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Le Sénat adopte la loi d’amélioration de l’accès aux soins, contre laquelle les médecins sont vent debout
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« Pas satisfaisant », « il ne faut pas se bercer de chimères », « un petit oui », « un problème de méthode » … Le moins que l’on puisse dire c’est que la loi d’amélioration de l’accès aux soins – dite « Rist » du nom de la rapporteure à l’Assemblée nationale, la députée Renaissance Stéphanie Rist – a été loin d’enthousiasmer le Sénat. Même la rapporteure LR au Sénat, dont le travail a été unanimement salué, a tenté de défendre un texte remanié par la commission des Affaires sociales du Sénat malgré les « effets délétères » de la méthode du gouvernement sur ce texte.
« Le texte a opposé les professions entre elles ces dernières semaines. Très attendu des paramédicaux dont il valorise les compétences, il a suscité à l’inverse l’inquiétude de nombreux médecins », a précisé la rapporteure, qui a relayé des inquiétudes des médecins généralistes sur « la qualité de la prise en charge » et des « risques de perte de chance », alors que les médecins manifestaient au même moment devant le Palais du Luxembourg. De nombreux sénateurs ont à cet égard dénoncé l’empressement du gouvernement dans la procédure législative, alors que les négociations conventionnelles entre les syndicats de la médecine libérale et la Sécurité sociale ne sont pas encore terminées.
« Cette loi est un leurre, ne bradons pas la médecine »
En cause, notamment, l’élargissement des compétences d’autres professions paramédicales, et notamment les infirmières et infirmiers « en pratique avancée » (IPA), qui pourront réaliser certains actes techniques sans avoir à passer par un médecin. Mis en place à la rentrée 2018, le grade d’infirmier en pratique avancée est décerné à l’issue d’une formation universitaire de deux ans. Ces professionnels peuvent notamment prescrire des examens complémentaires, ou encore renouveler des prescriptions médicales, l’objectif étant d’améliorer le suivi des pathologies chroniques tout en libérant du temps médical aux médecins.
Si l’objectif de cette loi est « consensuel » d’après les mots de la présidente de la commission des Affaires sociales, Catherine Deroche, et les différentes interventions venues de l’ensemble des bancs, cet élargissement des compétences des « infirmiers en pratique avancée » (IPA), tel que proposé par le gouvernement, fait polémique. Il avait notamment fait dire le 17 janvier auprès de franceinfo à Julien Sibour, généraliste et porte-parole du collectif qui s’était formé à l’automne sur Facebook, « Médecins pour demain », : « Le président décrète qu’un renouvellement d’ordonnance pour un diabète, voire un patient polypathologique, c’est simple. Dans ce cas-là, n’importe quel troufion avec trois mois de formation pourra les renouveler. » Des collectifs d’infirmiers, qui ont peu goûté le trait d’esprit ont en réponse lancé le hashtag « #infirmierspastroufions. »
Chantal Deseyne, sénatrice LR, a défendu un amendement de suppression de l’article qui élargissait les compétences de ces professionnels de santé : « Le médecin doit rester celui qui pose le diagnostic et définit la stratégie thérapeutique, après 9 ans d’études, bientôt 10 ans. Comment un IPA, formé au soin, n’y voyez aucune défiance, pourrait avoir la même compétence en 5 ans seulement ? C’est une perte de temps, éventuelle une perte de chance e un risque d’une médecine à deux vitesses. Quand vous avez besoin pour vous-même ou pour vos proches ? A qui vous adressez-vous ? À un médecin, je souhaite la même chose pour tous les Français. Cette loi est un leurre, un emplâtre sur une jambe de bois. […] Ne bradons pas la médecine. »
« Ce n’est pas un emplâtre sur une jambe de bois »
7Corinne Imbert a défendu les améliorations apportées par le Sénat en « encadrant » le dispositif par un décret en Conseil d’Etat après avis de l’Académie de médecine, de la Haute Autorité de Santé et des organisations professionnelles concernées. François Braun, le ministre de la Santé, a même défendu le texte de la majorité présidentielle : « Les IPA sont des infirmières qui ont trois ans de formation, quatre ans d’exercice et deux ans de formation complémentaire, ce qui est loin d’être négligeable. Pour autant, elles ne remplaceront jamais le médecin généraliste. Les IPA ne sont pas là pour remplacer, mais donner une solution complémentaire dans l’organisation de notre système de soin. Par contre ce n’est pas un emplâtre sur une jambe de bois, je suis désolé. »
Si le Sénat n’a donc pas supprimé l’article premier, il a tout de même demandé des garanties au ministre. Alain Milon, notamment, a demandé à deux reprises à François Braun s’il comptait soutenir la version du Sénat ou de l’Assemblée nationale, trop imprécise sur la notion « d’IPA praticiens », comme l’a souligné le sénateur socialiste Bernard Jomier en séance. Corinne Imbert avait d’ailleurs fait supprimer cette distinction entre « IPA spécialisés » et « IPA praticiens » en commission. « Pour voter ce texte dès demain il faut quand même prendre son élan. Je vais le voter, mais c’est un petit oui et un grand mais », s’est par exemple interrogé le sénateur centriste Olivier Henno. Le ministre de la Santé a annoncé qu’il « s’en remettrait à la CMP [commission mixte paritaire, ndlr] sur le choix qui sera fait », tout en laissant entendre que le texte avait été « amélioré » au cours de la discussion parlementaire, et que la version du Sénat paraissait donc aboutie.
Taxe « lapin » : une « stigmatisation » des patients ?
Les sénateurs ont ajouté en commission un mécanisme prévoyant que la convention médicale négociée entre médecins libéraux et assurance maladie puisse fixer les conditions d’indemnisation du médecin en cas de rendez-vous non honoré. Celui-ci pourrait rester à la charge du patient, via un prélèvement de l’Assurance maladie sur des remboursements ultérieurs, l’objectif étant de mettre en place un mécanisme dissuasif alors que chaque année 28 millions de rendez-vous médicaux ne seraient pas honorés, selon les chiffres des syndicats. Un phénomène problématique, de l’avis général à la chambre haute, mais « une réponse stigmatisante » apportée par la majorité sénatoriale pour la sénatrice socialiste Émilienne Poumirol et la gauche du Sénat. « C’est un phénomène réel (entre 6 et 10 % des rendez-vous selon les estimations), mais la réponse n’est pas la bonne », a aussi estimé Laurence Cohen.
Même le sénateur Les Indépendants, Daniel Chasseing, médecin de profession, a rejoint ses collègues de la gauche sénatoriale qui alertaient sur la difficulté de juger si un rendez-vous a été manqué pour des raisons « légitimes » ou non. La sénatrice RDSE, Véronique Guillotin, elle aussi médecin de profession, a abondé : « Je comprends la teneur de cet article, il faut mettre fin à ces pratiques. Mais je vais voter les amendements de suppression [de la gauche et de Daniel Chasseing]. Le problème n’est pas mûr pour trouver une solution, il y aura des recours possibles, je ne vois pas la forme que ça va prendre. » Le ministre de la Santé aussi a alerté sur un « phénomène probablement plus complexe qu’on ne l’imagine », en appelant à « continuer à faire le diagnostic et l’analyse de la situation. » Le sénateur socialiste Bernard Jomier a notamment proposé le prochain budget de la Sécurité sociale pour arrêter une solution.
Rendez-vous non-honorés : « On a toujours de bons arguments pour repousser la responsabilisation dans ce pays »
Mais la majorité sénatoriale n’en a pas démordu. « Il ne s’agit pas de stigmatiser tel ou tel patient, mais de mettre sur la table un sujet, qui vise à responsabiliser les patients aux comportements non-vertueux et pas à les pénaliser. L’article tel qu’il est rédigé ne fait que dire qu’il permet cette discussion entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins. Ils s’en saisiront ou pas, mais ça permet d’aborder le sujet », s’est notamment défendu la rapporteure LR du texte Corinne Imbert.
Elisabeth Doisneau, rapporteure générale du budget de la Sécu a rappelé « l’exaspération » des professionnels de santé, tandis que son collègue du groupe centriste, Olivier Henno a assumé : « Quelqu’un qui s’excuse, il n’y aura jamais de sujet. Mais un rendez-vous chez un médecin n’est pas un produit de consommation comme un autre. On a toujours de bons arguments pour repousser la régularisation et la responsabilisation dans ce pays. »
La majorité sénatoriale a demandé un scrutin public et les amendements de suppression ont été rejetés, en l’état actuel du texte, les syndicats de médecin et l’assurance-maladie pourront définir d’éventuelles pénalités lors des prochaines négociations conventionnelles. Pour ce faire, majorité présidentielle et sénatoriale devront tout de même se mettre d’accord en commission mixte paritaire, étant donné que le gouvernement n’était pas favorable à la mesure.