C’est un chantier qui devrait durer plusieurs années, avec à la clef des économies substantielles : 6 milliards d’euros par an. Soit le coût des fraudes à la carte Vitale, selon Philippe Mouiller, sénateur (LR) des Deux-Sèvres.
C’est son amendement qui a été adopté lors de l’examen du projet de budget rectificatif 2022, début août. Une enveloppe de 20 millions d’euros destinée à rénover la carte Vitale en la rendant biométrique.
« Il faut s’assurer que le porteur de la carte vitale est bien la personne soignée », Philippe Mouiller, sénateur (LR)
Sur le principe, rien de compliqué, « on rajoute une donnée supplémentaire qui est l’empreinte digitale », explique l’élu des Deux-Sèvres, « pour être sûr que le porteur de la carte est bien la personne soignée ».
Un niveau de certitude qui demeure à un horizon encore lointain. « Les 20 millions d’euros votés vont nous permettre de développer le principe et d’établir un cahier des charges, explique le sénateur. Il faudra ensuite une année de cadrage technique plus les tests. Ça prendra plusieurs années ».
Un chantier immense et coûteux. A 6 euros la carte Vitale biométrique pour 58 millions d’assurés, on arrive à un montant « de l’ordre de 350 millions d’euros. Qui ne seront payés qu’une seule fois contre des milliards d’euros de fraudes tous les ans », se réjouit Philippe Mouiller.
Des professionnels de santé dubitatifs
Une satisfaction que ne partagent par les professionnels de santé. Concernés au premier chef par ce possible progrès technique, ils oscillent entre hostilité et perplexité.
Pour Agnès Giannotti présidente de MG France, premier syndicat de médecins généralistes, « la fraude sociale est souvent mise au premier plan alors que l'essentiel du problème n'est pas là, il est dans le ciblage de la pertinence des dépenses de santé », précise-t-elle à l’AFP.
Du côté de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo), on craint une embolie du système. « On est tous pour lutter contre la fraude mais s’il y a de la biométrie et qu’il faut vérifier les empreintes, ce sera difficile ».
« En 30 ans de pratique, je n’ai jamais vu de fraude à la carte Vitale », avoue Philippe Besset, président de la Fédération des pharmaciens d’officine (FSPF). Selon lui, c’est contre les réseaux organisés qu’il faut lutter, « une fraude qui concerne les fausses ordonnances pour des médicaments très chers qui sont ensuite exportés ». Des pratiques qui concernent des médecins prescripteurs et des pharmaciens complices.
« C'est de l'affichage politique »
Un fléau contre lequel ne peut rien faire la carte Vitale biométrique assure le pharmacien pour qui « on se trompe de réponse à un vrai combat ».
D’autant qu’une autre révolution numérique est déjà en cours, rappelle Phillipe Besset : l’identifiant numérique de santé. Une carte Vitale digitale (e-Vitale) déclinée en application pour smartphone. En test depuis 2019, elle devrait être déployée sur tout le territoire en 2023 ou 2024.
Un système qui lie le droit des assurés à leur identité et qui permet une traçabilité du patient et de l’ordonnance. « Dès l’an prochain, vous aurez un code barre avec un numéro unique pour chaque ordonnance prescrite », explique Philippe Besset.
La mise en place d’une carte Vitale biométrique, « cela revient toujours à penser que ce sont les pauvres qui font le trou dans les dépenses alors que les grosses dépenses ne sont pas là », dénonce Agnès Giannotti, « c'est de l'affichage politique ».
« La biométrie ne va rien régler »
Faux répond la sénatrice (UC) de l’Orne, Nathalie Goulet, auteure d’un rapport sur les fraudes sociales en 2019 pour qui « la fraude sociale n’est pas une fraude de pauvre mais une fraude de réseau ».
Début août, elle voté pour l’amendement du sénateur Philippe Mouiller « par principe » même si elle pense que « la biométrie ne va rien régler ». « Faire voter l’amendement sur la carte Vitale biométrique c’est faire reconnaître par l’état qu’il y a un problème de fraude », se félicite-t-elle.
Sur la carte Vitale biométrique, « ce qui a été voté, c’est une expérimentation qui ne sera pas concluante et on va oublier l’idée », prédit l’élue centriste.
Mais dans l’hypothèse où elle viendrait à se généraliser, « ça coûterait cher mais ça permettrait de ‘réenrôler’ les assurés ayant des droits à l’assurance-maladie », se console Nathalie Goulet. Un passage au tamis qui permettrait, dans le sillage d’un renouvellement des cartes Vitale, d’exclure les fraudeurs. Pour un temps au moins car « la carte Vitale n’est que la résultante des documents que l’on met dans le système », rappelle la sénatrice de l’Orne pour qui « la première des solutions à la fraude est la lutte contre la fraude documentaire ».