Cyberharcèlement : « les enfants reproduisent ce qu’ils observent chez les adultes » juge la Défenseure des droits

Cyberharcèlement : « les enfants reproduisent ce qu’ils observent chez les adultes » juge la Défenseure des droits

Auditionnée par la mission d’information sur le cyberharcèlement et le harcèlement scolaire, Claire Hédon a notamment pointé du doigt les lacunes dans le recueil de la parole des victimes au sein de l’éducation nationale.
Public Sénat

Par Jules Fresard

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« Nous avons tous les outils qu’il faut pour lutter contre le cyberharcèlement et le harcèlement scolaire. Le problème que l’on a, c’est les moyens que l’on se donne pour les appliquer ». Tel est le constat dressé par Claire Hédon, Défenseure des droits depuis un an. Elle était auditionnée jeudi 1er juillet par la mission d’information sur le cyberharcèlement, qui continue à un rythme soutenu ses auditions. Hier, elle a entendu des acteurs du numérique proposant des outils pour lutter contre le cyberharcèlement, à l’image de l’application Bodyguard.

Accompagnée par le Défenseur des enfants Éric Delemar, Claire Hédon a tenu à rappeler devant les sénateurs qu’une des « priorités de mon mandat concerne l’accès des enfants à leurs droits. Et notamment la lutte contre le harcèlement scolaire, qui peut avoir des conséquences lourdes, pour la santé mentale des jeunes, concernant l’absentéisme… ». Et de rappeler que « le droit à une scolarité sans harcèlement est consacré depuis 2019, avec la loi sur l’école de la confiance ».

Mais malgré cette inscription dans les textes, la réalité fait état d’une massification du phénomène. « Nous continuons d’être saisi d’enfants victimes de harcèlement. Depuis le début de l’année, 37 cas nous ont été remontés ». Un chiffre limité, cachant un phénomène beaucoup plus massif. « Le harcèlement scolaire concerne 700 000 élèves sur les 12 millions que compte la France » a précisé le Défenseur des enfants. Poussant la Défenseure des droits à appeler à un changement de paradigme global dans l’appréhension de cette problématique, qui n’arrive pas à se résorber malgré les très nombreux textes la concernant.

Un lien ténu entre harcèlement scolaire et cyberharcèlement

Et premier constat, celui que harcèlement scolaire et cyberharcèlement des jeunes ne peuvent être dissociés. « Les saisines que nous avons reçues font toujours état de harcèlement scolaire, qui ensuite migre sur les réseaux sociaux. On observe ainsi que cela démarre à l’école » a détaillé Claire Hédon, la poussant à estimer qu’une lutte plus efficace doit se faire au niveau de l’éducation nationale.

Car comme la Défenseure des droits l’a rappelé, bien que de nombreux textes viennent établir la responsabilité des directeurs d’école et instituteurs, des lacunes persistent dans leur appréhension du problème. « Les équipes pédagogiques peinent à saisir l’ampleur du phénomène, qui est encore trop souvent vu comme des chamailleries. Et quand on réagit, on cherche bien souvent la responsabilité de l’enfant victime » a-t-elle établi. « Certaines autorités ne se saisissent pas des outils à leur disposition ».

« Il faut une approche éducative globale, accentuer la formation des professionnels… Cela est fondamental pour prendre en compte la parole des enfants » a jugé Claire Hédon. Une lutte à accentuer à l’échelle scolaire donc, d’autant que « la qualité du climat scolaire influence les relations entre les élèves. Le harcèlement est plus fort dans les écoles défavorisées par exemple ».

La problématique de la prise de parole

Une lutte à renforcer dans le milieu scolaire, qui de par son organisation même ne favorise pas la prise de parole des victimes. Un point évoqué par le sénateur LR du Doubs Jacques Grosperrin, qui s’est interrogé durant l’audition sur « des pistes pour libérer davantage la parole ». « Certains enfants ne disent pas quand ils sont harcelés ». Il a ainsi proposé l’instauration « de moments solennels, où les enfants se retrouvent, un temps de discussion. Pour mieux repérer les cas de harcèlement ».

Un point défendu par le Défenseur des enfants Éric Belemar. « En maternelle, les enfants sont installés en U. Ils prennent la parole devant tout le monde beaucoup plus librement. Mais quand ils arrivent en primaire, ils passent les uns derrière les autres. Vous commencez à voir apparaître des tics, la honte de s’exprimer, d’autant plus si le contexte familial ne favorise pas la prise de parole ». Il appelle donc à « tout de suite permettre aux enfants de s’exprimer devant tout le monde. Prendre en compte cette temporalité, que nous, adulte, ne considérons pas. Ce n’est jamais le temps d’écouter les enfants ».

Une recommandation qui a fait réagir la sénatrice socialiste Claudine Lepage. « Peut-être que l’instauration du grand oral constitue le début de l’arrivée de cette pratique. Dans le monde anglo-saxon, les enfants apprennent dès leur plus jeune âge à s’exprimer devant leurs pairs. C’est une étape importante à franchir ». Un manque d’apprentissage à la prise de parole en public dans le système français, qui ne favoriserait donc pas la prise de parole des enfants victimes de harcèlement. Lors de son audition il y a deux semaines au Sénat, Pierre Mathiot, l’architecte de la nouvelle réforme du bac, avait regretté qu’en France « on a un véritable problème de préparation à l’oral ».

Un mimétisme des comportements adultes

Une difficulté dans le recueil de la parole des victimes, qui vient se coupler à la reproduction des comportements observés chez les adultes. Selon Claire Hédon, il y a un problème de « violence des adultes entre eux. Ce qui se passe en termes de cyberharcèlement est une reproduction de la part des enfants de ce qu’ils observent chez leurs aînés ». « Il faut s’interroger sur la violence en général sur les réseaux sociaux, les enfants ne font que reproduire ce que font les adultes ». Elle estime que ce point « devrait être la base » de la lutte contre le harcèlement chez les plus jeunes.

« Il y a la question de la sensibilisation des parents » a ainsi jugé la sénatrice LR de Paris Céline Boulay-Espéronnier. En soulignant qu’« aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, on a érigé l’insulte en liberté d’expression. Et les enfants, cela ne leur a pas échappé ».

Une audition qui s’est donc soldée sur un constat clair. La question du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement qui en découle ne se réglera pas avec des mesures de niche. Mais nécessite au contraire une réflexion plus profonde sur le fonctionnement du système éducatif français et de l’attitude des adultes sur les réseaux sociaux.

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