Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Autoroutes : un rapport du Sénat pointe la «rentabilité hors normes» de 40 milliards d’euros d’ici 2036
Par Public Sénat
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Les concessions autoroutières ont déjà fait couler beaucoup d’encre. On peut compter maintenant 300 pages de plus, celles du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur les concessions autoroutières. Elle a présenté ce vendredi matin ses conclusions.
Décidée en janvier dernier à l’initiative du sénateur du groupe Union centriste, Vincent Delahaye, la commission d’enquête a auditionné les principaux acteurs de ce dossier sensible : Dominique de Villepin, Premier ministre lors de la privatisation polémique des autoroutes (voir ici son audition), tout comme ceux à l’origine du protocole d’accord, très favorable aux sociétés d’autoroutes, signé en 2015 : Ségolène Royal, Elisabeth Borne, qui était alors sa directrice de cabinet, Christian Eckert, ou encore Alexis Kohler, aujourd’hui secrétaire général de l’Elysée. Il n’en manque qu’un : Emmanuel Macron, ministre de l’Economie en 2015. Mais en tant que chef de l’Etat et en raison de la séparation des pouvoirs, il ne peut être auditionné par une commission d’enquête parlementaire.
Des autoroutes privatisées en 2006 pour 14,8 milliards d’euros
Le rapport, qui rassemble 38 propositions, revient évidemment sur la privatisation de 2006. L’ouverture du capital au privé avait en réalité déjà commencé avant. La privatisation de 2006 a rapporté à l’Etat 14,8 milliards d’euros, qui ont permis de réduire sa dette et de renforcer l’agence de financement des infrastructures. Un « processus de cession séquentiel » et « une absence de concurrence pour ASF », l’une des sociétés dont le capital a été ouvert sous le gouvernement Jospin, « qui a fait perdre à l’Etat quelque 6,5 milliards d’euros de recettes potentielles » dit le rapport, que Public Sénat a pu consulter. Précision de Vincent Delahaye : « Cela équivaut à 7,8 milliards d’euros aujourd’hui. Ce n’est pas rien » (voir la vidéo, images de Pierre-Henri Holderbaum). Si le processus est fait dans les règles, les autoroutes ont donc été concédées à un tarif pour le moins avantageux.
L’affaire ne se limite pas à l’achat, mais aussi à la rentabilité. Pas seulement passée, mais future. Vincent Delahaye a fait procéder à une analyse indépendante de la rentabilité à venir des concessions autoroutières « historiques », du point de vue des actionnaires. Ces projections, réalisées par Frédéric Fortin, expert en fusion acquisition et en finances d’entreprise et spécialiste du sujet, sont « établies à partir d’hypothèses prudentes, pour la période allant de 2020 à l’échéance des concessions », en 2036. Elles donnent le tournis. Les chiffres sont édifiants.
Superprofits
« Au-delà de 2022, les dividendes versés atteindraient environ 40 milliards d’euros, dont 32 milliards pour Vinci et Eiffage, à comparer avec les coûts d’acquisition des sociétés » peut-on lire dans le rapport. Un coût d’acquisition, rappelons-le, de 14,8 milliards d’euros. En réalité, les trois sociétés ont déboursé au final « 22,5 milliards d’euros pour acquérir le contrôle total ». Reste qu’au terme des concessions, l’affaire, source de superprofits, devrait donc être ultra rentable.
Pour la période passée, l’analyse minimise l’idée de surprofits pour les autoroutes. Elle « tend à « montrer que, si la rentabilité économique des concessions est très significative sur la période 2006-2019, elle se situe cependant légèrement en deçà des attentes ». Pour Vinci et Eiffage, elle est autour de 5% à la fin 2019. En revanche, « Abertis n’a pas encore atteint son seuil de rentabilité, avec une rentabilité négative de 1% », note le rapporteur.
Les dividendes cumulés du groupe Vinci devraient être de 20,7 milliards d’euros d’ici 2036
Ces niveaux de rentabilités sont en revanche « très élevés » pour la suite. Pour Vinci autoroutes et Eiffage, la rentabilité attendue serait ainsi « atteinte autour de 2022 (soit 16 ans après la privatisation) », « autrement dit, la durée de ces concessions serait trop longue d’environ 10 ans », dit le rapport. Rien que pour le groupe Vinci, l’acquisition d’ASF et Escota devrait être « très rentable ». Les dividendes cumulés sur 2020-2036 « seraient de l’ordre de 20,7 milliards d’euros »…
Pour APRR et AREA, qui appartiennent au consortium Eiffarie, le rapport parle d’« une rentabilité hors normes ». Sur la période 2006-2035, elle atteindrait « 22,3 milliards d’euros », soit quatre fois plus que le coût d’acquisition de 6,7 milliards d’euros. La rentabilité de Cofiroute apparaît aussi « extrêmement élevée ». Seul le groupe Sanef aurait des « résultats en ligne avec les prévisions ».
« Le péché originel d’un transfert mal préparé »
Si le futur des autoroutiers ne manque pas d’avenir, le rapport se plonge bien sûr beaucoup dans le passé. Il pointe « le péché originel d’un transfert mal préparé ». Les taux de rentabilité interne (TRI) effectifs ont pu être bien supérieurs aux prévisions réalisées au moment de l’acquisition, qui ont permis de définir le prix d’achat. Le rapport note ensuite « un rééquilibrage partiel difficilement négocié entre 2013 et 2015, assorti de la mise en place d’une régulation indépendante ».
Le fameux protocole d’accord de 2015 prévoit certes des travaux de 3,27 milliards d’euros, mais aussi une hausse des péages et un allongement de la durée de concessions. Les sénateurs dénoncent des « négociations opaques », avec des services de Etat « dont les moyens sont beaucoup plus limités » face aux sociétés autoroutières dont les compétences techniques et juridiques sont fortes. Le rapport note que « l’équilibre financier du plan de relance autoroutier de 2015 est favorable aux sociétés d’autoroutes ».
Accord de 2015 : « L’implication de Ségolène Royal aurait dû être plus grande », « Emmanuel Macron a bien suivi cette affaire »
Pour ce qui est des responsabilités politiques, Vincent Delahaye note qu’« il y a peut-être eu une absence de discussion entre Elisabeth Borne et la ministre Ségolène Royal, qui a beaucoup délégué à Elisabeth Borne. Lors de l’audition, elle a avoué qu’elle avait signé mais qu’elle ne s’était pas impliquée dans les négociations. Son implication aurait dû être plus grande ». En revanche, sa décision unilatérale de gel des tarifs de péage, en 2015, a mis ensuite « l’Etat en position de faiblesse » face aux autoroutes, lors des discussions, car cette décision « ne respectait pas les contrats ». « Ce n’est jamais bon pour une négociation », ajoute le sénateur de l’Essonne, vice-président du Sénat.
Quid de l’ancien ministre de l’Economie, devenu président de la République ? « Emmanuel Macron a joué un rôle à travers Alexis Kholer, qui était son directeur de cabinet de l’époque. Il a dirigé les négociations pour le compte d’Emmanuel Macron. Je pense qu’il s’est quand même investi avec son directeur de cabinet et qu’il a bien suivi cette affaire, mais on ne peut pas en avoir de certitude » estime Vincent Delahaye.
Limiter les nouvelles concessions à 15 ans, avec des clauses de revoyure
Face à cette situation, le rapport sénatorial appelle à préparer la fin des concessions et appelle à ne plus prolonger la durée de celles-ci. Ils écartent un rachat anticipé des concessions, face au « coût prohibitif », estimé entre 45 et 50 milliards d’euros.
Que faire après ? Reprise en main par l’Etat par une « régie publique » ? Ou nouvelles concessions ? Dans ce cas, les sénateurs préconisent des concessions limitées à 15 ans, avec « des clauses de revoyure tous les 5 ans, permettant de réviser les tarifs ou la durée de la concession en cas de surrentabilité, ainsi que des clauses de partage des gains d’exploitation et de refinancement ».
Verdir les autoroutes par « des modulations tarifaires pour les véhicules propres »
Pour les sénateurs, « la rentabilité des autoroutes » doit aussi permettre de les verdir via « des modulations tarifaires et des investissements en faveur des véhicules propres, du covoiturage et des transports collectifs ». Le déploiement des bornes électriques sur les aires d’autoroutes devrait aussi être « accéléré ».
Reste que les sociétés pourraient très bien refuser tout compromis, s’appuyant sur les contrats en cours, ou demander de nouvelles compensations. Vincent Delahaye leur déconseille. Il en appelle « à la discussion plutôt que de rester au statu quo et être autiste. Ces contrats doivent être révisés avec un compromis raisonnable. Sinon, on va au-devant de grandes difficultés ». Selon le sénateur, les sociétés ont tout intérêt à le faire, car « si elles refusent le dialogue, elles donneront du poids aux défenseurs des solutions extrêmes, qui serait de dénoncer les contrats ».
Autres propositions : renforcer les moyens de l’Autorité de régulation des transports, consolider les moyens des services de l’Etat et ses capacités d’expertise, renfort des moyens de contrôle financier, ou encore « associer plus largement les usagers et les parlementaires ». Autant de mesures qui visent, espèrent les sénateurs, à empêcher le retour d’une rente autoroutière.