi comme ça, qu’on protège les Français ».
Les écologistes souhaitent « diminuer notre arsenal nucléaire »
Du côté du groupe écologiste, « il faut rester sur une orientation de dissuasion, mais il ne faut pas renforcer notre armement nucléaire », soutient à l’inverse Guillaume Gontard, président du groupe écologiste du Sénat, lui aussi membre de la commission des affaires étrangères et de la défense. Pour lui, il faudrait même « diminuer notre arsenal nucléaire », conformément à la position traditionnelle des écologistes.
Globalement, le sénateur de l’Isère voit des « éléments intéressants. C’est sûr qu’on avait pris beaucoup de retard, rien que sur les conditions de vie de l’armée, l’équipement du quotidien ». « Il y a des équipements à remplacer », reconnaît l’écologiste. Il apprécie aussi le principe « d’une vision à long terme. On devrait d’ailleurs avoir une loi de programmation sur des sujets climatiques ».
L’écologiste exprime « une crainte » : que le modèle d’armée globale, défendue par la France, nous amène « à faire comme si on était un seul pays », « et derrière ça, on abandonne un peu l’idée d’une défense européenne. Et pour nous, c’est particulièrement important ».
« La transition écologique de l’armée, mine de rien, c’est un vrai sujet central », souligne Guillaume Gontard
Guillaume Gontard aurait aimé voir un chapitre consacré à « la transition écologique de l’armée. Mine de rien, c’est un vrai sujet central, quand on parle d’énergie, et d’indépendance énergétique », sans oublier « le patrimoine de l’armée et sa rénovation thermique de l’ensemble des bâtiments. On sait que c’est très en retard ».
Dans l’ensemble, il constate « un budget très ambitieux. Donc il pose évidemment des questions sur la capacité qu’on peut avoir, avec beaucoup d’argent public, dans un contexte où on nous a raconté qu’on avait un pays en difficulté financière et qu’on demande des efforts aux Français ». Il parle bien sûr de la réforme des retraites.
« Ne pas opposer notre sécurité collective à notre modèle social »
Si cette LPM était dans les cartons de longue date, sa présentation vient en effet percuter la mobilisation contre la réforme des retraites, comme nous l’évoquions la semaine dernière. « Il y a beaucoup d’interrogations sur la LPM. Car annoncer 400 milliards d’euros quand vous courrez après 13 milliards sur les retraites… » constatait un sénateur, qui glissait que certains « au gouvernement se disent que politiquement, ça tombe mal »… Selon L’Opinion, la première ministre, Elisabeth Borne, aurait plaidé pour une LPM au périmètre un peu plus resserré, avec 392 milliards d’euros.
Sébastien Lecornu dit aujourd’hui « comprendre » les interrogations. Mais pour le ministre, il ne faut « pas opposer notre sécurité collective à notre modèle social ». D’autant qu’« une guerre crée une inflation terrible. Donc ne soyons pas munichois », lance Sébastien Lecornu. Celui qui est aussi sénateur Renaissance – il ne siège pas, étant ministre – rappelle que « notre modèle social, c’est 30 points de notre PIB. Les armées, c’est 1,9 point ». Et de lancer : « Avec les 413 milliards d’euros, il n’y a rien de trop ».