Fin de l’opération Sentinelle : « Il faut du courage politique », estime le sénateur Cédric Perrin

Fin de l’opération Sentinelle : « Il faut du courage politique », estime le sénateur Cédric Perrin

Dans un rapport consacré à l’exécution de la loi de programmation militaire, la Cour des comptes propose de soulager l’armée de terre avec la fin de Sentinelle, et imagine un transfert à la police et la gendarmerie. Le sénateur LR Cédric Perrin salue l’ouverture de ce débat, mais redoute l’inertie sur ce dossier.
Guillaume Jacquot

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Il n’est pas rare que des propositions audacieuses se nichent au milieu des rapports de la Cour des comptes. Les magistrats financiers en ont donné un nouvel exemple ce 11 mai, dans une publication faisant le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire (2019-2025). Leurs observations ne manqueront de nourrir le débat public, puisque la loi en question est muette sur la trajectoire financière des crédits de la Défense pour les années 2024 et 2025. Or, depuis son adoption à l’été 2018, bien des choses ont bouleversé le tableau général. La crise sanitaire a fait déraper les comptes publics, et surtout, la Cour s’inquiète de « l’accélération de la montée des menaces avec une multiplication des zones de crise ». Dans ce contexte, « il est donc nécessaire que le ministère des armées exploite davantage les marges de manœuvre qui s’offrent à lui », conseille la rue Cambon.

Conscient des « choix nécessaires » qui se poseront, le rapport formule donc des pistes, y compris celles de « réexaminer le périmètre des activités des armées », notamment sur le plan intérieur, et « d’envisager de se désengager de certaines missions ». La Cour des comptes cite Sentinelle. Lancée en janvier 2015 après les attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hypercacher, cette opération permet de mobiliser 7 000 militaires, dans la durée pour protéger les lieux publics et sites sensibles (700 en 2015). L’effectif peut être porté jusqu’à 10 000 hommes, pendant un mois. Un rapport du Sénat de 2016 notait que dans le cadre du plan Vigipirate, avant 2015, la contribution du ministère de la Défense se limitait à environ 800 militaires.

La mobilisation habituelle de troupes dans l’opération Sentinelle représente au total 10 % des forces opérationnelles terrestres, une « charge lourde pour l’armée de terre », selon la Cour, qui plaide pour une « revue du dispositif ». « L’intervention des armées sur le territoire national, par nature, doit avoir un terme », rappellent les magistrats.

Une opération « qui perturbe » et réduit les cycles d’entraînements de l’armée

Au-delà de la temporalité et de la « doctrine » de l’emploi de forces armées sur le territoire national, la Cour des comptes oppose surtout des arguments pratiques en faveur d’un désengagement de l’armée de l’opération Sentinelle. En 2020, elle s’est chiffrée à 340 millions d’euros. D’une part, 140 millions de surcoûts, au titre des missions de sécurité intérieure, et d’autre part, 200 millions de dépenses en personnel. Indemnités, frais de logement, logistique : même si Sentinelle reste loin de la facture des Opex (de l’ordre 1,4 milliard d’euros), elle est loin d’être indolore. Avec cette approche budgétaire, la Cour est dans son rôle habituel.

Il y a surtout un inconvénient « majeur », selon elle, à une période où le risque d’escalade militaire progresse dangereusement en Europe : celui de « perturber le cycle d’entraînement des militaires ». Pour le sénateur LR Cédric Perrin, vice-Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le grand défaut de Sentinelle est avant tout tactique, bien avant d’être budgétaire. « Il y a un vrai sujet. Nos militaires doivent être consacrés à s’entraîner, pour d’éventuels conflits de haute intensité. C’est la vraie problématique. Si les Russes en sont là aujourd’hui, c’est qu’ils ne sont pas entraînés », note le sénateur du Territoire de Belfort. Le parlementaire plaide pour une « mise en sommeil » de Sentinelle. « On garde un dispositif mobilisable, et s’il y a des difficultés, on peut relever le niveau », propose-t-il.

Régulièrement, les rapports sénatoriaux imputent à Sentinelle une dégradation dans l’entraînement des troupes français. Un rapport d’information de fin 2021, rédigé par Olivier Cigolotti (Union centriste) et Michelle Gréaume (PCF) détaille cette tendance. « Pour l’armée de terre, depuis le déploiement de Sentinelle, la cible de 90 jours de préparation opérationnelle par militaire n’a plus été atteinte. Réduite à 72 en 2016, elle est remontée à 81 jours en 2017 mais aucun progrès n’a été constaté jusqu’en 2020. Cette stagnation perdurera encore en 2021 ».

En 2019, un rapport publié en prévision de l’examen du projet de loi de finances, a également pointé le risque pour la disponibilité de l’équipement de l’armée. « La disponibilité des chars Leclerc souffre de l’engagement du personnel en charge de sa maintenance sur l’opération Sentinelle », écrivaient Jean-Marie Bockel (Union centriste) et Christine Prunaud (PCF).

Tout au long du quinquennat, plusieurs sénateurs se sont interrogés sur la pertinence ou la pérennisation de l’opération Sentinelle dans son cadre actuel. En 2018, Édouard Courtial (LR) a estimé que l’opération éloignait les militaires de leur « vocation première ». « Ne faut-il pas alors repenser complètement le système et clarifier la situation afin de savoir si nos armées doivent se concentrer sur les opérations extérieures ou assurer la sécurité intérieure ? » demandait également Sylvie Goy-Chavent (LR) en 2017, face à la ministre des Armées.

« Je pense que personne ne veut revenir dessus, par peur d’un incident »

Quelle que soit l’alternative au dispositif, Cédric Perrin souhaite que le débat soit « tranché » et se dit donc « content que la Cour des comptes mette les pieds dans le plat ». Il n’ignore cependant pas que la Cour des comptes s’attaque à un symbole de la sécurité depuis 2015. « Le vrai problème, c’est qu’il faut du courage politique. Je pense que personne ne veut revenir dessus, par peur d’un incident qui pourrait intervenir le lendemain ». François Hollande l’a appris à ses dépens. Le 14 juillet 2016, à la mi-journée, le président de la République donnait sa traditionnelle interview à l’Élysée. Une annonce : l’allègement de Sentinelle, après la fin du Tour de France. Le soir même, Nice était frappée par un attentat islamiste, ouvrant la voie à une prolongation de l’état d’urgence et des moyens militaires déployés dans les rues de France. Les militaires de Sentinelle ont même parfois servi de cibles aux terroristes, comme au Carrousel du Louvre le 3 février 2017, ou encore à l’aérogare d’Orly, le 18 mars 2017.

Si la Cour des comptes pousse au désengagement des militaires, elle n’appelle pour autant pas à une disparition de l’opération Sentinelle. Elle suggère ainsi « la possibilité de son éventuel transfert vers les forces normalement chargées de la sécurité intérieure, selon des modalités faisant intervenir les réservistes de ces forces ». Une solution que partage le sénateur Cédric Perrin. « On doit s’organiser différemment, travailler avec les forces de sécurité intérieures. Ce n’est pas le rôle de l’armée de faire ce genre de choses. Chacun son métier. » Pour lui, Sentinelle est psychologique. « L’opération sert à rassurer la population, c’est de la communication. »

Dans un rapport de 2016, préfigurant les réflexions autour de la Garde nationale, l’ancien sénateur Jean-Marie Bockel notait que seulement 400 réservistes participaient à Sentinelle, soit « 4 à 6 %, tout au plus, des 7 000 à 10 000 militaires déployés au quotidien dans ce cadre ». Actuellement, pour la seule partie des forces de sécurité intérieures, on relève 30 000 hommes dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, et 7 000 dans la réserve civile volontaire de la Police nationale.

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