Justice : le Sénat rejette le budget 2020 et la réforme de l’aide juridictionnelle

Justice : le Sénat rejette le budget 2020 et la réforme de l’aide juridictionnelle

Les sénateurs n’ont pas voulu voter en faveur des crédits de la mission justice. Ils estiment que la trajectoire promise n’est pas respectée. Ils ont également retiré du projet de loi de finances la réforme de l’aide juridictionnelle, introduite par les députés.
Public Sénat

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

C’est un double non. Tard dans la soirée du jeudi 5 décembre, le Sénat a choisi de ne pas adopter les crédits de la mission justice, du projet de loi de finances (PLF) pour 2020. 291 sénateurs (contre 42) ont suivi l’appel de la commission des Lois, et de la commission des Finances, de ne pas voter en faveur de ce budget. Une majorité de l’hémicycle a également choisi de supprimer l’article réformant les modalités de l’aide juridictionnelle, introduit par les députés en première lecture.

Un argument a essentiellement motivé la Haute assemblée de refuser le budget de la justice : l’écart constaté par rapport à la loi de programmation promulguée le 29 mars dernier. Si le budget augmente de 242 millions d’euros sur un an, pour atteindre 9,4 milliards, il manque toutefois environ 150 millions supplémentaires selon la trajectoire définie au printemps. « Le gouvernement s’affranchit des engagements pris devant la représentation nationale au moment du vote », a épinglé le sénateur LR Antoine Lefèvre.

Places de prison « ces difficultés étaient parfaitement prévisibles », pour Josiane Costes

C’est la conséquence du retard pris dans le programme immobilier pénitentiaire, (7000 nouvelles places de prison à construire d’ici la fin du quinquennat) – maintes fois dénoncé par les sénateurs – et qui s’explique par l’opposition de certains maires à ces nouvelles prisons. « Ces difficultés étaient parfaitement prévisibles, et pouvaient être anticipées », a sermonné la sénatrice (Mouvement radical) Josiane Costes. La garde des Sceaux, Nicole Belloubet s’est défendue de toute « forme d’imprévision » et a précisé qu’il n’était pas question pour le gouvernement de passer en force dans ces territoires.

La Haute assemblée a également dénoncé la faible revalorisation des moyens dédiés à la justice judiciaire qui ne « permet pas de couvrir l’érosion liée à l’inflation ». Mais c’est surtout sur l’aide juridictionnelle qu’elle s’est illustrée. Elle a retiré du PLF l’amendement introduit en première lecture à l’Assemblée nationale par Naïma Moutchou (La République en marche) et Philippe Gosselin (Les Républicains), un amendement traduisant les préconisations de leur rapport publié pendant l’été, pour améliorer la rapidité et l’efficacité du dispositif. Il doit, d’une part, réorganiser les bureaux d’aide juridictionnelle, et, d’autre part, retenir comme critère d’appréciation pour pouvoir y prétendre le revenu fiscal de référence. Contre des ressources de toute nature actuellement.

Plusieurs sénateurs sont montés au créneau, y compris Thani Mohamed Soilihi (LREM), qui a indiqué que cet amendement suscitait des « interrogations » et qui a souligné, comme bon nombre de ses collègues, l’absence d’étude d’impact.

Craintes sur l’accessibilité sur tout le territoire

Yves Détraigne (Union centriste) s’est notamment alarmé de la suppression de l’obligation faite au siège de chaque tribunal de grande instance de disposer d’un bureau d’aide juridictionnelle. Or ces juridictions seront réorganisées par décret « Cela ne peut que susciter des craintes sur le maintien de l’accès à la justice pour nos concitoyens les plus vulnérables », a-t-il insisté. « Dans chaque juridiction il y aura un service d’accueil du justiciable, qui permettra d’accueillir physiquement tous les justiciables et de les accompagner dans leurs démarches, qu’il s’agisse de l’aide juridictionnelle ou d’autres », a assuré la ministre.

Autre inquiétude des sénateurs : selon le texte des députés, la définition des plafonds annuels d’éligibilité à l’aide juridictionnelle sera fixée dans un décret en Conseil d’État. Et plus par la loi, comme c’est le cas actuellement. « Des plafonds d’admissibilité à de très nombreuses aides sociales sont d'ores et déjà fixés par le pouvoir réglementaire », a précisé Nicole Belloubet.

La ministre, rappelant que cet article a été soutenu à l’Assemblée nationale de manière transpartisane, a aussi rappelé que le seuil fixé en fonction du revenu fiscal de référence « ne devrait pas modifier sensiblement le périmètre actuel des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle » :

Réforme de l'aide juridictionnelle : Nicole Belloubet défend le texte des députés
04:07

Les sénateurs heurtés de ne pas avoir été associés

Au-delà du fond, c’est la méthode qui a également heurté les sénateurs dans cette réforme « rapide ». D’autres diraient « surprise ». Pour Yves Détraigne, il s’agit d’une « réforme adoptée dans la précipitation à l’Assemblée nationale, alors que le gouvernement annonçait un projet de loi sur ce sujet depuis plusieurs mois ».

« Nous sommes déçus. Nous aurions vraiment dû être associés à cette réforme », s’est exclamé le socialiste Jean-Pierre Sueur. « Qu’elle arrive comme cela en pleine loi de finances, par un amendement de l’Assemblée nationale, sans prendre aucunement en compte les réflexions du Sénat, qui ont été très approfondies sur ce sujet, nous paraît être sur le plan de la méthode pas satisfaisant. »

Dans la même thématique

Tondelier 2
8min

Politique

Malgré des critiques, Marine Tondelier en passe d’être réélue à la tête des Ecologistes

Les militants du parti Les Ecologistes élisent leur secrétaire national. Bien que critiquée, la sortante Marine Tondelier fait figure de favorite dans ce scrutin où les règles ont été changées. La direction s’est vue accusée par certains de vouloir verrouiller le congrès. Si les écolos ne veulent pas couper avec LFI, le sujet fait débat en vue de la présidentielle.

Le

SIPA_01208671_000002
5min

Politique

Prisons attaquées : vers une nouvelle loi pour permettre l’accès aux messageries cryptées par les services de renseignement

Après la série d’attaques visant plusieurs établissements pénitentiaires, coordonnées au sein un groupe de discussion sur Telegram, le préfet de police de Paris, Laurent Nunez regrette que la disposition de la loi sur le narcotrafic, permettant aux services de renseignement d’avoir accès aux messageries cryptées, ait été rejetée les députés. La mesure pourrait réapparaître dans une nouvelle proposition de loi du Sénat.

Le

Municipales 2026 : pourquoi le prochain mandat des maires pourrait durer sept ans, au lieu de six
4min

Politique

Municipales 2026 : pourquoi le prochain mandat des maires pourrait durer sept ans, au lieu de six

La question d’un report des élections municipales de 2032 est à l’étude au ministère de l’Intérieur, en raison de la proximité d’un trop grand nombre de scrutins, notamment la présidentielle. Si le calendrier devait être révisé, et avec lui la durée du mandat des maires élus l’an prochain, cela nécessiterait une loi. Ce serait loin d’être une première sous la Ve République.

Le

FRA – ASSEMBLEE – 4 COLONNES
13min

Politique

Congrès du PS : les tractations se concentrent sur « Boris Vallaud, qui a des propositions de dates tous les jours »

Alors que les amis de Nicolas Mayer Rossignol, d’Hélène Geoffroy et de Fatima Yadani et Philippe Brun discutent pour fusionner, dans une union des opposants à Olivier Faure qui demandent la « clarté », le président du groupe PS de l’Assemblée, Boris Vallaud, se retrouve au centre des attentions. Mais « son but n’est pas d’être faiseur de roi, c’est de rassembler le royaume socialiste », soutient Rémi Branco, son porte-parole.

Le