Faut-il renforcer les mesures de relance ou mettre fin au « quoi qu’il en coûte » ? Comment faire face à l’explosion de la dette ? Telles sont peu ou prou les questions posées par la commission des finances du Sénat. Ce mercredi, une table ronde avec un panel d’économistes a donc été organisée pour éclairer les membres de la Haute assemblée.
En préambule, le président de la commission, le socialiste Claude Raynal a rappelé la situation inédite dans laquelle se trouve l’économie du pays : le PIB a chuté de 8,3 % en 2020 - « il faut remonter à 1942 pour observer une telle baisse » - et la dette représentera 122,4 % du PIB à l’issue de 2021 selon les prévisions du gouvernement. D’après l’INSEE, au 3e trimestre 2020 la dette publique française, s’élève à 2 674,3 milliards d’euros. Dans ce contexte, nombreux sont les sénateurs inquiets - en particulier à droite - et les réponses difficiles à trouver. « Le débat entre économistes n’est pas très plaisant en ce moment », convient Claude Raynal.
Le paradoxe de 2020
Tour à tour, chaque intervenant a donc présenté sa vision de l’état de la dette de la France à l’aide de PowerPoint fournis en graphiques, courbes et équations. Si certains se montrent plus alarmistes, tous s’accordent pour dire que la dette française est « soutenable » pour le moment.
Directrice du budget, Amélie Verdier ouvre le bal : « La question n’est pas de savoir s’il y a un risque à court terme. C’est plutôt notre capacité à faire face durablement ». Alors que le gouvernement a investi massivement pour sauver l’économie du pays face à la crise sanitaire - suivant la ligne établie par Emmanuel Macron du « quoiqu’il en coûte » - l’année 2020 présente un « paradoxe », explique-t-elle. Certes le déficit budgétaire a été presque « multiplié par deux », mais dans le même temps la charge de la dette « a baissé ». « On a moins payé d’intérêts du fait de taux d’intérêt négatifs », constate-t-elle. La situation ne lui paraît donc pas alarmante, le plus important étant de conserver la « confiance des créanciers de la France ». Sur ce point, elle rassure : la France dispose de garanties solides, elle est très « transparente » et « produit chaque année des comptes certifiés par la Cour des comptes ». Selon elle, « la soutenabilité de la dette doit s’apprécier à moyen terme comme notre capacité à financer nos politiques publiques », alors que la France a du mal à faire refluer sa dette quand la croissance est de retour. Le défi se trouve plutôt là.
« Il est inutile d’agiter des chiffons rouges »
Directeur général de l’agence France Trésor, qui a pour mission de gérer la dette et la trésorerie de l’Etat, Anthony Requin est sur la même ligne. « Aujourd’hui, la dette de la France est soutenable », assure-t-il, puisque la France bénéficie d’un « environnement de taux d’emprunt très favorable ». Aux questions des sénateurs, à l’image d’Éric Bocquet (CRCE) sur le décalage entre l’inquiétude des Français à rembourser la dette et la « quiétude » des créanciers, il répond : « Nous devrions bénéficier encore de longues années des conditions favorables d’endettement. Nous bénéficions de la confiance des investisseurs. Nous bénéficions aussi d’une très bonne flexibilité financière. La soutenabilité n’est pas un problème aujourd’hui ». Pour lui, il est « inutile d’agiter des chiffons rouges ».
Économiste au Peterson Institute, Olivier Blanchard abonde depuis Washington : « En France, la dette est parfaitement soutenable. » Tant que le covid-19 est là, il estime qu’il ne faut pas hésiter à « dépenser tout ce qu’on peut pour la protection sanitaire et le soutien à l’économie ».
« Nous n’échapperons pas à une maîtrise des dépenses publiques »
François Ecalle se montre bien plus alarmiste. Président de l’association « Finances publiques et économie » (Fipeco) et chargé d’enseignement à l’Université Paris 1 Panthéon‑Sorbonne, il observe que depuis 60 ans, le déficit de la France est « sur une pente ascendante ». « L’enjeu pour la France dans les prochaines années est de stabiliser son déficit public. Aujourd’hui, la soutenabilité est assurée par la Banque centrale européenne, mais il ne faut pas considérer que ses interventions dureront éternellement. La limite pour les banques centrales, c’est l’inflation. » Dans quelle mesure peut-on « poursuivre » cet endettement, l’interroge Didier Rambaud (RDSE). « Nous n’échapperons pas à une maîtrise des dépenses publiques dans les années à venir », prévient François Ecalle, d’autant qu’aucun « économiste ne peut vous garantir que le taux d’intérêt restera inférieur au taux de croissance ».
Anthony Requin va dans le même sens. « Il faut s’assurer dans l’avenir que l’ensemble de la dépense publique n’augmente pas plus rapidement que la croissance. Depuis 30 ans, on vit au-dessus de nos moyens. Il faudrait faire un petit effort collectif. On dispose de 5 ans ou plus pour corriger cet équilibre », préfigure-t-il. « Si nous ne le faisons pas, alors oui nous ferions face à des lendemains qui nous fassent déchanter. » Professeur à l’École d’économie de Paris, Jézabel Couppey-Soubeyran insiste sur la problématique à laquelle sera confronté le pays : « La dette ne sera soutenable que si nous n’approfondissons pas les plans de relance actuels, or l’approfondissement semble indispensable ». Pourra-t-on investir davantage en augmentant la dette ? « Non, on ne pourra pas sans créer un problème d’insoutenabilité de la dette », martèle-t-elle. Alors pourquoi ne pas effacer la « dette covid » interrogent des sénateurs ? « C’est une illusion », balaye Anthony Requin, qui assure qu’elle « n’obère pas » les politiques publiques.