Etat d’urgence : « Rendre le Parlement invisible à ce point est quelque chose d’inquiétant »

Etat d’urgence : « Rendre le Parlement invisible à ce point est quelque chose d’inquiétant »

Après le vote surprise des députés pour fixer la fin de l’état d’urgence au 14 décembre, le ministre de la Santé compte revenir sur ce vote. Députés comme sénateurs souhaitent que le Parlement puisse se prononcer plus souvent. Un contrôle « dont le gouvernement veut être dispensé pour les six prochains mois » dénonce le sénateur LR Philippe Bas.
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Imbroglio et camouflet au Parlement. La séance, hier soir, à l’Assemblée nationale, a été marquée par plusieurs surprises et une grosse colère du ministre de la Santé, Olivier Véran, qui est sorti de ses gonds. Les députés LR ont en effet réussi à faire adopter de peu un amendement qui ramène la fin de l’état d’urgence sanitaire au 14 décembre, contre le 16 février dans le texte du gouvernement. Autre amendement de l’opposition, adopté : un prolongement du confinement au-delà du 30 novembre ne pourra se faire qu’avec l’accord du Parlement.

Des votes acquis en raison d’une trop faible mobilisation des députés LREM dans l’hémicycle hier soir… Avec leurs alliés du Modem, ils ont pourtant la majorité au Palais Bourbon. Face à cette situation ubuesque, Olivier Véran, qui n’était pas présent dans un premier temps, est ensuite arrivé aux bancs des ministres. Le ministre de la Santé s’est emporté contre les députés LR, rappelant la gravité de la situation à l’hôpital, alors que les deux dernières journées ont comptabilisé plus de 400 morts liés au Covid chacune (voir à 1’51 dans la vidéo).

Suite à l’adoption surprise des amendements, le ministre a finalement décidé de recourir au vote réservé. Cet élément de la procédure parlementaire, propre au règlement de l’Assemblée, permet de réserver les votes sur l'ensemble du texte et des amendements. Un seul vote aura ainsi lieu à la fin, sur les seuls amendements choisis par le gouvernement, comme l’explique LCP-AN. Une manière de revenir sur le texte d’origine, comme si les votes de la nuit dernière n’avaient pas eu lieu…

L’attitude des oppositions, qui pointent aussi la fermeture des petits commerces, a été évoquée par Emmanuel Macron, ce matin, en Conseil des ministres. « Le président de la République assume sa politique et demande aux ministres la plus grande fermeté par rapport à une situation incompréhensible de la part de certains élus » rapporte un ministre. Après la colère d’Olivier Véran en séance, « il y a un moment, les ministres ont le droit de s’émouvoir de la prise de position d’un certain nombre d’élus de l’opposition » estime le même membre du gouvernement, qui ajoute :

On pourrait s’attendre, même si on est dans l’opposition, à une espèce de sobriété et une prise de conscience de la difficulté dans laquelle nous sommes. (un ministre)

Dans l’idée, le vote des députés rejoint celui des sénateurs, la semaine dernière, lors de l’examen du projet de loi sur l’état d’urgence. En somme, les sénateurs en avaient rêvé et l’avaient même voté. Les députés ont fait de même. Car il s’agit de demander de repasser par un vote de la représentation démocratique pour prolonger l’état d’urgence. Les sénateurs avaient ainsi prévu un nouveau vote, en cas de prolongation du confinement au-delà du 8 décembre. Ils avaient fixé la fin de l’état d’urgence sanitaire au 31 janvier.

« Les principes de la démocratie doivent d’autant plus être respectés, que les libertés des Français sont fortement restreintes »

Le rapporteur du texte au Sénat, le sénateur LR Philippe Bas, ne peut que saluer le vote des députés. « Les amendements adoptés par l’Assemblée nationale cette nuit vont dans le sens du maintien du contrôle parlementaire exercé depuis mars dernier et dont le gouvernement veut être dispensé pour les six prochains mois » réagit l’ancien président de la commission des lois du Sénat auprès de publicsenat.fr. Vendredi dernier, il accusait déjà le gouvernement de vouloir « des pouvoirs spéciaux pendant 6 mois, sans passer devant le Parlement ».

« Il faut qu’Olivier Véran, qui a été député, comprenne bien que ce n’est pas seulement en culpabilisant les parlementaires qu’il arrivera à faire passer ses messages. Et la question des délais est essentielle. On ne peut imaginer qu’on ne débatte pas d’une nouvelle prolongation du confinement » souligne de son côté le sénateur centriste Loïc Hervé. Regardez :

L.Hervé : "On ne peut pas imaginer qu’on ne débatte pas d’une nouvelle prolongation du confinement"
01:58

« Ce n’est pas un beau spectacle que nous avons vu. (…) Un ministre n’a pas à réagir de cette façon, même si la situation n’est pas simple. (…) Le gouvernement a fait le choix de décider seul sans associer l’ensemble des groupes parlementaires. (…) Il y a une vraie question sur le délai de prolongation de l’état d’urgence » estime Cécile Cukierman, sénatrice PCF. Regardez :

« Je comprends que les députés En Marche ne se soient pas mobilisés pour défendre l’indéfendable : les principes de la démocratie doivent d’autant plus être respectés, que les libertés des Français sont fortement restreintes pour arrêter la dissémination du virus. Et l’échec auquel les autorités sanitaires sont confrontées actuellement rend plus encore nécessaire un contrôle étroit du Parlement sur le gouvernement. La vigilance est le corollaire de la responsabilité » ajoute Philippe Bas.

Quant à la colère et les mots d’Olivier Véran, celui qui est maintenant Questeur du Sénat juge « inutile de revenir sur le comportement du ministre. On comprend qu’il soit harassé car il est en première ligne, mais cela n’excuse pas le manque de respect pour la représentation nationale, qui a constamment fait preuve d’un grand esprit de responsabilité en accordant à quatre reprises en sept mois les pouvoirs exceptionnels demandés par le gouvernement pour combattre l’épidémie. Cette action se révèle d’une efficacité malheureusement inégale, qui sera évaluée par nos commissions d’enquête en vue de proposer de meilleures pratiques à l’avenir » souligne Philippe Bas.

« Il y a une espèce de bunkérisation »

La sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, qui suit le texte pour son groupe, s’étonne pour sa part de « l’énervement tout à fait incroyable d’Olivier Véran. Il a dit à des députés, dans l’hémicycle, "sortez d’ici" ! Je pense qu’il n’a plus le recul nécessaire ». Quant « aux arguties de procédure », la sénatrice PS de Paris ne les apprécie pas plus :

La réserve du vote, c’est la négation du Parlement poussée à son extrême. (Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice PS)

« Rendre le Parlement invisible à ce point est quelque chose qui est inquiétant » ajoute la sénatrice, sans pour autant souhaiter la suppression de ces éléments de procédure. « C’est la Ve République, c’est le parlementarisme rationalisé. C’est comme au foot, au bout du bout, ce sont les Allemands qui gagnent. Donc au bout, c’est la majorité qui gagne » lance-t-elle. Autrement dit, « c’est le fait majoritaire. Et en sens, le Parlement n’est pas dépossédé. Mais ce qui est choquant, c’est que ce soit utilisé dans ces circonstances, alors qu’on parle du besoin d’unité nationale ».

Ce qui frappe la sénatrice, « c’est qu’au fond, il y a une impossibilité de la part de la majorité et du gouvernement à entendre. Il y a une espèce de bunkérisation. Ils sont obsédés par la situation sanitaire, persuadés que leur réponse est bonne, et alors que ça dysfonctionne dans tous les champs, commerces, lycées. Pour autant, ils restent droits dans leurs bottes » souligne Marie-Pierre de la Gontrie. Elle continue : « C’est très étrange que cette majorité considère qu’il faut faire confiance au gouvernement, et que le Parlement se dépossède de son rôle institutionnel ».

Le contexte « rappelle les gilets jaunes »

Comme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, interrogé hier par publicsenat.fr, Marie-Pierre de la Gontrie s’inquiète plus globalement du contexte et des tensions. « Ça rappelle les gilets jaunes, ça rappelle les 80 km/h. Emmanuel Macron devrait reprendre la main. Pourquoi ne s’appuie-t-il pas sur les parlementaires ? On est d’accord sur le principe du confinement » souligne la socialiste, mais entre des gens qui vont encore travailler, les écoles ouvertes et les commerces fermés, « personne n’y comprend rien ».

Pour l’heure, le calendrier parlementaire est bousculé. La réunion de la commission des lois du Sénat, qui devait examiner cet après-midi le texte en nouvelle lecture, est reportée, à demain 14 heures. Mais tout dépend des députés, qui devraient terminer l’examen ce soir. La séance prévue au Sénat jeudi à 15 heures est aussi reportée le même jour, à 19 heures.

Une chose est sûre : le décret pris pour instaurer l’état d’urgence sanitaire, valable un mois, prendra fin le 17 novembre. Pour le prolonger, le Parlement devra donc adopter le texte avant, en laissant une marge de quelques jours en cas de saisine du Conseil constitutionnel par des parlementaires. L’exécutif reste pour le moment dans les temps.

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