« La guerre des prix se fait sur le dos des agriculteurs » : plus de deux ans après, la loi Egalim peine encore à convaincre

« La guerre des prix se fait sur le dos des agriculteurs » : plus de deux ans après, la loi Egalim peine encore à convaincre

Des acteurs de la filière agricole et des parlementaires estiment que la loi Egalim de 2018, n’a pas permis d’enrayer la guerre des prix dans la grande distribution, ni de mieux répartir équitablement la valeur entre les différents maillons de la chaîne, agriculteurs en tête.
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Pas de Salon de l’agriculture. La plus grande ferme de France qui devait se tenir du 27 au 7 mars sera complètement absente, pour cause de crise sanitaire. Loin d’être confinées, les difficultés financières des exploitants agricoles, elles, subsistent. Plus de deux ans après son entrée en vigueur, la loi Egalim, née des Etats généraux de l’alimentation, peine toujours à convaincre. Les agriculteurs – et l’exécutif l’admet aussi – jugent que le compte n’y est pas. L’ambition du texte était de rééquilibrer les relations commerciales entre les agriculteurs, les fournisseurs et les distributeurs, afin d’améliorer les revenus des premiers, en inversant la chaîne de la construction du prix. Ces différents acteurs se retrouvent ce 23 février autour d’une même table en Bourgogne, dans le cadre de la visite d’Emmanuel Macron et de son ministre de l’Agriculture Julien Denormandie.

Ce matin, sur Public Sénat, la présidente de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), le syndicat majoritaire dans la profession, a une fois plus répété que la loi Egalim n’avait « pas tenu ses promesses ». Pour Christiane Lambert, les grands distributeurs « ont margé copieusement ». Beaucoup d’acteurs jugent que la promesse d’une juste répartition de la valeur entre tous les maillons de la chaîne risque cette année encore de rester lettre morte. Les industries alimentaires, les coopératives agricoles et les fabricants de produits redoutaient fin 2020 une poursuite de la baisse des prix.

Des coopératives et industriels constatent la poursuite de la « spirale déflationniste »

La situation s’est améliorée dans de rares secteurs au cours des premières années d’application de la loi. Cependant, l’emblématique filière laitière ressemble à un arbre qui cache la forêt, et sa position peut s’expliquer par la remontée des cours en 2019. Pour les autres acteurs placés au milieu de la chaîne, la « spirale déflationniste » est toujours présente. Elle-même alimentée par une résurgence de la guerre des prix entre les principales enseignes, ce que la grande distribution conteste. Selon l’influent panéliste Nielsen, la baisse des prix a atteint 0,5 % en juin 2020 sur un an. Le recul atteint même 1,3 % pour les grandes marques alimentaires.

Du côté du législateur, le constat est aussi amer sur la loi Egalim. « Force est de constater que ça ne fonctionne pas, notamment dans le partage de la valeur. La guerre des prix se fait sur le dos des agriculteurs », regrette Henri Cabanel, sénateur RDSE (groupe à majorité radicale). Ce viticulteur encore en activité est co-rapporteur d’un groupe de travail sur le mal-être des agriculteurs. « On a auditionné des dizaines d’agriculteurs, recueilli 140 témoignages. Ils nous disent tous à 95 % que la première des difficultés, c’est le revenu. »

Laurent Duplomb (LR), « pas étonné des conclusions après deux années d’application »

« Je ne suis pas étonné des conclusions après deux années d’application. C’est exactement ce que nous dénoncions quand la loi est passée », analyse le sénateur LR Laurent Duplomb. « Ce qui devait augmenter le prix de base des producteurs, je ne le vois pas. Sinon, la filière bovine ne serait pas en crise comme elle est. » Cet éleveur de vaches laitières estime que le principe du ruissellement, d’un contrôle des prix à l’arrivée, pour le répercuter à l’amont, était un « non-sens ». La loi, en phase d’expérimentation, a notamment encadré des promotions et le relèvement d’un seuil pour éviter les ventes à perte. Le sénateur, auteur du rapport « La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ? » juge que les enseignes ont su s’adapter aux nouvelles règles. « C’est bien mal connaître la capacité de la grande distribution à contourner les règles. »

Pire, l’encadrement des promotions a même déstabilisé certaines filières, notamment les productions très saisonnières. Lors des débats budgétaires de l’automne, le socialiste Franck Montaugé avait expliqué que la filière palmipède gras avait souffert du resserrement des promotions (relire notre article). Et cela, dans un double contexte sanitaire préjudiciable de grippe aviaire et de coronavirus.

Dans le cadre du comité de suivi des négociations commerciales, le gouvernement a décidé de renforcer la médiation entre les différents partis, mais aussi de « démultiplier » les contrôles, à travers l’action de la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes). En février, trois distributeurs (Carrefour, Système U et Intermarché) ont été sanctionnés pour « non-respect » des règles, lors des négociations commerciales menées en 2019 avec leurs fournisseurs. Plusieurs sociétés du groupe Intermarché ont également été assignées devant le tribunal de commerce pour « pratiques commerciales abusives ». En octobre, la même DGCCRF a publié le résultat d’un cycle de contrôles menés en 2018 dans la filière des fruits et légumes, sur les pressions tarifaires. Dans un cas sur trois, les enquêteurs ont relevé des anomalies.

Le visage de l’année 2021 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices pour le moment, alors que se poursuivent les négociations commerciales. En janvier, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation avait notamment relevé un « point inquiétant » dans les négociations en cours : la « difficulté de prise en compte de l’augmentation des coûts de production ».

Le combat de Julien Denormandie pour instaurer un cadre de « transparence »

De façon générale, le ministre Julien Denormandie a reconnu devant l’hémicycle du Sénat ce mois-ci que « certains acteurs » ne « respectent pas » les règles. « Le compte n’y est pas », a-t-il admis également fin 2020, tout en affirmant qu’Egalim avait permis une « moindre déflation » l’an dernier. Selon ses services, le climat de la négociation s’est également « apaisé ». Julien Denormandie estime avoir identifié le principal manque de la loi Egalim : la question de la « transparence » des prix et des coûts. Le ministre espère que les différents acteurs de la chaîne alimentaire vont améliorer le climat de confiance avec la création d’indicateurs. « Il n’y a pas besoin de loi Egalim deux », affirmait-il en novembre sur les chaînes parlementaires.

Dans le rôle du conciliateur se trouvera Serge Papin. L’ancien PDG du groupe Système U s’est vu confier une mission relative à la répartition de la valeur dans les filières agroalimentaires. Le choix laisse le sénateur Henri Cabanel dubitatif. « C’est comme demander à une entreprise de s’autocontrôler », redoute-t-il. Le sénateur de l’Hérault estime que l’heure est venue de faire un bilan détaillé de la loi, dont l’expérimentation sur les relations commerciales a été prolongée pour une troisième année supplémentaire via la loi de simplification Asap. « Stop on arrête là […] Faisons un bilan en toute transparence avec les acteurs qui ont permis de faire les Etats généraux », plaide Henri Cabanel. Pour lui, l’un des cœurs du problème reste l’oligopole constitué par un nombre restreint de centrales d’achats.

L’offensive du ministère sur la transparence, le sénateur Laurent Duplomb n’y croit pas. « J’ai une énorme difficulté à penser que parce qu’on mettra sur la table des indicateurs, on négociera sans difficultés. La transparence a ses limites. Cela veut dire qu’on donnera des moyens à d’autres acteurs pour être plus compétitifs, c’est compliqué. » Le parlementaire LR rappelle au passage que le revenu des agriculteurs dépend également des charges : coût de la main-d’œuvre et poids des normes.

Pessimiste sur les négociations commerciales en cours, Laurent Duplomb « pense que ces négociations actuelles seront pires que ces deux dernières années. » « La première, il y avait encore les effets de la loi, et une tendance à calmer le jeu », déclare-t-il. Verdict début mars.

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