Le « Make our planet great again » a du plomb dans l’aile. Jeudi, le Conseil d’Etat a rendu une décision peu flatteuse concernant l’action du gouvernement en matière de réduction des émissions de gaz à effets de serre. La veille, c’était le Haut conseil pour le climat qui remettait un rapport non moins sévère estimant lui aussi que « les efforts actuels sont insuffisants pour garantir l’atteinte des objectifs de 2030 ».
Dans sa décision, la plus haute juridiction administrative enjoint l’Etat « de prendre des mesures supplémentaires d’ici le 31 mars 2022 pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030 ». Un objectif que l’Etat s’est lui-même fixé dans le cadre des accords de Paris de 2015.
« La stratégie nationale prévoit une diminution des émissions de 12 % pour la période 2024-2028 contre seulement 6 % entre 2019 et 2023 (…) cet objectif de réduction de 12 % ne pourra être atteint si de nouvelles mesures ne sont pas adoptées à court terme », écrit le juge administratif suprême. A noter que cette décision ne prend pas en compte les mesures prévues par le projet de loi « Climat et résilience ».
« Il y a un enjeu de cohérence avec cette décision »
« Les juridictions ont intégré ces évolutions et c’est une vraie évolution », se réjouit le sénateur écologiste, Ronan Dantec. « Il y a un enjeu de cohérence avec cette décision, la question maintenant c’est est-ce que la loi Climat revient en seconde lecture avec des propositions réévaluées », veut croire le sénateur de la Loire-Atlantique.
Le groupe Écologiste – Solidarités et Territoires avait présenté son propre projet de loi alternatif, rappelle Ronan Dantec. Un texte qui aurait permis de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, conformément à l’accord entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne en avril 2021 qui avait relevé les exigences de baisses des émissions. Le scénario d’une deuxième lecture de la loi Climat reste néanmoins peu envisageable. Le Sénat - majoritairement à droite - vient cette semaine de voter une version largement remaniée du projet de loi Climat et résilience. Une commission mixte paritaire doit désormais se pencher sur ce texte.
« L’Etat est mis face à ses responsabilités »
« L’Etat est mis face à ses responsabilités », constate, moins enthousiaste, le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard. « On n’est pas sur la bonne trajectoire, c’est particulièrement préoccupant et frustrant parce qu’on a toutes les solutions. C’est impensable qu’on ne puisse pas agir », souffle l’élu de l’Isère. Rappelant la hausse brutale des températures au Canada actuellement et les morts subites que cette canicule a provoquées, le sénateur pose la question de la responsabilité de l’Etat : « Si on n’agit pas, on ne protège pas les populations et c’est le rôle de l’Etat ! ».
A l’inverse, la rapporteure du projet de loi Climat, Anne-Catherine Loisier (LR), est davantage « interloquée » par cette décision et pose la question de l’expertise sur laquelle elle repose : « Nous, parlementaires, n’arrivons pas à avoir des éléments aussi précis sur les émissions de gaz à effet de serre. Quelles différences font-ils entre les émissions émises par la France et celles importées ? », interroge-t-elle.
La décision du Conseil d’Etat repose sur les éléments transmis par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Haut conseil pour le climat. La décision du Conseil d’Etat ne concerne, par ailleurs, que les émissions émises sur le territoire national, ce qui constitue effectivement un point de discorde au vu des dégâts causés par les importations engendrant de fortes émissions de gaz à effet de serre à l’étranger, comme en Amérique du Sud.
« J’espère que cette décision n’est pas fondée sur des sentiments »
« C’est une bonne chose que le Conseil d’Etat soit vigilant sur cet enjeu, par contre j’espère que cette décision n’est pas fondée sur des sentiments ou sur une pression sociétale », commente aussi Anne-Catherine Loisier (LR). La sénatrice de la Côte-d’Or rappelle que cette décision fait suite au recours de la commune de Grande-Synthe qui voit son trait de côte augmenter d’année en année, « il ne faudrait pas faire croire qu’avec de telles injonctions, un phénomène comme la montée des eaux puisse être neutralisé ».
Avocat et professeur associé à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Arnaud Gossement, relativise la portée de cette décision et les interprétations qui en sont faites d’un côté comme de l’autre. « Cet arrêt n’est ni symbolique ni historique. D’une part, il n’est pas rare que le Conseil d’Etat rappelle l’État à ses engagements. D’autre part, le Conseil d’Etat se borne à dire qu’il faut prendre des mesures utiles, sans en définir le contour », rappelle-t-il.
Le Conseil d’Etat répond donc à une question simple : « Les mesures que l’Etat a mises en place pour respecter la trajectoire qu’il s’est fixée sont-elles suffisantes ? La réponse est non. » Arnaud Gossement insiste également sur le fait que la haute juridiction administrative « n’est pas sortie de son rôle, elle rappelle le droit et c’est tout ».
Le Conseil d’Etat sera amené à se prononcer à nouveau dans neuf mois sur l’action du gouvernement en matière de réduction des gaz effet de serre. « Il est probable que le juge se borne à prendre acte des mesures prises par l’Etat », prévient Arnaud Gossement.