Le projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, actuellement examiné au Sénat, n’est pas seulement l’occasion pour le Parlement de se prononcer sur une prolongation de cet état d’exception, rendu nécessaire par la pandémie de Covid-19. Le texte permet aussi d’en modifier le cadre. Dans la nuit du 4 au 5 mai 2020, le Sénat, à majorité de droite et du centre, a modifié l’article 2, qui fixe les conditions d’application des régimes de quarantaine et d’isolement, à domicile ou dans un lieu réquisitionné par les pouvoirs publics.
Ces mesures, fixées à 14 jours, ne pourront concerner que les personnes qui entrent sur la partie continentale de la France, en Corse, ou dans les collectivités d’outre-mer, et qui ont séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l’infection. Le matin, la commission des Lois du Sénat avait retiré du projet de loi l’application de ces mesures de quarantaine pour les personnes arrivant en France continentale depuis la Corse. En hémicycle, les sénateurs sont allés plus loin, en refusant que le placement préventif en quarantaine s’applique aux arrivées dans l’Hexagone en provenance des Outre-mer. C’est le résultat d’un amendement qu’a fait adopter Maryse Carrère et plusieurs de ses collègues du groupe RDSE.
Alain Milon défendait une contrainte pour les personnes qui ne respecteraient pas une quatorzaine prescrite par leur médecin
La mouture actuelle des dispositions permises par l’état d’urgence sanitaire a été jugée insuffisante par Alain Milon (LR), médecin et président de la commission des Affaires sociales du Sénat. Pour le sénateur du Vaucluse, ces mesures de quarantaine et d’isolement doivent pouvoir s’appliquer, dans le cas d’une maladie transmissible « hautement contagieuse » comme le coronavirus, à une personne infectée, ou présentant un risque d’infection, qui refuserait une prescription médicale d’isolement prophylactique.
Car une telle personne créerait par son comportement, un « risque grave » pour la santé de la population. « Limiter à une simple recommandation, dénuée de tout effet contraignant, ne prémunit absolument pas le pays contre le surgissement d’une deuxième vague », a alerté le président de commission.
« Il n’y a pas écrit sur son front mis en quarantaine par arrêté du préfet », fait remarquer Philippe Bas
Comme dans les travaux de commission menés durant la matinée, Philippe Bas, le président (LR) de la commission des Lois, a réussi à convaincre dans l’hémicycle une majorité de sénateurs de se rallier à son point de vue, et donc de ne pas adopter cet amendement. « Si le régime est un régime de contrainte, il va y avoir de nombreuses stratégies de d’évitement, de contournement. Des personnes dissimuleront qu'elles sont porteuses du virus », a mis en garde Philippe Bas. Autre argument pour le sénateur de la Manche : la mesure aurait été inapplicable. « C’est une fiction que de prévoir ce régime de contrainte, qui ne sera pas appliqué car nous n’avons pas les moyens de l’appliquer. La personne dans la rue, il n’y a pas écrit sur son front mis en quarantaine par arrêté du préfet. »
La proposition d’Alain Milon a reçu des soutiens variés, comme Alain Richard, sénateur LREM, ou Véronique Guillotin, sénatrice médecin, siégeant au groupe RDSE, pour qui la « confiance » et « l’obligation » ne s’opposent pas forcément. Et des approbations dans le groupe LR, comme celui de René-Paul Savary. « À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle », a-t-il expliqué. Tiraillé entre deux présidents de commission de sa famille irréconciliables, Bruno Retailleau a avoué que ce cas de figure ne se reproduisait « pas souvent ».
Le gouvernement s’est opposé, comme Philippe Bas, à l’amendement Milon réclamant la contrainte. Pour des raisons pratiques. Mais aussi pour des questions de libertés individuelles. « Le fait d’assimiler une maladie infectieuse à un régime d’internement, cela pose un certain nombre de questions », a expliqué le ministre de la Santé.
« On n’est pas allé jusqu’à l’introduire dans le texte », assure Olivier Véran, malgré l'existence d'un avant-projet de loi dans lequel figurait la mesure
Mais Olivier Véran a aussi fait savoir qu’il l’avait envisagé. « La question que vous posez, nous nous la sommes posée, on ne va pas se mentir », a-t-il admis. « On n’est pas allé jusqu’à l’introduire dans le texte. La presse s’est fait écho qu’on l’aurait introduit dans le texte, mais je suis bien placé pour vous dire qu’il n’y a pas eu une version du texte qui vous aurait été adressée, qui contiendrait une version comme celle-là (…) à moins que je dise des bêtises, mais je ne crois pas qu’on ait envoyé au Conseil d’État une version bêta contenant cette disposition. »
Les deux présidents de commission, mais aussi la socialiste Laurence Rossignol, ont assuré en séance qu’un avant-projet de loi prévoyait bien, à l'article 2, le cas de refus répété de se soumettre à des prescriptions médicales d’isolement. Ce que confirme également Public Sénat, qui avait publié l’avant-projet de loi en question la semaine dernière.
Une autre justification de ne pas adopter l’isolement par la contrainte, dans des cas différents de la quarantaine à l’arrivée sur le sol français, a été évoquée. « Je crains que cet amendement ne crée un trouble sur le débat de l’article 6 », a expliqué Laurence Rossignol. Ce système d’information pour lutter contre les chaînes d’infection fait l’objet de vives inquiétudes à la chambre haute. La socialiste redoute une liste de patients récalcitrants et des croisements de fichier.
Olivier Véran, a également anticipé le danger qu’aurait fait courir l’isolement par contrainte sur l’article 6, qui sera débattu ce mardi 5 mai, dans l’après-midi. « Je ne voudrais pas qu’à l’article 6, on nous fasse le procès de mettre en place un fichier dont on nous dise ouh là là, avec ce qu’on a voté à l’article 2, maintenant c’est hors de question. »