Cannabis : à contre-courant d’Emmanuel Macron, des parlementaires soutiennent la légalisation

Cannabis : à contre-courant d’Emmanuel Macron, des parlementaires soutiennent la légalisation

Alors que le Parlement a autorisé en 2019 une première expérimentation portant sur le cannabis thérapeutique, certains sénateurs et députés réclament d’aller plus loin en légalisant la substance.
Public Sénat

Par Jules Fresard

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Fini l’écran de fumée, Emmanuel Macron se veut dorénavant clair sur la question. La dépénalisation du cannabis, c’est non. Dans une interview accordée au Figaro le 19 avril, le président de la République a estimé qu’à « l’inverse de ceux qui prônent la dépénalisation généralisée, je crois que les stups ont besoin d’un coup de frein, pas d’un coup de publicité ». Pour lui, la France « est devenue un pays de consommateurs », il est donc nécessaire de briser ce qu’il appelle de ses mots, un « tabou ».

Dans la lignée de ses propos, le Président souhaite mettre en place un « grand débat » sur la question, deux ans après le premier opus qui avait fait suite à la crise des Gilets Jaunes. Fait surprenant cependant, pour cette seconde édition, les conclusions semblent être connues d’avance, si l’on se fie à l’intitulé de l’évènement. Emmanuel Macron a en effet évoqué un « grand débat national sur la consommation des drogues et ses effets délétères ».

Mission d’information à l’Assemblée Nationale

Mais certains parlementaires ne partagent pas cette position, et la dépénalisation du cannabis, voir sa légalisation, est progressivement devenue une de ces rares thématiques à dépasser les clivages politiques, réunissant des élus de tous bords.

Ainsi, Robin Reda, député LR de l’Essonne, préside depuis le début de l’année 2020 une mission d’information sur la « réglementation et impact des différents usages du cannabis ». Sa position sur la question est à contre-courant de la plupart des cadres du parti de droite. Plus que la dépénalisation, il souhaite la légalisation, c’est-à-dire que l’Etat prenne en charge la production et la distribution du cannabis, afin de ne pas nourrir les filières illégales.

Caroline Janvier, députée LREM et rapporteure de la mission d’information de l’Assemblée, se dit elle aussi « favorable à une légalisation, avec une régulation de l’Etat ». Un point de vue partagé par Michèle Victory, députée socialiste de l’Ardèche et vice-présidente de la mission d’information. « Il faut maîtriser et contrôler la consommation et la production de cannabis », estime-t-elle.

Cannabis : Caroline Janvier, députée LREM, se dit favorable à une "légalisation avec une régulation"
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Les deux députées partagent le même constat, les politiques actuelles ne fonctionnent pas. La France est un des pays les plus répressifs sur la question, tout en possédant une population importante de consommateurs de cannabis, avec près de 3,9 millions de fumeurs.

Pour Michèle Victory, les récents propos d’Emmanuel Macron sont dommageables. « C’est assez incroyable qu’on arrive à de telles déclarations alors que l’on a une mission d’information qui est en train de travailler », regrette-t-elle.

Des premières avancées pour le cannabis thérapeutique

L’Assemblée avait déjà légiféré sur une partie de la question, lors du vote du budget de la sécurité sociale en octobre 2019. Les députés avaient soutenu à une vaste majorité la mise en place d’une expérimentation concernant le cannabis thérapeutique. L’amendement avait été défendu par Olivier Véran, actuel ministre de la Santé, à l’époque rapporteur général de la commission des affaires sociales.

La concrétisation de l’expérimentation, retardée par la crise sanitaire, a démarré le 26 mars 2021. 3 000 patients en « impasse thérapeutique » se verront prescrire sur deux ans la plante, sous forme de sprays ou d’huile, afin de soulager certaines douleurs. Menée par l’Agence nationale du médicament, l’opération entend mesurer l’efficacité du traitement, pour les patients atteints d’épilepsie par exemple.

Au Sénat, un débat sur l’usage du cannabis dans un contexte médical organisé par Esther Benbassa, sénatrice écologiste de Paris, avait suscité l’approbation d’une vaste majorité de sénateurs en mai 2019. La sénatrice avait alarmé sur la situation « des personnes malades, obligées de se fournir sur le marché noir ». Une position partagée par Laurence Rossignol, vice-présidente socialiste du Sénat.

Une première proposition de loi en 2014

Esther Benbassa est d’ailleurs à l’origine de la première proposition de loi en France, concernant la légalisation du cannabis. Déposée en 2014, elle avait été débattue au Sénat en 2015, pour finalement être rejetée. « C’est un vrai problème, auquel on ne réfléchit pas en profondeur » regrette-t-elle.

Et en juillet 2019, François-Michel Lambert, député des Bouches-du-Rhône et membre du groupe Libertés et territoires, déposait une proposition de loi « relative à la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis ». L’initiative vise notamment, via la création d’une Société Nationale du Cannabis, à contrôler publiquement la production, la vente et la consommation de chanvre.

Certains sénateurs de droite, à l’image d’Alain Milon médecin de formation, restent opposés à la légalisation, avançant des arguments de santé publique. « On sait que chez les mineurs, le jeune non formé du point de vue cérébral, il y a des risques majeurs de schizophrénie et de destruction des cellules nerveuses. Il n’y a aucune raison de libérer le cannabis » déclarait-il au micro de Public Sénat en juin 2019.

Aujourd’hui, Esther Benbassa estime qu’une légalisation est toujours d’actualité, d’autant plus que la consommation augmente. Une réforme qu’elle juge nécessaire « si on veut assécher le marché alternatif, si on veut créer un nouveau marché, donner un peu de souffle aux agriculteurs… ». Ces derniers pourraient en effet être appelé à participer à la production des plants de cannabis dans le cadre d’une production encadrée par l’Etat.

Cannabis : Esther Benbassa détaille les avancées possibles que pourraient entrainer une légalisation
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Des arguments rejetés par Frédéric Péchenard, vice-président LR de la région Île-de-France, interrogé sur le plateau de Public Sénat mardi 20 avril. Pour lui, une telle légalisation entraînerait un véritable problème de « santé publique », tout en ne réglant pas la question du trafic et de la vente illégale. « Il ne faut pas croire que si le haschich était légal, les dealers disparaîtraient. Les dealers continueraient de dealer. Aujourd’hui, juste derrière la drogue ce qui rapporte le plus d’argent, c’est le trafic de cigarettes. Or les cigarettes sont légales ».

Une position toujours plus dure du gouvernement

Face à un Parlement où l’idée d’une légalisation fait son chemin, en faisait fi des clivages partisans, le président Macron a progressivement adopté une ligne de plus en plus dure concernant le cannabis, dans un contexte où les enjeux sécuritaires occupent une place majeure dans les débats politiques. Pour Michèle Victory « c’est une politique qui veut se rapprocher d’idées très à droite, tournées vers la sécurité, pour récupérer un électorat ».

Car dans son livre Révolution, publié en 2017, Emmanuel Macron alors candidat s’exprimait même en faveur d’une dépénalisation. Se basant sur des avis d’experts, il décrivait comme « vain de pénaliser systématiquement la consommation de cannabis ».

Mais depuis, le propos n’est plus le même. Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur du depuis devenu président Emmanuel Macron, allait même jusqu’à qualifier sur le plateau de LCI en septembre 2020 le cannabis de « merde ». « La drogue, c’est de la merde, on ne va pas légaliser cette merde ». Le message est clair.

Un positionnement particulièrement dur qui ne semble pas être partagé par tous les Français. Dans le cadre d’une consultation citoyenne initiée par la mission d’information sur la « réglementation et impact des différents usages du cannabis » de l’Assemblée Nationale, 80 % des 250 000 répondants se sont déclarés favorables à la consommation et la production de cannabis dans un cadre régi par la loi.

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