Pionnière au XVIIIe siècle de la variolisation, puis aux XIXe siècle dans la vaccination contre la rage, la France n’a pas été capable de produire un vaccin contre le virus du SARS-CoV-2, à l’origine de la pandémie de covid-19. Un constat douloureux pour un pays réputé pour la qualité de sa recherche et qui compte, avec Sanofi, Servier ou encore Ipsen, des groupes pharmaceutiques de renommée mondiale. Plus largement, la crise sanitaire a mis en évidence les insuffisances industrielles d’un pays qui a pu se laisser bercer, au cours des dernières décennies, par ses succès scientifiques. « L’épisode pandémique nous a projeté à la figure un certain nombre de choses. On a réalisé les erreurs que l’on avait faites dans le passé. Notre pays dispose de nombreux atouts : une recherche de qualité, des investissements publics conséquents, et pourtant nous ne sommes pas capables de transformer nos jeunes pousses en succès industriel », constate le sénateur Christian Redon-Sarrazy. Un handicap qui favorise à la fois la fuite des cerveaux et la dépendance stratégique : « Nous fournissons une innovation bon marché à nos concurrents étrangers, pour ensuite réimporter au prix fort ses applications industrielles ».
En 20 ans, 110 milliards d’euros de soutien à l’innovation
Début janvier, cet élu a été désigné président d’une mission d’information du Sénat sur le thème « excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », lancée à l’initiative du groupe Les indépendants-République et Territoires, et dont les conclusions ont été présentées ce jeudi 9 juin. Premier constat : l’Etat français consacre un effort conséquent, mais perfectible en faveur de l’innovation. De 2010 à 2030, ce sont 110 milliards d’euros qui auront été engagés pour l’innovation via les différents programmes d’investissements d’avenir. Au cours des dix dernières années, les dispositifs publics existants ont permis de multiplier par vingt le nombre de start-up françaises, selon les chiffres présentés dans le rapport de la mission., donnant naissance à un écosystème unique, souvent désigné par le terme de « French tech ».
Et pourtant, la France reste largement en deçà des seuils fixés par l’Union européenne, consacrant en moyenne 2,2 % de son PIB aux dépenses de recherche et développement, quand Bruxelles a fixé en 2000 un objectif à 3 %. En conséquence : « Nous avons toujours une recherche excellente, mais nous dégringolons régulièrement dans les classements », observe la sénatrice Vanina Paoli-Gagin, rapporteure de la mission d’information.
La « French tech », première cible des investissements
Surtout, les sommes consacrées à l’innovation et au développement contrastent violemment avec les chiffres de la désindustrialisation. Depuis 1967, le taux d’industrialisation de la France a chuté d’un tiers, passant de 28 à 10 %. À titre de comparaison, l’Allemagne se situe à 20 % et l’Italie à 15 %. La recherche ne sert plus l’industrie, constatent les élus. « Les principaux bénéficiaires des dispositifs d’investissements sont essentiellement les entreprises du numérique, des technologies de l’information et de la communication. Sur nos 26 licornes, une seulement est une société industrielle », souligne le rapport.
Pour permettre une meilleure répartition des fonds attribués à la recherche et un rattrapage en faveur des entreprises industrielles innovantes, les sénateurs, plutôt qu’une liste de recommandations, proposent un plan d’action en trois axes : au niveau parlementaire, gouvernemental et auprès du secteur privé.
Une série d’ajustements fiscaux
Sur le plan législatif, les sénateurs se prononcent en faveur d’une série de modifications fiscales, autour du crédit d’impôt recherche (CIR) notamment, afin de corriger certains effets d’aubaine. Selon un calcul réalisé à partir des données de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation, 1 euro de crédit d’impôt versé aux PME favorise dans ces entreprises l’accroissement des dépenses de recherche et développement d’environ 1,4 euro. Mais dans les grands groupes, le même montant de crédit aboutit à un accroissement de seulement 0,4 centime. Les sénateurs se prononcent en faveur d’une suppression du CIR lorsque le montant des dépenses consacrées à la recherche dépasse les 100 millions d’euros.
Dans le même temps, un triplement du plafond du crédit d’impôt innovation (CII), réservé aux PME, permettrait de financer plus facilement un changement d’échelle. La mise en place d’un « coupon recherche innovation » de 30 000 euros, là aussi à destination des PME, devrait également « libérer les énergies, laisser les génies créatifs s’exprimer » dans les petites structures, indépendamment des contraintes financières, fait valoir la sénatrice Paoli-Gagin.
Redonner de la lisibilité et de l’efficacité aux dispositifs de financement
Au niveau gouvernemental, les sénateurs réclament une réforme normative et administrative afin de mobiliser davantage la commande publique sur les projets innovants, ce qui implique aussi de l’adapter à une culture du risque inhérente au processus de recherche. « Notre système éducatif inculque la peur de l’échec », regrette le rapport. Les élus déplorent également le « manque de culture technique et industrielle de l’administration », ainsi que les « longueurs excessives » de ses procédures, qui ont de quoi rebuter de nombreux acteurs.
Autre point d’inquiétude : un sentiment de confusion face à la multiplication des dispositifs auxquels les entreprises sont susceptibles de souscrire. « On constate des chevauchements sectoriels entre différents dispositifs, dont les fonds sont pilotés par plusieurs administrations », indique Vanina Paoli-Gagin. Bref, l’art du millefeuille à la française. « Les entreprises ont des choix d’opportunité à faire, mais bien souvent, pour peser le pour et le contre, il faut être un super-sachant. Le peu de temps de cerveau disponible d’un dirigeant d’entreprise ne devrait pas être mobilisé par le remplissage d’un énième formulaire en ligne », défend-elle. « L’enjeu est de remettre en mouvement les acteurs de la réindustrialisation, sans qu’ils se sentent frustrés par les dispositifs autour d’eux », abonde Christian Redon-Sarrazy.
Sur ce point, la mission sénatoriale se prononce pour une augmentation du nombre de « sites industriels clés en main ». Lancé en 2020, ce dispositif consiste en des espaces pouvant immédiatement accueillir une activité industrielle ou logistique, les différentes procédures administratives ayant déjà été prises en charge par les acteurs locaux. Actuellement, un peu moins de 130 sites propices à l’installation rapide d’une entreprise ont été identifiés par le ministère de l’Economie.
Développer les synergies entre le secteur privé et le monde académique
En ce qui concerne le secteur privé, les élus évoquent pour les grands groupes l’inscription, au sein des critères de responsabilité sociale, d’un principe de collaboration avec les start-up et les PME innovantes. Par ailleurs, le rapport insiste sur la nécessité de rétablir des ponts entre le privé et le public, en multipliant les « lieux de frottements » entre le monde académique et le monde économique. « Trop souvent, les PME de nos territoires ne savent pas ce qu’il se passe dans les établissements de recherche de l’enseignement supérieur », déplore Vanina Paoli-Gagin.