Jacques Toubon alerte sur les « milliers d’enfants » qui ont « faim » pendant le confinement

Jacques Toubon alerte sur les « milliers d’enfants » qui ont « faim » pendant le confinement

Auditionné par la commission des lois du Sénat, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, met en garde et estime que « l’équilibre du trépied liberté, égalité, sécurité est en cause ». Le confinement est source « d’inégalités sociales très fortes », notamment pour les enfants des familles pauvres.
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« Je t’entends fort et clair ». Malgré l’épidémie de Covid-19, les auditions au Sénat se poursuivent, parfois à distance, comme ce mercredi matin avec le Défenseur des droits, Jacques Toubon, en visioconférence. Celui qui a été salué à son poste, et dont les fonctions se terminent en juillet prochain, a répondu aux questions de la commission des lois du Sénat.

Accès aux services publics, attestations de déplacement, situation dans les prisons, pour les mineurs étrangers non accompagnés, dans les centres de rétentions, inégalités sociales… En cette période de confinement et d’état d’urgence sanitaire, les sujets sont nombreux. D’autant que la loi d’urgence sanitaire touche clairement à nos libertés individuelles, de par le confinement. Cette loi de circonstance s’ajoute aux décisions prises après les attentats de 2015. C’est pourquoi le Défenseur des droits met aujourd’hui en garde sur la situation globale dans le pays.

« L’équilibre du trépied liberté, égalité, sécurité est en cause »

« En moins de cinq ans, notre pays, depuis novembre 2015, a connu deux épisodes d’état d’urgence, pour affronter deux menaces et deux attaques meurtrières de nature complètement différente, qui s’en prennent à nos sociétés et à nos personnes. Il s’agit de l’état d’urgence antiterroriste et de l’état d’urgence sanitaire, dans lesquels nous sommes aujourd’hui » souligne Jacques Toubon, qui s’inquiète pour « le trépied liberté, égalité, sécurité ». Selon le Défenseur des droits, « l’équilibre de ce trépied est en cause ». Regardez :

Jacques Toubon : « L’équilibre du trépied liberté, égalité, sécurité est en cause »
00:50

Autrement dit, ces évolutions du droit, guidées par l’urgence et les circonstances terribles des attentats et de l’épidémie qui tuent à l’aveugle, grignotent, petit à petit, notre Etat de droit. Ou du moins, le mettent à mal, quand la balance penche trop vers la sécurité.

« Le confinement renvoie les enfants à la brutalité des différences de classe »

Cette tension ne se limite à une dualité entre liberté et la sécurité. L’égalité est aussi en jeu. « Il y a dans tout ça » des questions « d’inégalités sociales très fortes ». Jacques Toubon pense à la question des enfants des familles les plus pauvres. L’assiette se retrouve parfois vide aujourd’hui. L’ancien chiraquien emploie même un vocabulaire d’inspiration marxiste, pour décrire la situation. « Un parlementaire a dit : le confinement renvoie les enfants à la brutalité des différences de classe. Et c’est pour ça qu’un des points très importants que je veux souligner, c’est combien la disparition de la restauration collective est un des éléments centraux de ces disparités sociales et de ce décrochage social et éducatif, que le ministre de l’Education a pris en compte », en annonçant la reprise progressive des cours (voir la première vidéo).

Ainsi, « la cantine doit être considérée comme un service essentiel à la réalisation du droit à l’éducation. Et dans les circonstances actuelles, un service essentiel pour que, peut-être, des centaines de milliers d’enfants ne soient pas laissés pour compte et soient renvoyés à une nourriture très insuffisante. Certains ont commencé à parler de la faim dans certains départements… »

Jacques Toubon appelle à « inventer des solutions » avec les concessionnaires de la restauration collective, « pour que des centaines de milliers d’enfants, qu’ils soient scolarisés ou pas, puissent accéder dans de bonnes conditions à une nourriture qui ne peut pas être donnée dans leur famille ».

« 800 mineurs détenus » en centre de rétention alors qu’il n’y a « presque plus » d’expulsion

Les sujets liés aux enfants sont nombreux, avec un manque de « coordination » pour l’aide sociale à l’enfance. Pour les mineurs étrangers non accompagnés, « un certain nombre de départements ont fermé l’accueil ». Si bien que « des mineurs, au lieu d’être traités comme des enfants, des mineurs, ont été traités comme des étrangers ordinaires ».

Jacques Toubon évoque aussi la situation pour les « 800 mineurs aujourd’hui détenus » en centre de rétention, alors qu’il n’y a « presque plus » d’expulsion » aujourd’hui. Globalement, « on peut s’interroger sur la légalité d’une rétention, qui s’adresse à des personnes qui ont vocation à être expulsés. Ce n’est pas une détention ». Le maintien de l’ouverture des centres en cette période pose aussi des questions sanitaires.

Les nouvelles technologies créent des discriminations

Durant le confinement, le Défenseur des droits continue son activité et reçoit encore beaucoup de questions : sur l’accès aux supermarchés avec des enfants (parfois refusé), l’accès aux banques et à La Poste en particulier, qui a rouvert davantage de bureaux, ou sur le courrier. Ou encore cette mère d’un enfant autiste, qui raconte avoir été « verbalisée car elle avait dépassé l’heure fatidique pour l’activité sportive ».

Le Défenseur des droits souligne que sur « le comportement des forces de sécurité, il n’y a pas eu beaucoup de réclamations pour l’instant ». Il ajoute :

Je pense que globalement, malgré les grandes difficultés, policiers et gendarmes font bien leur travail.

Concernant l’attestation de déplacement numérique, il note qu’elle constitue autant un « avantage » mais « pose en même temps un problème ». En effet, « nous sommes dans une injonction paradoxale : les nouvelles technologies nous permettent de travailler, (…) mais elles écartent des millions et millions de personnes (…) qui sont discriminées, écartées ». Quant à l’application de traçage « Stop Covid », il confirme que la loi actuelle suffit pour l’appliquer. Mais il appelle à la vigilance sur ces technologies au regard du « droit fondamental du malade ».

Confinement prolongé pour certains seulement pour raisons « très strictes, avec une portée limitée » et non obligatoire

Jacques Toubon a aussi en tête le déconfinement à venir. Là aussi, il pointe un « risque de discrimination ». S’il est rassuré sur le fait que les personnes âgées ne devront pas obligatoirement rester plus longtemps confinées, quid des personnes atteintes de certaines maladies ? Une demande de confinement prolongée pour elles devra être « démontrée » par les autorités, notamment au regard des facteurs de « comorbidité », c’est-à-dire les raisons médicales aggravantes. Il devra aussi ne pas y avoir « d’alternative moins attentatoire à la liberté de la personne », pour décider d’un confinement prolongé. En tout état de cause, « ça ne devrait être envisagé que dans des conditions très strictes, avec une portée limitée (…) en reposant non pas sur une obligation, mais la responsabilité individuelle ».

Alors que ses fonctions arrivent bientôt à leur terme, Jacques Toubon – qui glisse au passage qu’il se verrait bien à la commission des lois… – espère que le monde qui suit, le monde d’après, ne sera pas plus sombre.

Sur le plan des droits et libertés, c’est un monde qui doit continuer à être celui de l’Etat de droit, de la démocratie et en particulier de la liberté d’expression, de la liberté d’aller et venir, de la vie privée. (Jacques Toubon)

Le Défenseur des droits ajoute : « Nous avons mis trois siècles à conquérir cela et il ne faut pas que nous soyons abattus, ni hier par des barbares, ni aujourd’hui par le drame de la maladie. Il appartient au Parlement d’être à l’avant-garde de la réflexion et des projets. Le droit et la liberté doivent rester au centre ». Une conclusion qui sonne comme une sérieuse – et inquiétante – mise en garde.

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