« Le quoi qu’il en coûte, c’est fini. » Ainsi Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances, avait fait sa rentrée devant le patronat fin août. Pour son deuxième budget depuis l’irruption du covid-19, le gouvernement peut compter sur la reprise économique, et donc la perspective de meilleures recettes fiscales. Prudent dans ses prévisions de croissance pour 2021 (6 %), l’exécutif table sur 4 % en 2022. Le déficit serait réduit de 8,4 % à 4,8 % du PIB, et la dette refluerait légèrement, de 116 % du PIB à 114 % l’an prochain, selon son scénario macroéconomique.
Le gouvernement présente en Conseil des ministres ce mercredi 22 septembre le projet de loi de finances (PLF) pour 2022, au menu des travaux parlementaires cet automne. L’acrobatie s’annonce de haute volée : Bruno Le Maire avait promis qu’une « partie des fruits de la croissance » devait « aller à la réduction des déficits et à la baisse de la dette publique ». Et en même temps, il s’agit de ne pas compromettre la relance, après plusieurs confinements qui ont mis à rude épreuve les finances publiques. Le 15 septembre, Pierre Moscovici, en sa qualité de président de la Cour des comptes, avait rappelé à l’ordre le gouvernement, dans une interview donnée aux Échos. « Cette période pèse durablement sur nos finances publiques et elle a entraîné des charges pérennes qui ne sont pas toutes directement liées à la crise. »
Ce budget a également une coloration particulière : il s’agit du dernier budget avant la présidentielle, avec des revendications à satisfaire ou des promesses à tenir. Déjà cet été, Bercy prévoyait près de 11 milliards de dépenses supplémentaires en 2022 pour les différents ministères. C’était avant une série d’annonces à la rentrée, qui n’ont pas manqué de faire réagir au Sénat.
Le gouvernement n’a toujours pas communiqué sur le revenu d’engagement et le plan d’investissement
Ce PLF n’est pourtant pas encore totalement ficelé. Certaines dépenses, qui n’ont pas encore fait l’objet d’annonces de la part du chef de l’État, ne figurent pas encore dans le texte budgétaire. C’est notamment le cas du plan d’investissement, qui pourrait mobiliser au bas mot une vingtaine de milliards d’euros répartis sur cinq ans, pour financer le développement de quelques secteurs d’avenir triés sur le volet. Le revenu d’engagement, qui s’adressera aux jeunes en situation de précarité, fait lui toujours l’objet d’ultimes arbitrages. Le dispositif pourrait se chiffrer jusqu’à deux milliards d’euros.
Ce budget inachevé n’a pas été du goût du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), chargé d’apprécier la trajectoire budgétaire et notamment la sincérité des comptes. L’un de ses avis préliminaires exprimait une sévérité rarement vue depuis le budget 2017, le dernier exercice du précédent quinquennat. Le président du HCFP, Pierre Moscovici, a refusé la semaine dernière de se prononcer sur le déficit à venir et a qualifié, dans un premier temps, le texte du gouvernement de « tardif », « daté » et même « incomplet », relate le quotidien L’Opinion. L’ancien commissaire européen ouvrira d’ailleurs le bal des auditions budgétaires devant la commission des finances du Sénat, ce 22 septembre en fin de matinée. Les sénateurs auront surtout l’occasion de questionner en fin de journée les ministres Bruno Le Maire et Olivier Dussopt.
« Cela jette un flou sur les équilibres de ce budget »
Au Palais du Luxembourg, on goûte peu la méthode d’un PLF incomplet et susceptible d’évoluer de manière substantielle en pleine lecture parlementaire. « J’ai l’impression que c’est un peu du jamais vu. Je veux bien que les règles d’orthodoxie budgétaire aient volé en éclat avec la pandémie, mais je pense qu’une présentation sérieuse s’impose », grince le rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson (LR). La manœuvre est d’autant moins appréciée que le Sénat est saisi de deux textes issus de l’Assemblée nationale visant à réformer la gouvernance des finances publiques et à maîtriser davantage leur trajectoire. « C’est un peu contraire à l’esprit qui va bientôt venir en séance sur la modification de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) », s’étonne le président PS de la commission des finances, Claude Raynal.
D’un groupe à l’autre, le malaise est palpable à la commission des finances, quand bien même le revenu d’orientation ou le plan d’investissement sont des objectifs partagés. « Je regrette que des dépenses importantes qui vont être faites ne soient pas inscrites dans le projet de loi. Cela jette un flou sur les équilibres de ce budget », note le sénateur Bernard Delcros (Union centriste).
La photographie du budget manque encore de netteté, mais ce sont plutôt la succession de décisions depuis l’été qui retiennent l’attention chez les oppositions. Depuis le début de la rentrée, l’exécutif multiplie les gestes tous azimuts. Au plan d’un milliard et demi d’euros pour Marseille s’est ajoutée une nouvelle rallonge budgétaire de 500 millions d’euros pour les forces de l’ordre (après le milliard supplémentaire déjà promis en juillet) avant une loi de programmation de la sécurité, une revalorisation de 100 euros brut l’an prochain pour les sages-femmes, un plan pour les indépendants. Autant de sujets auxquels il faut rajouter la contraception gratuite pour les femmes jusqu’à 25 ans ou encore des mesures en faveur des agriculteurs, notamment le volet assurantiel. Avec la flambée des prix de l’énergie, le gouvernement a par ailleurs eu l’occasion d’annoncer un coup de pouce supplémentaire aux ménages éligibles au chèque énergie (600 millions d’euros), ou encore la mobilisation de deux milliards d’euros en 2022 pour la reconduction du dispositif MaPrimeRénov', l’aide à la rénovation énergétique. Lundi encore, le président de la République a promis la création d’un fonds de réparation en faveur des harkis.
« Il va falloir que le quoi qu’il en coûte ne soit pas un mode de vie », plaide Gérard Larcher
Une frénésie de propositions qui n’ont pas échappé à ses potentiels adversaires à droite pour la présidentielle de 2022. Valérie Pécresse l’accuse de « cramer la caisse », quand Xavier Bertrand fustige un président de la République qui fait « campagne avec le chéquier de la France ». Le rapporteur général Jean-François Husson choisit des mots différents mais l’image est la même. « Je constate que l’on continue de dépenser à tout va. Les vannes sont grandes ouvertes. La carte bancaire du gouvernement est devenue folle […] Il y a une espèce de lâcher-prise qui est assez inquiétante. »
Lundi soir, dans l’émission Audition publique, sur les chaînes parlementaires, le président du Sénat lui-même a fait part de son inquiétude sur l’accumulation des déficits. « Il va falloir que le quoi qu’il en coûte, ce ne soit pas un mode de vie et que ça ne devienne pas quoiqu’il advienne », a appelé Gérard Larcher. Et d’ajouter : « J’ai peur qu’on soit rentré dans une campagne électorale où on distribue beaucoup. »
A sept mois de l’élection présidentielle, la droite sénatoriale n’entend pas se priver de faire de la question budgétaire un angle d’attaque. Jeudi, tous les parlementaires LR ont rendez-vous au Sénat pour un séminaire intitulé « Le quoi qu’il en coûte, jusqu’où ? » Au lendemain de la publication des résultats de la grande enquête lancée par le parti pour déterminer le meilleur scénario possible pour 2022, la question financière peut permettre de resserrer les rangs.
Le centriste Bernard Delcros estime, quant à lui, que le gouvernement n’a pas la tâche facile, pris dans des objectifs difficilement conciliables. « A la fois il faut réussir l’investissement, qui passe par la réindustrialisation, et de l’autre, on ne peut pas laisser filer la dépense publique. L’équilibre est difficile à trouver et le serait pour tous les gouvernements », analyse ce vice-président de la commission des finances.
Chez les socialistes, c’est l’un des autres volets du projet de loi de finances qui inquiète. « On s’étonne de ne pas avoir de recettes en face. Il faut que ce débat ait lieu », s’exclame Claude Raynal, qui énumère notamment la fin de la taxe d’habitation sur les 20 % les plus aisés et la suite de la baisse des impôts de production. « On ne peut pas sans arrêt diminuer les recettes et la remplacer par de la dette. » Le dernier débat budgétaire du quinquennat s’annonce on ne peut plus politique.