« C’est franchement un jour de joie pour la création, pour les créateurs. C’est un combat qui a duré des années (…) C’est historique ». Le 26 mars dernier, le vice-président socialiste du Sénat, David Assouline ne cachait pas sa joie. Le Parlement européen venait d’adopter la directive sur le droit d’auteur et sa déclinaison pour les entreprises de presse : les droits voisins. Cette disposition vise à aider les éditeurs de presse à se faire rémunérer par les plateformes en ligne (Google, Yahoo…), pour la reprise de leurs contenus, une façon de compenser l'effondrement de leurs recettes publicitaires traditionnelles. Un droit, « voisin », donc, du droit d’auteur pour les organes de presse qui voient leurs contenus réutilisés gratuitement par les moteurs de recherche.
Le Sénat en avance sur les droits voisins
Le Sénat avait anticipé cette directive en adoptant en janvier dernier la proposition de loi de David Assouline « tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse ». Le texte a été définitivement adopté en par le Parlement français en juillet. Le texte entre en vigueur ce jeudi ce qui fait de la France, le premier pays de l’Union européenne à transposer cette directive dans le droit national.
Entre 30% et 40% de trafic en moins
Mais voilà, avant même son application, Google a fait savoir son intention de refuser toute négociation avec la presse française concernant la rémunération de ses contenus. Mais pour rester dans les clous, le géant américain a décidé de s’appuyer sur les subtilités de la directive. Concrètement, depuis octobre, le moteur de recherche n’affiche plus les « snippets » des articles de presse, ces très courts extraits dans le moteur de recherche qui « se substituent à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer » comme l’indique l’article 2 de la loi française sur les droits voisins.
En lieu et place de ces courts extraits, Google n’affiche désormais que le seul le titre (parfois incomplet) et un lien. Pour conserver le même système d’affichage, les éditeurs de presse sont donc dans l’obligation de procéder à des modifications techniques pour rester visibles et par conséquent accepter l’utilisation gratuite de leurs contenus dans le moteur de recherche de Google. Ne plus être référencé que par un titre et un lien représenterait une perte de trafic estimé, par les éditeurs de presse, entre 30 et 40%.
Ce matin, jour de l’application de la loi, l’ensemble de la presse française a décidé de marquer le coup en décidant de porter plainte devant l'Autorité de la concurrence. L'Alliance de la presse d'information générale et d'autres organisations dont le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et la Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS) donnaient une conférence de presse à cette occasion.
« Nous n’avons pas peur de ce combat »
« Nous sommes révoltés. Nous voulons dénoncer cet abus de position dominante car 90% des usagers de la presse passent par Google. Ils nous mettent dans une position ou soit nous acceptons leurs conditions, soit nous sommes privés de nos droits voisins. Ils savent qu’on ne peut pas se passer d’eux. Or, nul n’est au-dessus des lois dans un état démocratique. Nous n’avons pas peur de ce combat. Toute la presse française était unie ce matin » explique Jean-Michel Baylet, ancien sénateur, patron de la Dépêche du Midi et président de l'Alliance de la presse d'information générale (principale organisation du secteur).
Franck Riester dénonce une « relation déséquilibrée »
« Qu'une entreprise soit, à elle seule, en mesure d'imposer unilatéralement une relation aussi déséquilibrée montre que la situation actuelle soulève des problèmes concurrentiels majeurs », a estimé le ministre de la Culture Franck Riester, dans un communiqué avant de prévenir : « les pouvoirs publics devront envisager une évolution des règles concurrentielles applicables si elles ne permettent pas d'empêcher un tel état de fait ».
Contacté par l’AFP, Google a rejeté les arguments de la presse française. « Google aide les internautes à trouver des contenus d'actualité auprès de nombreuses sources et les résultats sont toujours basés sur la pertinence, non sur des accords commerciaux ». « La loi n'imposait pas une rémunération pour l'affichage de liens, et les éditeurs de presse Européens tirent déjà une valeur significative des 8 milliards de visites qu'ils reçoivent chaque mois des internautes qui font des requêtes sur Google » a estimé un porte-parole du groupe.