Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
Législatives : le rôle charnière de LR à l’Assemblée nationale, loin d’être confortable
Par Romain David
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Sentiments contradictoires ce lundi chez Les Républicains, au sortir d’un second tour des législatives qui dynamite les équilibres parlementaires. D’un côté, le soulagement d’avoir réussi à conserver 61 sièges (64 en comptant l’alliance avec l’UDI), quand les projections les plus pessimistes annonçaient à LR une trentaine d’élus seulement. Une assise suffisamment large pour jouir d’un droit de saisine du Conseil constitutionnel et déposer une motion de censure en cas de profond désaccord. Malgré tout, la droite continue irrésistiblement de s’étioler, puisqu’elle va perdre son statut de premier groupe d’opposition, désormais reléguée à la quatrième place, derrière l’attelage de la majorité (Ensemble !), l’alliance des gauches (NUPES) et surtout le Rassemblement national qui réalise une percée historique avec 89 députés.
Une consolation de taille néanmoins : dans cet hémicycle scindé en trois grands blocs, LR sait qu’il représente désormais un point de fuite pour la Macronie, privée de sa majorité absolue avec seulement 245 sièges. Emmanuel Macron ne peut plus imposer sa politique aux oppositions, et doit trouver le moyen de dégager des majorités de circonstance pour mettre en œuvre son programme, en négociant, par exemple, avec une droite dont il a déjà largement phagocyté les troupes et le programme.
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S’opposer sans blocage
Pour LR, la fenêtre de tir est inespérée après le score calamiteux de Valérie Pécresse à la présidentielle (4,78 %), mais la stratégie à adopter pour capitaliser sur cette opportunité interroge. « Nous sommes moins nombreux, et pourtant, nous allons devenir plus importants politiquement », résume auprès de Public Sénat la sénatrice LR des Alpes-Maritimes, Dominique Estrosi Sassone. Car ce rôle de groupe charnière pourrait bien accentuer les dissensions d’un parti tiraillé depuis 2017 entre les partisans d’une droite libérale, prête à négocier avec Emmanuel Macron, et les tenants d’un positionnement plus identitaire et sécuritaire.
La direction du parti entend rester dans l’opposition, mais une opposition constructive. « Nous sommes dans l’opposition au gouvernement et à Emmanuel Macron que nous avons combattu pendant ces législatives. Nous resterons sur cette ligne. Il n’est pas question de pacte, de coalition ou d’accord de quelque nature qu’il soit », a répété Christian Jacob lundi, au sortir d’un conseil stratégique qui avait réuni la foule des grands jours, preuve du retour de LR sous les feux des projecteurs. En clair : les députés voteront les textes qu’ils estiment satisfaisants pour réformer le pays ou ceux que la droite aura réussi à amender. Et s’opposeront au reste.
Une assemblée immobile, un Sénat à la manœuvre ?
Ce positionnement devrait également renforcer le rôle du Sénat dans la fabrication de la loi : LR pourra s’appuyer sur la large majorité dont il dispose au Palais du Luxembourg pour faire avancer les textes en sa faveur. Charge ensuite aux élus du Palais Bourbon de négocier auprès de la majorité sur la base de ce qui aura été amendé par les sénateurs. « Nous avons le Sénat, nous sommes une force parlementaire de gouvernement ! », a rappelé l’eurodéputée Nadine Morano au sortir du conseil stratégique. « Le travail d’amendements se fera au Sénat, ou bien ne se fera pas », avertit Jérôme Bascher. « Nous ferons des propositions de loi en accord avec le groupe du Sénat, nous allons préparer cela très rapidement », a encore indiqué Christian Jacob, évoquant notamment des mesures pour le pouvoir d’achat, qui devraient être au cœur de la reprise des travaux parlementaires en juillet. « On a les idées très claires sur ce qu’il faut faire en termes de retraite, de sécurité et de pouvoir d’achat. Maintenant, c’est à Emmanuel Macron de dire comment il voit les choses. Nous ne sommes pas des bloqueurs, mais nous ne sommes pas non plus à vendre », a martelé ce lundi le président du Conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, en arrivant au siège de la rue de Vaugirard.
Mais le principe du cas par cas pourrait aussi prendre des allures de champ de mines. « Il faudra éviter le risque de dilution, et rester unis, ne pas céder aux démons de la division qui ont été la marque de fabrique de notre famille ces dernières années », pointe Dominique Estrosi Sassone. Au sein d’une assemblée sur laquelle plane désormais un risque de paralysie, la droite, si elle veut pouvoir continuer à se revendiquer comme parti de gouvernement après trois défaites successives à la présidentielle, va devoir avancer sur une ligne de crête pour rester dans l’opposition sans devenir un élément de blocage. « Trouver des accords sur des textes est difficilement explicable aux électeurs, la polarisation de la vie politique piège la vie parlementaire », relevait ce lundi matin, au micro de la matinale de Public Sénat, le politologue Olivier Rouquan.
« Au président de la République de prendre des initiatives »
« Au-delà du risque de paralysie, c’est celui d’une politique à hue et à dia, c’est-à-dire un gouvernement qui oscille entre la gauche et la droite en fonction des textes et des opportunités. Cela ne construit pas une politique cohérente », anticipe le sénateur LR de l’Oise Jérôme Bascher. Un besoin de clarté qui pousse certains, comme Christelle Morançais, la présidente du Conseil régional des Pays de la Loire, ou le maire de Meaux, Jean-François Copé, à réclamer un pacte de gouvernement, ce qui pourrait aboutir à une forme de coalition. « Depuis des semaines, je répète qu’un pacte de gouvernement est vital entre Macron et LR afin de lutter contre la montée des extrêmes. L’extrême gauche comme l’extrême droite sont des dangers absolus pour la France. Ils incarnent l’un et l’autre violence, tension et sectarisme », a fait valoir l’ancien ministre du Budget sur Twitter, dimanche soir. Un positionnement qui reste très minoritaire chez LR. « Jean-François Copé tente systématiquement de dynamiter le parti avant et après chaque élection », s’agace une parlementaire. « Est-ce qu’Emmanuel Macron est prêt à ? On ne voit jamais de geste de la part du président de la République. Je l’ai dit à Jean-François Copé. Le président ne s’est pas exprimé hier soir, ni ce matin. Qu’est-ce qu’il attend, le Messie ? […] Au président de la République de prendre des initiatives ! », balaye le vice-président du Sénat, Roger Karoutchi.
« Les gens qui s’expriment sur cette ligne n’ont même pas été élus députés. Ce qu’ils cherchent, c’est obtenir une place au gouvernement », tacle Jérôme Bascher, alors que la défaite de la ministre de la Transition écologique, Amélie de Montchalin, de la ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon, et de la secrétaire d’Etat à la Mer, Justine Bénin, laisse présager d’un important remaniement ministériel dans les prochains jours. Pour la sénatrice des Bouches-du-Rhône, Valérie Boyer, les débauchages de campagne ont eu valeur de clarification, elle imagine mal les députés (ré)élus tendre la main à la majorité : « Ceux qui restent n’ont pas très envie de pactiser avec une Macronie qui n’a eu de cesse de vouloir les planter. »
« Les Républicains se cherchent, sans dire qu’ils sont divisés. Le fait qu’ils ne soient pas tous d’accord exclut, semble-t-il, un contrat de majorité entre Ensemble ! et LR », analyse encore le politologue Olivier Rouquan.
Vers une refonte du parti
La période est d’autant plus délicate pour LR, que le parti s’apprête à rentrer dans une séquence de refondation. Christian Jacob a annoncé qu’il quitterait son poste après les législatives. L’élection pour sa succession devrait avoir lieu fin octobre, et les ambitions des uns et des autres ne manqueront pas de s’exprimer. Le positionnement du groupe à l’Assemblée nationale pourrait avoir une influence sur la refonte du parti. « La droite ne sait plus s’adresser aux classes populaires, aux jeunes, aux gens qui ont un sentiment de désespérance, elle ne sait plus non plus s’adresser aux Français d’origine immigrée. Elle a un discours stigmatisant, qui est cornérisant. Au lieu de stigmatiser les uns et les autres, la droite doit s’ouvrir. Cela ne veut pas dire se prostituer idéologiquement mais revendiquer un discours républicain qui accepte le plus grand nombre en étant ferme sur nos valeurs », faisait valoir sur Public Sénat, lundi matin, Florence Portelli, vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France et proche de Valérie Pécresse. « Cela ne veut pas dire qu’il faille copier les extrêmes ou avoir un discours excluant et méprisant. Il faut remettre de la dignité au cœur de la société, et pour cela il faut aller s’adresser aux populations qui nous ont fuis. »
Le retour de la ligne Wauquiez
D’ici la désignation du prochain patron des LR, la carte des législatives laisse présager des forces en présence. La droite a perdu ses deux derniers députés parisiens et, à l’exception de Philippe Juvin dans les Hauts-de-Seine (3e circonscription) et Michel Herbillon dans le Val-de-Marne (7e circonscription), elle disparaît presque totalement de l’Île-de-France, le fief de Valérie Pécresse. En revanche l’Auvergne-Rhône-Alpes, avec 17 députés LR, représente près d’un tiers des élus de droite au Palais Bourbon. « Un score hors norme », s’est félicité Laurent Wauquiez, le président du Conseil régional.
La ligne très droitière de l’ancien patron des LR, en retrait de la scène nationale depuis la déroute des élections européennes de 2019, pourrait-elle de nouveau s‘imposer ? « À l’évidence », répond l’ex-filloniste Valérie Boyer, qui tient aussi à faire valoir la capacité d’implantation, et donc de résistance, des élus locaux. Sur 61 députés LR, 47 sont des sortants selon un décompte communiqué par le parti. Quatre ont pris la suite d’un député LR qui ne s’est pas représenté, et dix autres ont réussi à faire basculer la circonscription dans laquelle ils se sont présentés.
Le Picard Jérôme Bascher, qui a soutenu Xavier Bertrand pour la présidentielle, attire l’œil sur la carte des Hauts-de-France : une poignée de circonscriptions, dans l’Oise, la Somme, l’Aisne et le Pas-de-Calais estampillées LR. « La ligne Bertrand marche bien aussi ! », se félicite-t-il.