Le Sénat a adopté (219 voix pour, 93 contre), lors d’un vote solennel, l’ensemble projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, dont l’examen en première lecture a eu lieu du 3 au 7 juin. Les groupes socialiste et communiste ont voté contre le texte. Certains sénateurs de la majorité sénatoriale ont également manifesté leur mécontentement face à un texte qui manque, selon eux, d'ambition dans la lutte contre les déserts médicaux. On compte ainsi 13 abstentions et 7 votes contre dans le groupe LR, mais également 5 abstentions dans le groupe de l'Union centriste.
Pour l’exécutif, cette réforme vise « à faire émerger un système de santé mieux organisé dans les territoires » et à « renforcer l’accès aux soins », à travers des « coopérations entre les acteurs et les métiers de la santé » par exemple. Beaucoup de décisions et de réponses – dans les ressources humaines, notamment – sont attendues en dehors du cadre législatif. La stratégie du gouvernement (Ma santé 2022) s’appuie en effet sur des décrets. La commission des Affaires sociales du Sénat, présidée par le sénateur LR Alain Milon a regretté « un cadre général d’orientations » plutôt qu’une « réforme structurante ». Dans l’ensemble, les divergences entre les deux versions ne semblent pas insurmontables dans la perspective d’un éventuel accord entre sénateurs et députés. La commission mixte paritaire devrait se tenir le 20 juin.
Baisse de charges pour les jeunes médecins
Un apport notable distingue toutefois le texte, amendé la semaine dernière, de celui transmis par l’Assemblée nationale. Les sénateurs ont inséré un nouvel article mettant en place une exonération de cotisations sociales incitative à l'installation rapide des jeunes médecins. Le dispositif, auquel le gouvernement s’est opposé, ne s’appliquerait pas dans les zones surdotées en professionnels de santé.
En toute fin d’examen du projet de loi, le vendredi 7 juin, le Sénat avait également adopté de justesse – et à la surprise générale, car la droite majoritaire était sous-représentée – un amendement soutenu par Laurence Rossignol (PS) allongeant de 12 à 14 semaines le délai légal pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse (IVG). La ministre Agnès Buzyn n’était pas favorable à cette modification. Finalement, au cours d'une seconde délibération, l'article a été retiré.
Pour le reste, le texte, écrit sous la plume du gouvernement et de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, n’a pas été bouleversé dans les grandes lignes. Comme lors de l’examen en commission des Affaires sociales, le Sénat a privilégié des mécanismes pour inciter les jeunes médecins à s’installer durablement dans un territoire en manque de cabinets, plutôt que d’avoir recours à une forme de coercition, souvent sans effet, voire contreproductive. Le gouvernement était sur la même ligne. Les débats en hémicycle se sont parfois tendus sur ce thème.
Les jeunes internes déployés en priorité dans les déserts médicaux pour leur dernière année
Pour combattre le phénomène des déserts médicaux, les sénateurs ont axé l’essentiel de leurs armes sur la formation. L’inflexion majeure de leur texte reste la transformation de la dernière année du troisième cycle de médecine générale (et d’autres spécialisées définies par décret) en une année de pratique, en ambulatoire (donc hors hôpital) et en autonomie. Celle-ci aurait lieu en priorité dans les zones sous-dotées. L’amendement a été soutenu par la quasi-majorité des groupes, y compris LREM, malgré l’avis défavorable du gouvernement. Mais il a déclenché la colère des syndicats d’étudiants en médecine.
Autre modification sénatoriale : pour déterminer le nombre d’étudiants aptes à être accueillis en 2e et 3e années de premier cycle dans les études de médecine, le critère des besoins de santé d’un territoire l’emportera sur la capacité d’accueil des facultés. L’ambition d’une répartition « équilibrée » des professionnels de santé sera d’ailleurs intégrée parmi les objectifs généraux des formations de santé. De même, la lutte contre les inégalités territoriales devra faire l’objet d’une négociation dans le cadre de la convention nationale qui régit les liens entre les médecins et l’Assurance maladie.
Hôpitaux de proximité, activités de soins : des ordonnances critiquées mais finalement acceptées
Regrettant le recours aux ordonnances, les sénateurs ont malgré tout accordé les habilitations au gouvernement. Ils ont ainsi habilité le gouvernement à légiférer par ordonnance sur les missions et l'organisation des « hôpitaux de proximité ». Certains voulaient inscrire dans le texte l‘obligation d’un maintien d’un service d’urgences et de petite chirurgie, ils n’ont pas obtenu gain de cause. En revanche, ils ont intégré la télésanté comme « mission pleine et entière des hôpitaux de proximité́ ».
L’article habilitant le gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer le régime des autorisations des activités de soins, qui aura une conséquence sur la façon dont est répartie l’offre sur le territoire, a lui aussi été maintenu dans le texte au Sénat. Afin de redonner de l’attractivité aux carrières hospitalières, l’habilitation à réformer par ordonnance les conditions de recrutement des praticiens, et à créer un statut unique, a été accordé.
Au cours de leurs travaux, le Sénat a cherché à coller au plus près des besoins du terrain, en matière d’organisation des acteurs de la santé. Pour les groupements hospitaliers de territoire (GHT), il a préféré la démarche de soutien aux dynamiques locales, plutôt que des « schémas homogènes imposés à tous ». Pour la structuration des soins de ville, la Haute assemblée a également soutenu le principe d’une « plus grande souplesse ». La coordination des professionnels, ainsi que le renforcement des liens entre l’hôpital et la ville est l’une des ambitions majeures de la réforme.
La délégation des tâches, pour soulager l'emploi du temps des médecins, figure toujours sur le texte sorti du Sénat. Par exemple, les pharmaciens pourront délivrer certains médicaments, d'ordinaire prescrits sur ordonnance médicale.
Un appui numérique validé par le Sénat, qui veut accélérer sur l’espace numérique de santé
En matière de numérique, les sénateurs ont donné leur feu vert à l’élargissement des données de santé centralisées dans une base de données nationale, à des fins de recherche, censée améliorer la prise en charge des Français. Ils ont voulu accélérer la généralisation du dossier médical partagé et de l’espace numérique de santé, qui sera ouvert aux bénéficiaires de l’Assurance maladie.
Mesure phare du projet de loi, la fin du numerus clausus dès 2020, et fin du PACES (première année commune aux études de santé), préalables à une hausse de médecins formés d'ici 10 ans, ont été entérinées par le Sénat.
Véritable angle mort des discussions parlementaires en mars à l’Assemblée nationale, et en juin au Sénat, la question des moyens accordés à la santé, et à l’hôpital, est renvoyée au prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, cet automne.