Le Sénat adopte l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution

Le Sénat adopte l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution

Au terme d’un débat tendu, le Sénat a finalement adopté l’amendement de compromis du sénateur LR, Philippe Bas à la proposition de loi visant à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Un vote plutôt inattendu tant la majorité sénatoriale de droite était opposée à ce texte.
Simon Barbarit

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« Le Sénat ne doit pas fonctionner sous la pression de telle ou telle opinion publique ». Cette injonction de Bruno Retailleau, le président du groupe LR, à l’attention de sa majorité n’aura, cette fois-ci, pas été suivie d’effets. Ce mercredi 1er février, la Haute assemblée examinait pour la seconde fois en quatre mois, un texte visant à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. Et contre toute attente, son examen n’a pas eu la même issue que cet automne, où lors d’une séance publique tendue, le groupe LR du Sénat avait massivement rejeté une proposition de loi cosignée par les groupes écologiste, socialiste, communiste et RDPI (à majorité LREM) de la Haute assemblée.

166 voix pour, 152 voix contre

Faut-il y voir un effet de la mobilisation des associations féministes devant les portes du palais du Luxembourg ? Et jusque dans l’hémicycle allant même jusqu’à provoquer une suspension de séance (voir la vidéo ci-dessous) ? Le fait est que le texte amendé par la chambre haute a été adopté par 166 voix pour et 152 voix contre.

Ce deuxième texte, à l’initiative des députés LFI, adopté à l’Assemblée nationale en novembre dernier, avait logiquement été rejeté en commission des lois la semaine dernière. Mais le questeur du Sénat, Philippe Bas, (LR), ancien collaborateur de Simone Veil, a fait passer un amendement pour ouvrir la porte au droit à l’IVG dans la Constitution sous une rédaction différente. Et elle a visiblement convaincu une partie de son camp. Alors qu’à l’automne seuls deux sénateurs LR s’étaient prononcés en faveur du droit à l’IVG dans la Constitution, ils étaient 16 élus LR a voté pour, ce mercredi.

Le texte tel que voté à l’Assemblée proposait d’inscrire un nouvel article 66-2 dans la Constitution, selon lequel « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». La version modifiée et votée par le Sénat inscrit à l’article 34 de la Constitution, la phrase suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. »

Le Sénat engagé « sur le chemin de la constitutionnalisation »

« Ma contreproposition vise à garantir l’équilibre de la loi Veil […] Elle consolide une liberté reconnue par le Conseil Constitutionnel […] Elle prévoit que le législateur en détermine les conditions et donc les limites. Il n’y a pas de droit absolu. Il y a une liberté que l’on peut inscrire dans la Constitution mais à la condition qu’il y ait une conciliation entre le droit de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse et la protection de l’enfant à naître après un certain délai », a exposé Philippe Bas.

Une écriture qui n’a convaincu ni les socialistes, ni les écologistes, ni les communistes du Sénat mais ils ont néanmoins adopté unanimement l’amendement. « Il choisit d’utiliser le terme de liberté et non le terme de droit. Or, l’IVG n’est pas seulement une liberté, c’est un droit. Mais elle a la vertu de s’engager sur le chemin de la constitutionnalisation », a reconnu la sénatrice socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie.

« Nous sommes opposés à la constitutionnalisation pour le symbole »

Plus rare, l’amendement du questeur LR n’a pas été pas soutenu par sa propre majorité, qui l’a jugé superfétatoire. « Nous pensons que la loi Veil garantit l’avortement en France et qu’il n’y a pas lieu de constitutionnaliser alors qu’il n’y a aucune remise en cause de l’IVG en France aujourd’hui. A supposer, comme le dit son auteur, que cet amendement ne change rien à l’existant, alors à quoi sert-il ? Nous sommes opposés à la constitutionnalisation pour le symbole », a rappelé Agnès Canayer.

Philippe Bas avait indiqué, quelques minutes plus tôt, que sa rédaction permettait en cas de revirement « improbable » de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l’IVG, « de préserver la liberté de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse ».

Sur ce sujet qui traverse les clivages partisans, les explications de vote se sont multipliées de quoi faire craindre à la sénatrice socialiste, ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, un report du vote. En effet le texte était examiné dans le cadre d’une niche parlementaire socialiste, et conformément au règlement, les débats étaient limités dans le temps. « Je ne voudrais pas que le Sénat se fasse remarquer par une manœuvre de procédure qui consisterait à ne pas faire adopter ni l’amendement de Philippe Bas ni le texte », a-t-elle prévenu.

« Ce procès d’intention là je ne l’entends pas », s’est emporté le sénateur centriste Loïc Hervé, opposé à l’inscription de l’IVG dans la Constitution.

« Je ne reconnais pas la sagesse sénatoriale »

« Je ne reconnais pas la sagesse sénatoriale. Nous réagissons à un évènement qui ne nous concerne pas », a déploré la sénatrice LR, Muriel Jourda en référence à la récente décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer le droit à l’avortement de la Constitution.

Du côté du gouvernement, Éric Dupond Moretti a indiqué que son gouvernement soutenait les initiatives parlementaires visant à constitutionnaliser le droit à l’avortement dans la Constitution. Plutôt mitigé sur l’amendement de Philippe Bas, il a indiqué « qu’il méritait un examen attentif, et soulevait plusieurs interrogations », reprenant l’expression usitée, selon laquelle il fallait toucher à la Constitution « que d’une main tremblante ».

« Mais vous, les vôtres sont restées dans vos poches. On aurait tout intérêt à connaître la rédaction que le gouvernement aurait à nous soumettre après avis du Conseil d’Etat », lui a répondu Philippe Bas.

Effectivement, une révision constitutionnelle initiée par une proposition de loi (le Parlement) ne peut être approuvée que par un référendum, ce que ni la gauche et ni la droite ne souhaite. Depuis des mois, les parlementaires appellent le gouvernement à reprendre la main en déposant un projet de loi. Il permettrait de réviser la Constitution par la majorité des 3/5e des suffrages exprimés de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis en Congrès, une fois le vote du texte par les deux chambres en termes identiques.

Le vote de ce soir n’étant pas conforme au texte initial, la proposition de loi va être transmise à l’Assemblée nationale pour une seconde lecture.

 

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