La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Bioéthique : soirée chaotique au Sénat, qui rejette la PMA pour toutes les femmes
Par Public Sénat
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Tout avait bien commencé. Comme en première lecture, les débats au Sénat sur la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes, ont été intenses, riches, longs, non dénués de tensions et parfois d’émotion. Puis les choses ne se sont pas passées comme on les attendait. C’est le jeu de la séance. Mais mardi soir, l’examen s’est transformé en un bel imbroglio, qui s’est conclu par le rejet de la PMA pour toutes. Le Sénat l’avait pourtant adopté en première lecture.
Un an après, les sénateurs ont entamé ce mardi l’examen du texte. Contrairement aux autres projets de loi, le gouvernement n’a pas imposé la procédure accélérée et sa seule lecture sur ces questions sensibles, qui vont de la PMA à la recherche sur les cellules souches. Si tous les projecteurs sont tournés vers le covid-19, l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules, promesse d’Emmanuel Macron, divise toujours autant au Parlement. Et pas seulement. Devant le Sénat, les opposants de la Manif pour tous, étaient là à nouveau pour se faire entendre.
En première lecture, les sénateurs avaient adopté le principe de la PMA pour toutes, mais en excluant les femmes homosexuelles et les femmes seules du remboursement par la Sécu. Pour cette deuxième lecture, la majorité sénatoriale de la droite et du centre est d’abord restée sur cette ligne en commission. Mais en séance, première surprise, les sénateurs ont adopté un amendement du sénateur LR Dominique de Legge qui exclut les femmes seules de l’ouverture à la PMA, la limitant donc aux couples de femmes.
Le vote surprise de la PMA post-mortem chamboule tout
Seconde surprise, juste avant la pause dîner : les sénateurs adoptent à main levée un amendement du sénateur Daniel Chasseing (Les Indépendants) ouvrant la voie à la PMA post-mortem, alors que quelques secondes avant, ils avaient voté contre un amendement similaire, au cours d’un scrutin public… (lire notre article pour plus de détails) Pour rappel, le scrutin public permet de voter pour les absents par délégation de vote. A l’annonce du vote, ça gronde sur les bancs de la droite. « C’est un scandale ! » crie un sénateur. Regardez :
A la reprise, succession de rappels au règlement, dont Bruno Retailleau, qui explique qu’il y a eu confusion au moment de se prononcer. Il met « en cause les conditions du vote. Le président de séance avait indiqué qu’il lèverait la séance à 20h30, ce qui fait qu’un certain nombre de nos collègues ont envahi les travées, pensant que le temps de la levée de séance était venu ». Il ajoute que « certains contestent le comptage » lors du vote. Précision : le président de séance était le sénateur LREM Georges Patient. La socialiste Marie-Pierre de la Gontrie rétorque et s’étonne que la droite « essaye de faire passer pour une erreur de la présidence un vote qui relève de l’erreur de votre groupe », appelant les sénateurs LR à « apprendre à être dignes dans l’échec ».
« Nous sommes dans un moment délicat qui ne grandit pas notre assemblée »
Le président de la commission spéciale, le sénateur LR Alain Milon, demande ensuite une seconde délibération sur l’article 1, qui n’est pas encore voté, tout comme le gouvernement. Au moment du vote, une certaine confusion règne. Courte suspension de séance, le temps de savoir ce qui est possible. A la reprise, la présidente de séance, Valérie Létard, précise qu’en cas de suppression de l’article 1, la commission ou le gouvernement pourront redéposer un amendement pour réintroduire l’article, qui pourra être sous amendé. Autrement dit, sans PMA post-mortem, l’objet du litige aux yeux de la majorité sénatoriale.
« Nous sommes dans un moment délicat qui ne grandit pas notre assemblée. Nous sommes dans un imbroglio, nous allons devoir voter puis revoter ensuite. Donc on perd un peu le fil de l’affaire. Ce débat, qui démarrait sous de bons auspices, tourne à la mauvaise farce, une farce de mauvais goût », pointe le sénateur du groupe écologiste Daniel Salmon. « On marche sur la tête ! » s’indigne la sénatrice PCF Laurence Cohen. Résultat, l’article 1 sur la PMA pour toutes est largement rejeté par 132 voix contre, 48 pour et 168 abstentions… Il devrait être réintroduit plus tard dans l’examen du texte.
Le secrétaire d’Etat Adrien Taquet « abasourdi » par le vote du Sénat
Dans la foulée, les sénateurs suppriment, encore par l’adoption d’un amendement de Dominique de Legge, l’article 2 qui autorise l’autoconservation des gamètes sans raison médicale. C’en est trop pour le secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet. « Je suis un peu abasourdi par ce qui vient de se passer. Suppression de l’article 1, suppression de l’article 2. C’est le grand chelem jusqu’à présent. Je ne sais pas ce qui avance masqué. Est-ce la marchandisation, ou des ambitions électorales présidentielles qui avancent masquées ? » lance le secrétaire d’Etat (voir la vidéo ci-dessous). Une pique à l’égard de Bruno Retailleau, qui vise 2022. Adrien Taquet continue :
Je constate que par rapport à il y a un an, alors que nous nous étions mis d’accord sur un certain nombre d’avancées sociétales, je constate qu’aujourd’hui, nous régressons. L’ouverture à la PMA pour toutes les femmes a été rejetée par votre assemblée. Le silence qui règne ici sera à la hauteur du retentissement qu’il y aura à l’extérieur de ces murs.
Sentiment partagé à gauche. « Vous voulez tellement encadrer les choses, que vous donnez un droit, mais vous le restreignez à l’extrême » dénonce la communiste Laurence Cohen, qui pointe une incohérence : « Il n’y aura que les femmes seules qui auront les moyens d’aller à l’étranger » qui iront pour faire une PMA, « donc vous encouragez la marchandisation », pourtant dénoncée par la droite.
« La PMA sans père, c’est faire primer la liberté individuelle sur le principe de vulnérabilité »
Avant que les débats ne prennent des chemins inattendus, les sénateurs de droite opposés à la PMA pour toutes se sont relayés pour tenter de défendre, une dernière fois, leurs convictions. Au premier desquels, Bruno Retailleau, infatigable combattant de la cause. Reprenant les mots de la Manif pour tous pour qualifier l’ouverture de l’AMP à toutes les femmes, il dit : « La PMA sans père, c’est bien faire primer la liberté individuelle sur le principe de vulnérabilité. C’est faire primer la volonté des adultes sur l’intérêt et le droit des enfants ». Le sénateur de Vendée s’étonne que le gouvernement applique une « logique de responsabilité » et « le principe de précaution » sur le covid-19, mais qu’il ne l’applique pas sur la bioéthique et la PMA. « La pensée préventive s’arrête quand il s’agit de l’enfant » regrette Bruno Retailleau.
Bruno Retailleau ajoute la grande crainte de nombreux opposants à la PMA pour toutes : qu’elle ne mène à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA). « Au nom de quel principe vous refuseriez à ces hommes ce que vous autorisez pour ces femmes ? » demande le patron des sénateurs LR. Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a pourtant répété qu’il s’agissait pour le gouvernement d’une « ligne rouge » à ne pas franchir.
« Supprimer la notion de père est intolérable »
Le sénateur LR de Seine-et-Marne, Pierre Cuypers, est le premier à prendre la parole sur l’article 1. Il évoque « l’amour filial qui existe depuis la nuit des temps », « nous laissons contrarier la nature ». Pour lui, « créer une double filiation maternelle et supprimer la notion de père est intolérable ». « Président du groupe parlementaire chrétien, j’ai cosigné l’amendement de suppression Anne Chain-Larché », tient à préciser Pierre Cuypers. Manière d’évoquer une forme de non-dit qui a plané sur les débats : les convictions religieuses peuvent être, pour certains, l’un des moteurs de l’opposition à la PMA pour toutes, même si elles ne sont pas la seule explication.
Le sujet divise en réalité la droite. Alain Milon est ainsi totalement pour la PMA. « Un enfant a besoin d’éducation, d’amour, d’autorité, qui peut être donné par des couples non hétérosexuels » souligne le sénateur LR. Le président du Sénat, Gérard Larcher, s’était dit lui, il y a plus d’un an, « assez ouvert » à la PMA.
« Je vous rassure, il n’y aura pas d’amendement pour introduire la sexualité des bonobos dans la loi »
A gauche, cet argument du couple « un papa, une maman » qui existerait depuis « la nuit des temps », étonne. « Quand j’interroge mes collègues spécialistes de préhistoire, dans la nuit des temps, la horde primitive dans la caverne ressemblait plutôt à une société de bonobos, avec lesquels nous partageons 98,7 % des gênes…. Je vous rassure, il n’y aura pas d’amendement pour introduire la sexualité des bonobos dans la loi » sourit le sénateur PCF Pierre Ouzoulias. Mais celui qui est chercheur à l’université veut dire « que la famille, ce n’est pas un fait naturel, c’est une construction idéologique, sociale et historique ».
Le président du groupe PS, Patrick Kanner, rappelle pour sa part que « chaque année, 2.000 à 4.000 femmes ont recours à l’AMP à l’étranger. Ce n’est pas un changement de civilisation. Ces familles existent déjà ». « J’ai bien compris que vous vous étiez radicalisés entre les deux lectures » lance l’ancien ministre à la droite. Dénonçant une « discrimination », il ajoute :
Je crois qu’elle dit « cachez-moi ces familles que je ne saurais voir, cachez-moi ces familles monoparentales, cachez-moi ces parents homosexuels ».
« Par vos propos, vous insultez 10 % de couples hétérosexuels qui n’arrivent pas à avoir d’enfant »
Sur ces sujets qui touchent au personnel et à l’intime, le sénateur LREM Xavier Iacovelli s’est appuyé sur son expérience pour mieux dénoncer la position d’une partie de la droite. « Par vos propos, vous insultez 10 % de couples hétérosexuels qui n’arrivent pas à avoir d’enfant chaque année » commence le sénateur des Hauts-de-Seine, « 24.000 enfants naissent médicalement assistés chaque année, dont mes enfants font partie. Et si le législateur avait écouté vos propos à l’époque, mon épouse et moi n’aurions pas pu avoir un enfant. Car les enfants ne sont pas naturels et nous avons été aidés médicalement ».
Après deux heures de débats, vient le vote sur les amendements de suppression de l’article 1. Ils sont largement rejetés, par 174 voix contre, 122 pour, 52 abstentions. Dans le détail des votes, on note au sein du groupe LR une légère progression des opposants, qui passe de 83, lors du vote sur les amendements de suppression en première lecture, à 90 voix. Dans le même temps, 31 ont cependant voté contre cette année. Ils étaient 23 en 2020. Mais après le pataquès sur la PMA post-mortem, les sénateurs ont finalement rejeté l’ensemble de l’article 1. Drôle de soirée au Sénat.