Le Sénat présente ses pistes pour mettre la recherche au service de la réindustrialisation

Le Sénat présente ses pistes pour mettre la recherche au service de la réindustrialisation

Malgré les sommes importantes qu’elle accorde à la recherche et au développement, la France peine à se réindustrialiser. Les fonds publics sont largement captés par les entreprises du numérique, constate la mission d’information du Sénat sur l’innovation et la recherche. Dans un rapport publié jeudi 9 juin, les élus de la Haute Assemblée appellent à un redéploiement rapide des dispositifs en faveur des industries de fabrication.
Romain David

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Pionnière au XVIIIe siècle de la variolisation, puis aux XIXe siècle dans la vaccination contre la rage, la France n’a pas été capable de produire un vaccin contre le virus du SARS-CoV-2, à l’origine de la pandémie de covid-19. Un constat douloureux pour un pays réputé pour la qualité de sa recherche et qui compte, avec Sanofi, Servier ou encore Ipsen, des groupes pharmaceutiques de renommée mondiale. Plus largement, la crise sanitaire a mis en évidence les insuffisances industrielles d’un pays qui a pu se laisser bercer, au cours des dernières décennies, par ses succès scientifiques. « L’épisode pandémique nous a projeté à la figure un certain nombre de choses. On a réalisé les erreurs que l’on avait faites dans le passé. Notre pays dispose de nombreux atouts : une recherche de qualité, des investissements publics conséquents, et pourtant nous ne sommes pas capables de transformer nos jeunes pousses en succès industriel », constate le sénateur Christian Redon-Sarrazy. Un handicap qui favorise à la fois la fuite des cerveaux et la dépendance stratégique : « Nous fournissons une innovation bon marché à nos concurrents étrangers, pour ensuite réimporter au prix fort ses applications industrielles ».

En 20 ans, 110 milliards d’euros de soutien à l’innovation

Début janvier, cet élu a été désigné président d’une mission d’information du Sénat sur le thème « excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », lancée à l’initiative du groupe Les indépendants-République et Territoires, et dont les conclusions ont été présentées ce jeudi 9 juin. Premier constat : l’Etat français consacre un effort conséquent, mais perfectible en faveur de l’innovation. De 2010 à 2030, ce sont 110 milliards d’euros qui auront été engagés pour l’innovation via les différents programmes d’investissements d’avenir. Au cours des dix dernières années, les dispositifs publics existants ont permis de multiplier par vingt le nombre de start-up françaises, selon les chiffres présentés dans le rapport de la mission., donnant naissance à un écosystème unique, souvent désigné par le terme de « French tech ».

Et pourtant, la France reste largement en deçà des seuils fixés par l’Union européenne, consacrant en moyenne 2,2 % de son PIB aux dépenses de recherche et développement, quand Bruxelles a fixé en 2000 un objectif à 3 %. En conséquence : « Nous avons toujours une recherche excellente, mais nous dégringolons régulièrement dans les classements », observe la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, rapporteure de la mission d’information.

La « French tech », première cible des investissements

Surtout, les sommes consacrées à l’innovation et au développement contrastent violemment avec les chiffres de la désindustrialisation. Depuis 1967, le taux d’industrialisation de la France a chuté d’un tiers, passant de 28 à 10 %. À titre de comparaison, l’Allemagne se situe à 20 % et l’Italie à 15 %. La recherche ne sert plus l’industrie, constatent les élus. « Les principaux bénéficiaires des dispositifs d’investissements sont essentiellement les entreprises du numérique, des technologies de l’information et de la communication. Sur nos 26 licornes, une seulement est une société industrielle », souligne le rapport.

Pour permettre une meilleure répartition des fonds attribués à la recherche et un rattrapage en faveur des entreprises industrielles innovantes, les sénateurs, plutôt qu’une liste de recommandations, proposent un plan d’action en trois axes : au niveau parlementaire, gouvernemental et auprès du secteur privé.

Une série d’ajustements fiscaux

Sur le plan législatif, les sénateurs se prononcent en faveur d’une série de modifications fiscales, autour du crédit d’impôt recherche (CIR) notamment, afin de corriger certains effets d’aubaine. Selon un calcul réalisé à partir des données de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation, 1 euro de crédit d’impôt versé aux PME favorise dans ces entreprises l’accroissement des dépenses de recherche et développement d’environ 1,4 euro. Mais dans les grands groupes, le même montant de crédit aboutit à un accroissement de seulement 0,4 centime. Les sénateurs se prononcent en faveur d’une suppression du CIR lorsque le montant des dépenses consacrées à la recherche dépasse les 100 millions d’euros.

Dans le même temps, un triplement du plafond du crédit d’impôt innovation (CII), réservé aux PME, permettrait de financer plus facilement un changement d’échelle. La mise en place d’un « coupon recherche innovation » de 30 000 euros, là aussi à destination des PME, devrait également « libérer les énergies, laisser les génies créatifs s’exprimer » dans les petites structures, indépendamment des contraintes financières, fait valoir la sénatrice Paoli-Gagin.

Redonner de la lisibilité et de l’efficacité aux dispositifs de financement

Au niveau gouvernemental, les sénateurs réclament une réforme normative et administrative afin de mobiliser davantage la commande publique sur les projets innovants, ce qui implique aussi de l’adapter à une culture du risque inhérente au processus de recherche. « Notre système éducatif inculque la peur de l’échec », regrette le rapport. Les élus déplorent également le « manque de culture technique et industrielle de l’administration », ainsi que les « longueurs excessives » de ses procédures, qui ont de quoi rebuter de nombreux acteurs.

Autre point d’inquiétude : un sentiment de confusion face à la multiplication des dispositifs auxquels les entreprises sont susceptibles de souscrire. « On constate des chevauchements sectoriels entre différents dispositifs, dont les fonds sont pilotés par plusieurs administrations », indique Vanina Paoli-Gagin. Bref, l’art du millefeuille à la française. « Les entreprises ont des choix d’opportunité à faire, mais bien souvent, pour peser le pour et le contre, il faut être un super-sachant. Le peu de temps de cerveau disponible d’un dirigeant d’entreprise ne devrait pas être mobilisé par le remplissage d’un énième formulaire en ligne », défend-elle. « L’enjeu est de remettre en mouvement les acteurs de la réindustrialisation, sans qu’ils se sentent frustrés par les dispositifs autour d’eux », abonde Christian Redon-Sarrazy.

Sur ce point, la mission sénatoriale se prononce pour une augmentation du nombre de « sites industriels clés en main ». Lancé en 2020, ce dispositif consiste en des espaces pouvant immédiatement accueillir une activité industrielle ou logistique, les différentes procédures administratives ayant déjà été prises en charge par les acteurs locaux. Actuellement, un peu moins de 130 sites propices à l’installation rapide d’une entreprise ont été identifiés par le ministère de l’Economie.

Développer les synergies entre le secteur privé et le monde académique

En ce qui concerne le secteur privé, les élus évoquent pour les grands groupes l’inscription, au sein des critères de responsabilité sociale, d’un principe de collaboration avec les start-up et les PME innovantes. Par ailleurs, le rapport insiste sur la nécessité de rétablir des ponts entre le privé et le public, en multipliant les « lieux de frottements » entre le monde académique et le monde économique. « Trop souvent, les PME de nos territoires ne savent pas ce qu’il se passe dans les établissements de recherche de l’enseignement supérieur », déplore Vanina Paoli-Gagin.

Dans la même thématique

Paris: French Government Weekly Cabinet Meeting
5min

Politique

Pour Bruno Retailleau, les conditions sont réunies pour rester au gouvernement

Alors que François Bayrou souhaite pouvoir avoir le ministre de l’Intérieur sortant dans son équipe, Bruno Retailleau a obtenu les garanties qu’il attendait, selon l’entourage du ministre. Il est prêt à lâcher l’idée d’un grand texte immigration, qui susciterait une levée de boucliers, pour « saucissonner » les sujets via plusieurs propositions de loi. Globalement, les LR sont rassurés et devraient rester au gouvernement.

Le

Le Sénat présente ses pistes pour mettre la recherche au service de la réindustrialisation
4min

Politique

Retraites : « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », dénonce Ian Brossat

C’est le signe d’ouverture vers la gauche qu’on retient de la réunion, ce jeudi 19 décembre, entre les différents représentants des partis politiques (hors Rassemblement national et La France insoumise) et François Bayrou. Le nouveau Premier ministre propose de remettre en débat la réforme des retraites, pour aboutir à un nouveau compromis avec les partenaires sociaux d’ici septembre. Sans nouvel accord, c’est la réforme adoptée en 2023 qui continuerait à s’appliquer. « Lorsque François Bayrou met tous les représentants de partis et de groupes autour de la table, je pense qu’il envoie un signal d’ouverture qui va le légitimer. Il est conscient de la situation politique inédite et il tend des mains », salue la députée Renaissance Eléonore Caroit, sur le plateau de Parlement Hebdo, au lendemain de la rencontre. « Au lieu d’avoir cette posture de contestation permanente, travaillons ensemble ! » « La première des choses, c’est de suspendre l’application de cette réforme, pour permettre aux 50 000 salariés qui devaient partir en retraite et qui en ont été empêchés cette année de pouvoir le faire », rétorque le sénateur communiste Ian Brossat. Une position partagée par l’ensemble des partis de gauche, à la sortie de la rencontre à Matignon la veille. Tous attendent davantage de compromis de la part du Premier ministre, avant de s’engager à ne pas le censurer. « Pour l’instant, il n’y a absolument rien qui garantisse à François Bayrou d’échapper à une motion de censure, parce que tout ce qu’il dit va dans le sens d’une perpétuation des politiques macronistes menées depuis 7 ans », fustige le sénateur communiste. Une position que dénonce vivement la députée Renaissance : « S’il faut revenir sur cette réforme, s’il y a des choses à améliorer, je suis tout à fait prête à ce qu’on en discute. Mais je pense qu’il faut qu’on arrête de polariser le débat. Au lieu d’avoir cette posture, cette attitude de renfermement et de contestation permanente, travaillons ensemble ! » Ian Brossat dénonce un « déni de démocratie » Ce n’est pas la première fois que le débat des retraites revient sur la table ces derniers mois. À la fin du mois de novembre, La France insoumise avait profité de sa niche parlementaire à l’Assemblée pour introduire une proposition de loi visant à abroger la réforme. Après des débats houleux, le texte n’avait pas pu être voté en raison du trop grand nombre d’amendements déposés par les groupes de la droite et du centre. « Lorsqu’ils ont eu la possibilité de voter aux dernières élections, les Français ont massivement soutenu des partis politiques qui s’engageaient à abroger la réforme. Quand ce sujet a, à nouveau, été débattu à l’Assemblée, les députés macronistes ont pratiqué l’obstruction pour éviter le vote d’une loi d’abrogation », dénonce Ian Brossat. « Si nous étions dans un pays véritablement démocratique, cette réforme serait déjà abrogée », ajoute-t-il, dénonçant un « déni de démocratie ». Une expression qui ne passe pas pour Eléonore Caroit. « C’est une réforme dont l’examen a pris trois semaines, vous pensez qu’elle aurait pu être abrogée dans une niche parlementaire ? C’est fantaisiste », fustige la députée. De son côté, François Bayrou a répété sur le plateau de France 2 après la rencontre à Matignon, qu’il était ouvert à une autre solution que le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans pour financer le système des retraites. Le nouveau Premier ministre a notamment rappelé qu’il avait été « un militant de la retraite à points ».

Le

Le Sénat présente ses pistes pour mettre la recherche au service de la réindustrialisation
4min

Politique

« Consternés », « dépités », « enfumage » : après sa rencontre avec François Bayrou, la gauche menace plus que jamais le Premier ministre de censure

Les chefs de partis et de groupes parlementaires étaient reçus à Matignon par François Bayrou, qui promet de former un gouvernement « avant Noël ». Une rencontre dont les socialistes, écologistes et communistes ressortent sans avoir « trouvé de raison de ne pas censurer » le nouveau Premier ministre, rapporte Olivier Faure.

Le