Le Sénat supprime la fusion écoles-collège, Blanquer s’en arrange

Le Sénat supprime la fusion écoles-collège, Blanquer s’en arrange

Face à la polémique sur cette réforme issue de la loi Blanquer sur l’école, le ministre a su profiter du passage du texte au Sénat, qui a supprimé cette disposition. « Le sujet n’est pas complètement mûr » a reconnu le ministre, qui demande du « temps » pour « discuter ». Certains y voient aussi une volonté de ne pas faire de vague avant les européennes.
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Entre le Sénat et le gouvernement, ce n’est pas toujours l’entente cordiale, c’est le moins qu’on puisse dire. La commission d’enquête Benalla l’a montré. Mais parfois, l’exécutif sait s’appuyer sur la Haute assemblée quand les circonstances le permettent… ou l’arrangent. En l’occurrence, les sénateurs ont peut-être aidé le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, à se sortir d’un mauvais pas dans le cadre de son projet de loi pour « une école de la confiance ». Explications (voir aussi le sujet vidéo de Samia Dechir).

Les sénateurs ont examiné ce vendredi matin l’un des points les plus polémiques du texte : le rapprochement entre écoles et collège par la création « d'établissements publics des savoirs fondamentaux » (EPSF). Une disposition absente du texte gouvernemental d’origine, mais introduite par voie d’amendement à l’Assemblée. Elle reprend l’idée de l’école du socle, qui vise à créer une continuité pédagogique entre la primaire et le collège.

« Crispation très forte dans le pays »

Lors de l’examen du projet de loi en commission, préalable à la séance, le Sénat, à majorité de droite, a tout bonnement supprimé à l’unanimité cette disposition. Le rapporteur, le sénateur LR Max Brisson, a voulu envoyer un « signal fort au gouvernement », alors que « s’était propagée dans le pays une crispation très forte », notamment chez certains élus qui craignent des suppressions d’écoles en zone rurale.

Mais à la faveur de l’examen dans l’hémicycle, une nouvelle version de l’article incriminé – le 6 quater – a été présentée via un amendement du sénateur LR Jacques Grosperrin. « Cet amendement réintroduit par la fenêtre ce que la commission a sorti par la porte » s’est inquiétée la sénatrice PCF Laurence Cohen.

« Ceinture et bretelle »

Dans sa nouvelle version, le sénateur a apporté des garanties : les rapprochements écoles/collège ne se feront qu’avec l’accord des collectivités locales concernées, de la communauté éducative et « sur la base du volontariat », précise Jacques Grosperrin (voir vidéo ci-dessous), qui rappelle que « l’école du socle existe depuis 2005 » par expérimentations. Autres garanties : « Les écoles et le collège pourront être sur plusieurs sites. Hors de question de supprimer des écoles » et le « maintien du directeur de chaque école ». « Cette rédaction a le mérite de faire ceinture et bretelle » salue Laure Darcos, sénatrice LR et épouse de l’ancien ministre de l’Education, Xavier Darcos.

Jacques Grosperrin défend son amendement sur les rapprochements écoles/collège
02:20

A la différence de l’Assemblée, où l’amendement a été déposé sans concertation, ni avis du Conseil d’Etat, le rapporteur Max Brisson souligne que sa commission a ouvert la discussion avec les associations d’élus. Alors qu’« on parle des écoles menacées », il y voit justement un moyen de « créer des synergies » pour les territoires qui perdent en population. Il soutient « pleinement » l’amendement « à titre personnel », mais s’en remet à la « sagesse » du Sénat…

Jean-Michel Blanquer plaide encore le « malentendu »

La parole à Jean-Michel Blanquer. Le ministre « remercie » le sénateur Grosperrin pour la « qualité de son travail » et défend sa réforme. Il en fait un « soutien aux écoles et collèges ruraux, qui peuvent avoir des problèmes de masse critique ». « Cette idée ne signifie pas le regroupement physique des écoles et collèges » ajoute le ministre, même si « ça peut arriver, mais ce n’est pas une nécessité ».

Jean-Michel Blanquer reconnaît un "malentendu" sur la fusion écoles/collège
02:06

Face à l’émoi, Jean-Michel Blanquer se dit confronté à « la société du soupçon », alors que le chef de l’Etat a assuré, lors de sa conférence de presse, qu’il ne fermera plus d’école en zone rurale, sans accord du maire. Le ministre reconnaît cependant un « malentendu », terme qu’il a déjà employé au début du texte sur l’exemplarité des professeurs (voir notre article). Il ajoute :

« Il y a besoin de temps, de maturation. J’entends parfaitement ceux qui disent que tout ceci est prématuré ».

Pour le ministre, « c’est un débat des prochains moins pour avoir la plus vaste concertation avec les associations d’élus, les syndicats »…

« Ne soyons pas les fossoyeurs de nos écoles rurales »

Malgré cette évolution du ministre, les opposants se succèdent au micro pour exhorter le Sénat à en rester à la suppression votée en commission. Malgré les assurances du ministre, la sénatrice PS Marie-Pierre Monier craint des fermetures de classes en zones rurales et une « école à deux vitesses » avec la création « d’établissements XXL » et d’autres avec moins d’élèves. « Ne soyons pas les fossoyeurs de nos écoles rurales » lance la sénatrice. Pour la communiste Céline Brulin, « on risque de rompre le lien historique, qui demeure très fort et fécond, entre la commune et l’école ». Le sénateur PS David Assouline craint qu’on « maquille des fermetures dans l’unification avec le collège ». Il souhaite aussi qu’on en reste à la suppression.

Même position du côté du groupe RDSE (à majorité Radicale). « Notre retrait de l’article, voté unanimement en commission, doit être validé » a souhaité la sénatrice de la Haute-Garonne, Françoise Laborde, elle-même ancienne directrice d’école.

Dominique Verien, sénatrice UDI de l’Yonne, raconte que dans son département « tous les professeurs et parents sont remontés, sont en train de bloquer des écoles et annoncent la grève des examens. Réécrire l’article serait mal compris » avertit l’élue.

Pour le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet, « on nous refait le coup de la confiance. (…) Mais la confiance, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale ». Le sénateur centriste Jean-Marie Mizzon, président des maires ruraux de Moselle, s’oppose, sans prendre de pincettes, à la nouvelle réécriture de l’article (voir vidéo ci-dessous) :

« Ça partait d’une connerie. Et une connerie, même réécrite, c’est un peu meilleur mais pas beaucoup mieux… »

Jean-Marie Mizzon sur la fusion écoles/collège : « Ça partait d’une connerie. Et une connerie, même réécrite, c’est un peu meilleur mais pas beaucoup mieux… »
01:30

Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants, voit se dessiner l’issue :  « Nous allons rester à la suppression de l’article 6 quater. (…) Notre groupe s’associe au consensus qui est en train de se dégager ».

Après de longues minutes d’intervention, Jean-Michel Banquer reprend la parole. Il répète qu’« il n’y a aucune volonté de fermer des écoles primaires ou de faire des économies par ce projet ». Mais il ajoute, à nouveau : « Le sujet n’est pas complètement mûr ». Il faut « discuter encore ». Les regards se tournent alors vers le sénateur LR, Jacques Grosperrin : « Je ne vais pas faire durer le suspense : je retire l’amendement » faute de « consensus ». Et d’espérer que l’amendement des députés ne revienne pas devant l’Assemblée. Applaudissement dans l’hémicycle. « Je n’y suis pour rien » plaisante le sénateur LREM Thani Mohamed Soilihi, qui préside la séance.

« Je pense qu’Emmanuel Macron a dit au ministre d’éviter de mettre les maires et parents d’élèves dans la rue avant les européennes »

Tout ça pour ça, diront certains. Mais le débat a été riche et le ministre compte, on l’a compris, revenir plus tard sur le sujet, après concertations. Reste que l’évolution, au fil de la séance, a pu paraître surprenante. « Il n’y a rien eu de deal avec le ministre » assure à publicsenat.fr un sénateur LR qui a suivi de près les débats. Il reconnaît cependant que ce dernier a su « complètement » s’appuyer sur le Sénat pour se tirer une épine du pied.

Le sénateur LR explique aussi l’évolution du ministre par des considérations plus politiques. « Il y a une pression très importante à l’heure des européennes et dans un contexte de gilets jaunes. Je pense qu’Emmanuel Macron a dit au ministre d’éviter de mettre les maires et parents d’élèves, qui sont des électeurs, dans la rue. Il est passé du rôle d’un fin technicien, compétent sur les problématiques éducatives, à celui du politique, ministre de l’Education. Certains se sont cassé les dents avant lui… » De là à dire qu’Emmanuel Macron a demandé à son ministre de ne surtout pas faire de vague… Examen (presque) réussi.

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