Haine en ligne : Eric Dupond-Moretti ne veut pas que certains puissent « profiter » de la loi de 1881 sur la liberté de la presse

Haine en ligne : Eric Dupond-Moretti ne veut pas que certains puissent « profiter » de la loi de 1881 sur la liberté de la presse

Lors d’une audition devant les sénateurs, le ministre de la Justice a pu laisser entendre qu’il voulait réviser la loi sur la liberté de la presse pour mieux lutter contre la haine en ligne. « On ne change pas la loi de 1881 » assure après coup son cabinet. L’idée est avant tout de permettre des comparutions immédiates pour les auteurs de propos haineux.
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Evoquer une évolution, même minime, de la loi sur la liberté de la presse de 1881 est toujours un sujet sensible. Mardi soir, lors d’une audition au Sénat, les propos du ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, ont laissé penser que le ministre de la Justice avait cette intention. Ce n’est finalement pas le cas, assure son cabinet. Explications.

« Réguler, au travers de la loi, notamment de 1881, les immixtions de ceux qui ne sont pas journalistes et qui ne méritent pas d’être protégés par cette loi »

Auditionné par la commission des lois du Sénat sur le budget 2021 de la justice, en hausse de 8 % (lire ici), le garde des Sceaux a affirmé plancher sur la lutte contre les propos haineux sur Internet. « J’ai beaucoup travaillé pour tenter d’éradiquer la haine en ligne, qui a abouti à l’assassinat du professeur Samuel Paty, mais pourrit aussi notre pays, souvent en toute impunité » a commencé Eric Dupond-Moretti, avant d’ajouter : « Et nous avons travaillé de ce point de vue là, de façon très précise, pour essayer de réguler, au travers de la loi, notamment de 1881, les immixtions de ceux qui ne sont pas journalistes et qui ne méritent pas d’être protégés par cette loi mais qui viennent, au fond, s’y lover pour diffuser la haine en ligne et bénéficier des protections qui sont dues aux journalistes et aux organes de presse » (voir la vidéo). Le ministre évoque donc bien ici l’idée de « réguler » ce problème via notamment la loi « de 1881 », laissant penser qu’il entend la réviser.

Le 19 octobre, trois jours après l’assassinat de Samuel Paty, le garde des Sceaux avait réuni les procureurs généraux pour travailler sur la lutte contre la menace terroriste. D’après le journal Le Monde, Catherine Champrenault, procureure générale auprès de la cour d’appel de Paris, avait alors proposé au ministre de sortir de la loi de 1881 sur la liberté de la presse les délits d’incitation à la haine, estimant que « nos moyens de poursuite sont entravés par la loi de 1881 ». Selon la magistrate, la loi « ne permet pas de procédure rapide comme la comparution immédiate, ni de mesure de sûreté comme le contrôle judiciaire ou la détention provisoire », alors que « face à des discours de haine susceptibles de provoquer des effets dévastateurs, la justice doit pouvoir agir rapidement ».

« Point d’équilibre » pour « préserver le travail des journalistes, tout en visant la haine en ligne »

Alors la loi sur la liberté de la presse sera-t-elle révisée ? Non, assure ce mercredi soir le cabinet du ministre, suite à la parution de notre article. Pour plancher sur le sujet, Eric Dupond-Moretti a en amont multiplié les rencontres, notamment avec des journalistes ou avocats en droit de la presse, fait-on savoir. Autrement dit, le ministre entend se montrer sensible au travail des journalistes.

Au sein de la loi de 1881, ce sont les articles 23 et 24 qui portent sur les questions liées à l’incitation à la haine. L’option mise sur la table par Catherine Champrenault était de sortir de la loi ces deux articles et de les mettre dans le Code pénal, pour pouvoir juger beaucoup plus rapidement. « Or le ministre ne propose pas ça », assure son entourage. « On ne change pas la loi de 1881, mais on changerait le code de procédure pénal pour prévoir la possibilité d’audience en comparution immédiate » explique-t-on, « on va agir sur les délais sans toucher à la loi », pour ainsi « préserver les journalistes ». Au ministère de la justice, on veut y voir « un point d’équilibre » pour « préserver le travail des journalistes, tout en visant la haine en ligne ». Les articles 23 et 24 resteraient ainsi dans la loi de 1881, tout en rendant possible des comparutions immédiates pour toute personne qui n’est pas journaliste et qui serait susceptible d’être l’auteur d’incitation à la haine sur les réseaux. Cependant, elles se feraient toujours devant la 17e chambre, celle chargée habituellement du droit de la presse.

« Création d’un délit de mise en danger de la vie d’autrui »

C’est le projet de loi contre le séparatisme qui sera le véhicule législatif de ces modifications. Il prévoira « la création d’un délit de mise en danger de la vie d’autrui par divulgation d’informations liées à sa vie personnelle » a expliqué ce mercredi matin, dans Le Figaro, Eric Dupond-Moretti. « Trop de personnes qui n’ont rien à voir avec la presse viennent profiter du bouclier de la loi de 1881 qui protège la liberté d’expression pour distiller des discours en rupture avec les valeurs de la République. Tout en maintenant les protections existantes pour les journalistes, un texte va être communiqué dès aujourd’hui au Conseil d’État afin que soit expertisée la possibilité de permettre la comparution immédiate » ajoute le ministre.

Le texte passera en conseil des ministres « le 9 décembre », a expliqué sur Public Sénat la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, avant un débat parlementaire début 2021. La secrétaire d’Etat « ne doute pas qu’il sera tonique ».

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