« Lacunaire » : des économistes très critiques sur la réforme des retraites

« Lacunaire » : des économistes très critiques sur la réforme des retraites

Après l’utilisation du 49-3 à l’Assemblée nationale, la balle est désormais dans le camp du Sénat pour étudier le projet de loi sur les retraites. Ce mercredi, les élus du Palais du Luxembourg auditionnaient trois économistes, qui ont pointé les (nombreux) manquements de la réforme.​
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Par Ariel Guez

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« Il doit y avoir un locataire d’un Palais rue du Faubourg-Saint-Honoré qui doit regretter tous les jours d’avoir eu cette bonne idée, mais une bonne idée de campagne électorale seulement ». Sans détour, Alain Milon, le président de la commission des affaires sociales, a clôturé ce mardi une riche audition portant sur la réforme des retraites. Le projet de loi, qui a été adopté à l’Assemblée nationale en première lecture dans la nuit de mardi à mercredi grâce à l’utilisation de l’article 49-3, viendra en débat en avril au Palais du Luxembourg.

Et les sénateurs se tiennent prêts. Ils recevaient ce mercredi trois économistes, qui n’ont pas été tendres avec les grandes lignes du texte porté par Laurent Pietraszewski. Pour Antoine Bozio, directeur de l’Institut des politiques publiques, Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, et Hervé Boulhol de l’OCDE, nombreuses sont les inconnues qui subsistent dans l’équation du système universel par point que tente de résoudre La République en marche.

« Une étude d’impact lacunaire »

Pourtant, en 2008, Antoine Bozio a écrit avec le célèbre Thomas Piketty Pour un nouveau système de retraite, proposant la création d’un « système unifié de comptes individuels de cotisations offrant les mêmes droits et les mêmes règles à tous les travailleurs ». Des termes qui correspondent parfaitement aux éléments de langage du gouvernement aujourd’hui. Antoine Bozio est d’ailleurs considéré comme un « inspirateur » du projet de loi. Mais depuis, l’économiste, également directeur de l’Institut des politiques publiques, a très clairement changé de ligne.

Durant sa longue intervention, il est revenu sur les manquements de l’actuel projet de loi. D’abord, l’étude d’impact réalisée par le gouvernement, qui « s’arrête en 2050 de façon très étrange alors que les simulations de cas sont des exemples qui continuent jusqu’à 2070 », souligne le directeur de l’Institut des politiques publiques, approuvé par Sylvie Vermeillet (UC), par ailleurs membre du Conseil d'orientation des retraites. Antoine Bozio a rejoint les propos de Philippe Askenazy, qui dénonçait plus tôt le fait que les simulations proposées par l’étude d’impact « ne correspondaient pas aux cas présents dans la vie réelle ». Antoine Bozio est même allé jusqu’à qualifier l’étude d’impact de « lacunaire », et a affirmé qu’il manque « de nombreux éléments pour que la représentation nationale puisse se faire un avis ».

"J’avais espéré, à tort, la capacité de notre pays à se parler et à faire preuve de consensus", explique Antoine Bozio (IPP)
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« Ceux qui pensent que les fonctionnaires sont les grands perdants ont des soupçons légitimes »

Quant au niveau des pensions, les deux économistes sont là aussi sur la même longueur d’onde. « Au bout du bout, il n’y a pas de promesses de pensions supplémentaires pour un agent de la fonction publique qui serait né en 1975 », dénonce Philippe Askenazy, en martelant avec force ses arguments sur la pénibilité. « Aujourd’hui, il y a un nombre restreint de critères reconnus, mais les agents des collectivités territoriales sont particulièrement exposés à ceux qui ont été retirés », explique-t-il.

Les fonctionnaires ont été au centre des débats, et notamment les enseignants, à qui le gouvernement a promis une hausse globale des salaires pour compenser les effets de la réforme. En décembre, Jean-Michel Blanquer annonçait un investissement de dix milliards d’euros. « Comment voulez-vous convaincre les enseignants qu’il ne s’agit pas d’un marché de dupes quand vous dites de manière très ferme qu’ils seront perdants (...) ceux qui pensent que les fonctionnaires sont les grands perdants ont des soupçons légitimes. Écartez ces soupçons », appelait de ses vœux Antoine Bozio. Plus tard, lors de l’audition, le sénateur socialiste Jean-Louis Tourenne a affirmé que le système par point « allait redonner à ceux qui ont payé ce qu’ils ont versé », faisant comprendre que la réforme allait dans le sens contraire de la philosophie du Conseil national de la résistance.

« Aujourd’hui, il y a un nombre restreint de critères reconnus, mais les agents des collectivités territoriales sont particulièrement exposés à ceux qui ont été retirés », explique Philippe Askenazy (CNRS)
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« Un système de retraites ne peut pas être mis sous pilotage automatique »

Seul contre tous car seul favorable au projet de loi instituant un système universel de retraites, Hervé Boulhol a souligné son soutien « sans ambiguïté » au principe de la réforme, la qualifiant « d’ambitieuse ». Mais le répit accordé à la réforme portée par LREM n’a été que de courte durée. « Un système universel de retraites, même simplifié, ne peut pas être mis sur pilotage automatique », a attaqué le représentant de l’Organisation de coopération et de développement économique, affirmant qu’il existait un certain nombre d’aléas « qui ne sont pas maîtrisables ».

L’économiste de l’OCDE a apporté un point de vue international aux débats, rappelant que lors de réformes similaires en Suède ou en Norvège, les travailleurs de 60 ans et 58 ans étaient concernés, tandis qu’en France, tous les salariés nés avant 1975 n’entreront pas dans le champ d’application de la réforme. Autre point majeur du projet de loi : la fin des régimes spéciaux, qui n’est pas efficiente selon Hervé Boulhol, puisqu’il explique que les « règles des 42 régimes continueront à s’appliquer pour les droits acquis avant 2022 ou 2025 ».

Hervé Boulhol souligne son soutien « sans ambiguïté » au principe de la réforme, la qualifiant « d’ambitieuse »
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« Un objet statistique non-identifié »

« Il y a un certain nombre de paramètres qui sont inconnus », a dénoncé Philippe Askenazy. « Le texte parle d’un revenu moyen d’activité par tête. C’est un objet statistique non-identifié », renchérit-il. Car la valeur du point sera indexée sur cet indice, qui n’est pourtant pas encore défini par l’INSEE. Or pour Hervé Boulhol, « dans le nouveau système, le coût et la valeur du point devrait idéalement suivre la masse salariale ou l’assiette des cotisations ». Un flou qui a inquiété les sénateurs qui sont intervenus ce mercredi. « Si la valeur du point est clairement définie, que ce soit en euro ou en point ce n’est pas un problème. Le vrai problème est comment on le calcule », a par exemple demandé Jean-Marie Vanlerenberghe (UC).

« Ce qui nous manque, c’est ce que la réforme va coûter à l’État, et donc à la nation », a renchéri Jean-Louis Tourenne. Dans sa réponse, après deux heures d’audition, Philippe Askenazy résumait toute la difficulté du gouvernement à justifier son projet de loi, et des économistes à le comprendre : « Même si nous sommes trois économistes auditionnés ce matin, aucun d’entre nous ne serait capable de dire le coût global de cette réforme », affirmait le directeur de recherche au CNRS.

Une Conférence de financement où les syndicats claquent la porte les uns après les autres, une étude d’impact dénoncée par le conseil d’État, une opposition remontée à bloc avec un Président du Sénat qui demande le report de l’examen du projet de loi et des économistes qui s’inquiètent des conséquences d’un texte dont le financement reste inconnu : cette réforme du système des retraites pourrait être le boulet du gouvernement Philippe. Reste donc à voir, si lors de l’examen du texte au Sénat, les parlementaires obtiendront les réponses que les députés n’ont pas pu avoir. Rendez-vous en avril au Palais du Luxembourg.

 

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